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En quête de bois pour “la forêt” de Notre-Dame de Paris

Après une première phase de sauvetage, de consolidation et de sécurisation, le chantier de Notre-Dame de Paris entre dans une nouvelle phase, celle de la reconstruction. La récolte de 2000 chênes pour reconstituer la charpente de la cathédrale a été lancée récemment.

Un événement quasi historique voire même « un moment sacré » selon les propos de Bertrand Munch, le directeur général de l’ONF, « honorés de participer à cette aventure exceptionnelle ». Le 5 mars dernier, le ban et l’arrière ban des personnalités gravitant autour de ce chantier phénoménal étaient mobilisés pour assister au marquage au poinçon et à la pose d’un panneau indiquant « Arbre numéro 1 ». Autour de ce premier chêne plus que bicentenaire, se pressaient la ministre de la Culture Roselyne Bachelot, le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie, le général Georgelin, président de l’Etablissement public chargé de la restauration de Notre-Dame, des responsables de l’ONF, des élus, une foule d’anonyme et la presse. « Le projet qui nous réunit ce jour est une forme de collaboration rare entre le génie humain et les chefs-d’œuvre de la nature. Les hommes qui ont planté ces chênes que nous désignons en forêt domaniale de Bercé étaient sûrement loin de penser que leurs gestes trouveraient un aboutissement dans le projet de réhabilitation de Notre-Dame » a lancé Roselyne Bachelot.

Pour rappel, après avis de la commission nationale du patrimoine et de l’architecture qui a fortement suggéré que la reconstruction de la cathédrale soit réalisée à l’identique, dans le respect des matériaux d’origine, le bois de chêne massif pour la charpente et le plomb pour la couverture, le Chef de l’Etat a confirmé cette option en juillet 2020.

Et c’est ainsi que ce 5 mars, les huit premiers chênes destinés à servir à la reconstruction de la charpente de la flèche et du transept de Notre-Dame ont été savamment sélectionnés par France Bois forêt et l’ONF dans la forêt domaniale de Bercé entre janvier et fin février de cette année avant d’être prélevés les 8 et 9 mars.

Au milieu des 5400 hectares de cette forêt remaniée par Colbert, les arbres choisis sont exceptionnels : âgés d’environ 230 ans, plus d’un mètre de diamètre et plus de vingt mètres de haut, ils « disposent aussi des courbures spécifiques nécessaires à la réalisation de la flèche » explique l’ONF. Le choix fait, les arbres ont été coupés – pardon récoltés selon une terminologie moins offensante et plus appropriée -, en mars, « avant leur montée en sève ». Préalablement, les branches les plus hautes de l’arbre ont été coupées pour éviter les vibrations néfastes à la qualité du bois qui auraient pu subvenir en tombant au sol. Ainsi, débardés et sciés, le bois doit être entreposé entre 12 et 18 mois pour atteindre un taux d’humidité de moins de 30 %. Cette étape franchie, le bois sera mis à la disposition des charpentiers. Un travail en amont minutieux qui est « important » insiste l’ONF, « en vingt minutes on peut ruiner deux cents ans de patience ».

Quant aux charpentiers, ils pourront exercer leur art, non seulement en se basant sur l’ensemble des relevés d’Eugène Viollet-le-duc, « y compris le plan d’exécution de l’entreprise de charpentes qui a travaillé avec lui » mais aussi en s’appuyant sur les relevés et une maquette au 1/20ème réalisés par les Compagnons, sans oublier des scans partiels en 3D réalisés avant l’incendie. Une mine d’informations qui a permis de lister les milliers de pièces en bois nécessaires à la reconstruction.

Pour l’ensemble des charpentes, pas moins de 2000 arbres seront nécessaires. Sur les près de 1000 arbres utiles à la restitution de la flèche, dont l’ossature est entièrement en bois de chêne massif, et des charpentes du transept et de ses travées adjacentes

325 ont été offerts par l’ONF, ce qui représente un don d’environ un million d’euros. Suivront plus tard, 1000 autres arbres qui serviront à la reconstitution du grand comble de la cathédrale plus connu sous le nom de « forêt », datant du XIIIème siècle. Pour ne pas faire de jaloux, il a été décidé que les arbres seraient prélevés un peu partout en France, chaque région voulant participer à « l’effort de guerre ». Le prélèvement se fera également entre les forêts domaniales et communales et les propriétaires privés. « La mobilisation des collectivités va au-delà de la reconstruction d’un monument historique à la symbolique forte. C’est l’unité de la Nation qui se manifeste ainsi, à travers ses institutions de base » a expliqué fièrement Dominique Jarlier, président de la Fédération nationale des communes forestières.

