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Faire de la PAC, un instrument nouveau, à la mesure de son époque !

Par Guillaume Garot, Député de la Mayenne

Dans l’écosystème des politiques publiques, la Politique Agricole Commune (PAC) a des airs de Léviathan. Mécanique devenue parfois très bureaucratique, mal connue, souvent mal comprise et mal aimée, elle représente près de 40 % du budget de l’Union européenne pour 2021.

En 1957, cette PAC avait été imaginée pour nourrir un continent dont le principal souci était d’atteindre l’autosuffisance. Une priorité, donc : produire. Et de ce point de vue, la PAC est une indéniable réussite. Même si notre souveraineté alimentaire reste fragile dans certains domaines – notamment les protéines végétales – l’Europe produit aujourd’hui assez pour que chacun puisse, en théorie, y manger à sa faim.

Mais après plus de soixante-dix ans, ce modèle est à bout de souffle. Malgré des tentatives de réformes successives - et qui ont toutes fini par ressembler à des raccommodages - la PAC souffre d’un décalage de plus en plus important avec les nouveaux enjeux de notre époque : la rémunération des agriculteurs, la santé des sols, l’urgence climatique, l’accès de tout un chacun à une alimentation saine et de qualité.

L’état des lieux est pour le moins inquiétant. Notre pays a de moins en moins de terres agricoles, nos terres agricoles ont de moins en moins d’exploitants (leur nombre a été divisé par quatre en quarante ans), et nos exploitants ont de moins en moins de revenus.

Dans le même temps, selon que l’on prend en compte ou non la déforestation et plusieurs autres externalités négatives, notre système alimentaire dans son ensemble représente entre un quart et un tiers des émissions mondiales de gaz à effet de serre.

Autant de raisons pour faire de la PAC de la période 2023-2027 un instrument nouveau, à la mesure de son époque ! Plusieurs signes encourageants pointaient en ce sens : le Green Deal européen et ses objectifs carbone ambitieux, la stratégie Farm to Fork qui promeut une approche intégrée de l’ensemble du système alimentaire dans les politiques publiques, et même les réflexions nées de la crise sanitaire, dont le choc a été une prise de conscience pour beaucoup.

Pourtant, depuis les premières annonces officielles à la fin de l’été 2020, l’illusion se dissipe peu à peu : la PAC 2023-2027 est, à beaucoup d’égards, une nouvelle déception.

Le péché originel a été d’écarter ce que la stratégie Farm to Fork avait semblé favoriser : la création d’une véritable politique agricole et alimentaire commune (une PAAC, donc) à même d’agir de façon concrète sur tous les maillons de la chaîne alimentaire, de plus en plus dépendants entre eux. L’intégration de l’alimentation dans son ensemble à la PAC aurait pu être le pilier de la transition durable de notre système agroalimentaire. Première occasion manquée.

Le budget de la PAC, quant à lui, est relativement stable par rapport à la période précédente (légèrement inférieur si l’on prend en compte l’inflation) à 336,4 milliards d’euros sur six ans. Il est aussi vrai que le Plan de relance européen servira à financer, à hauteur de plusieurs milliards d’euros, des politiques alimentaires qui viendront en complément de la PAC dans les États membres. Mais en fin de compte, ce budget qui stagne reste un mauvais signal. Deuxième occasion manquée.

Enfin, les objectifs stratégiques définis par la PAC ne sont pas en correspondance avec ceux fixés par le Green Deal. Alors que celui-ci prévoit, entre autres, d’atteindre 25 % de surfaces agricoles cultivées en bio et une réduction de 50 % des pesticides d’ici 2030, la PAC ne donne pas les garanties suffisantes en termes de développement de la conservation des sols, des prairies permanentes et des surfaces sans pesticides, pour que ces cibles soient atteintes. Troisième occasion manquée.