Mais voilà face à ce bel enthousiasme, des esprits chagrins sont venus contester cette « collaboration rare entre le génie humain et les chefs-d’œuvre de la nature ». Très réactifs comme savent souvent l’être ce type de militants, une pétition qui a recueilli plus de 40 000 signatures a été adressée à la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. Dans ce texte, les signataires dénoncent avec l’annonce de l’abatage de ces chênes un « écocide ». « Un arbre centenaire fait partie de notre patrimoine et représente un écosystème à lui tout seul ; notre terre est en danger, nos forêts souffrent du réchauffement climatique, ce choix est incompréhensible » écrivent encore ceux qui voudraient voir choisies « des techniques d’ingénieries plus responsables et moins dégradantes pour notre environnement ». On attend de savoir lesquelles. Habitué à ce genre de critiques, que l’ONF surnomme avec une certaine ironie « le réflexe Idéfix », a tenu à préciser que ces coupes concernent … « 0,1 % de la récolte annuelle » à destination de la construction ou de l’ameublement ! « Il en pousse plus qu’on en récolte, soit 3 millions de mètres cubes, contre 2 millions chaque année » souligne l’Office. En forêt de Bercé, alors que l’Assemblée ouvrait le débat sur le projet de loi Climat et résilience, Roselyne Bachelot rappelait à son tour « qu’une forêt, ça se gère, et les coupes étaient prévues en tout état de cause […] Il n’y a là aucune flibuste, aucun piratage, aucune amputation de patrimoine ». Ces coupes ne sont donc pas réalisées spécifiquement pour Notre-Dame. « Les huit chênes ont été choisis parmi les arbres arrivés à maturité et dont la récolte est programmée pour laisser place à une nouvelle génération. Les semis sont déjà là en nombre ! » explique l’ONF. « Saviez-vous, poursuit l’office, que ces grandes ouvertures créées après une coupe, le stock de graines contenues dans le sol peut enfin s’exprimer. La flore profite de l’augmentation de lumière et de la disponibilité en eau. 90 %de la diversité floristique en forêts se retrouve dans les zones ouvertes. Parmi ces jeunes peuplements, les semis et fourrés sont présents, les fleurs prospèrent, de nombreux papillons, des coléoptères, des oiseaux nicheurs y construisent leurs nids ». Voilà qui devrait suffire à répondre aux militants écologistes de salon. 


L’incendie de Notre-Dame de Paris a également causé des dégâts importants sur des éléments constructifs en pierre. Le choix de la reconstruction à l’identique impose donc de nouvelles pierres ; « compatibles avec le monument et dans des quantités importantes par rapport à ce qu’entraînent les travaux d’entretien et de restauration des monuments historiques » explique le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) qui vient de signer une convention avec l’établissement public chargé de la restauration de Notre-Dame. La convention permettra d’identifier et sélectionner les pierres devront être « esthétiquement et physiquement compatibles avec les pierres endommagées ». La méthodologie de recherche prévoit notamment des investigations géologiques en carrières et des essais en laboratoire sur échantillons de pierres. Interviendront pour cela des géologues, des sédimentologues, des géomaticiens et des techniciens de laboratoire du BRGM. Il associe le Laboratoire de recherches des monuments historiques (LRMH) du ministère de la Culture pour sa connaissance approfondie des pierres de la cathédrale. Les pierres d’origine extraites au XIIème et XIIIème siècles sont des roches calcaires formées il y a 41 à 48 millions d’années et proviennent essentiellement du sous-sol parisien. Pour les pierres neuves, le programme prévu pour s’achever pour mi-2021 « s’intéressera en priorité aux carrières en activité, puis aux gisements non exploités susceptibles si nécessaire de fournir au chantier les pierres compatibles avec celles de l’édifice » indique le BRGM. Depuis novembre dernier, une ordonnance du gouvernement facilite le cas échéant, l’ouverture ou l’extension de nouvelles carrières.

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