On pourrait penser qu’à l’échelle des pays de l’UE, tout (en tout cas beaucoup) est encore possible. En effet, l’originalité la plus marquée de la future PAC est sa déclinaison en autant de Plans Stratégiques Nationaux (PSN) que l’UE compte de membres. En somme, chaque État est théoriquement doté d’une plus grande marge de manœuvre pour répartir le budget de la PAC qui lui est alloué. Mais le manque d’orientations claires à l’échelle communautaire, que nous avons soulevé plus haut, fait de ces PSN un cadeau empoisonné : sous peine de perdre en compétitivité, les pays les plus ambitieux sur le plan environnemental risquent de devoir, en fin de compte, s’aligner sur les moins-disants.

Le PSN reste une pourtant chance pour la France, première puissance agricole européenne, de combler, au moins en partie, les manquements de la PAC négociée à l’échelle de l’UE, et de montrer l’exemple à ses voisins. Oui, mais voilà : le budget global, nous l’avons vu, a été fixé en amont. Nous réfléchissons sur l’emploi de moyens d’ores et déjà plafonnés – environ 9,5 milliards e d’aides par an seront versés à la France – ce qui réduit de beaucoup la marge de manœuvre.

Donc, reconnaissons-le : les arbitrages que le gouvernement devra rendre sur le PSN, d’ici à l’été, sont d’une grande complexité… à plus forte raison parce que certaines des règles communes à tous les PSN des États membres sont elles aussi encore en négociation.

Malgré ces limitations, il est primordial de ne rien écarter d’office. La cumulabilité des éco-régimes, les aides à l’actif, le plafonnement de ces mêmes aides à partir d’une certaine superficie, le renforcement du second pilier sont des mesures qui peuvent accompagner et accélérer de manière décisive la transition agroécologique tant attendue par les Français.

Il faut d’ailleurs se réjouir de la prise de conscience citoyenne sur les questions alimentaires. Le débat ImPAC’tons est à ce titre un vrai succès (plus de 12 000 contributeurs venus de tous les horizons). Cependant, nous commençons à savoir ce que le gouvernement et le président font des débats citoyens, grands et petits. La vigilance est donc de mise.

Au-delà de la réponse détaillée qui a été donnée par le Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation aux 1023 recommandations faites par les participants à ImPAC’tons, c’est la prise en compte concrète de ces demandes qui déterminera la réussite de ce processus. De la même manière, et alors que le moment des arbitrages quasi-définitifs sur le PSN se rapproche, le Parlement est toujours en attente d’un véritable débat à ce sujet.

Dans ces conditions, il nous semble d’autant plus essentiel de pouvoir exprimer dans ces colonnes ce que la PAC et le PSN sont en l’état, et ce qu’ils devraient être.

La crise sanitaire a remis en lumière un caractère souvent oublié de l’alimentation : elle est un droit fondamental. En France, pendant la crise sanitaire, le nombre de personnes en situation de précarité alimentaire est passé de 5,5 millions en 2019 à 7 millions en 2020. Plus qu’une nécessité, lutter contre cette précarité est devenu une urgence, nationale et européenne. C’est donc avant tout à l’aune de la justice sociale que les politiques nationales de l’alimentation et la « PAAC » que nous appelons de nos vœux devraient se décider.

Et cette justice est à double sens : accompagner la transformation de notre agriculture, c’est aussi accompagner nos agriculteurs, garantir la juste rémunération de leur travail et la juste reconnaissance de leur métier, en favorisant l’emploi agricole et l’installation de nouveaux exploitants. C’est aussi cela, la PAC : un levier unique pour faire vivre nos territoires.

Concluons. On l’aura compris, à l’échelle de l’UE, le changement de paradigme en matière d’alimentation n’est malheureusement pas pour cette année ; mais nous entrons dans une séquence où beaucoup de choses se décideront à l’échelle de notre pays. Outre le PSN, il faudra être particulièrement attentif, dans les mois à venir, aux mesures proposées sur la rémunération des agriculteurs, sur la lutte contre la précarité alimentaire et sur le foncier agricole.

Comme toutes les grandes conquêtes démocratiques et sociales, la PAC ne s’use que si l'on ne s’en sert pas. Comme rarement avant, les citoyens ont su s’en saisir et enrichir le débat. Il appartiendra au Gouvernement de prêter l’oreille à l’ensemble des parties prenantes, et au Parlement d’en tirer les conséquences. 

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