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Pour un acte 3 au Sahel : l’humilité du stratège plutôt que la force du chef de guerre

Par Thomas Gassilloud, Député (Agir Ensemble, Rhône), Membre de la Commission de la Défense nationale et des Forces armées

“Et maintenant des résultats !” tels furent les mots de conclusion du Sommet de Pau. Treize mois après, ils sont visibles, grâce aux efforts combinés des pays sahéliens, de la France et de leurs alliés.

Sur le plan démocratique, car les burkinabés et les nigériens ont pu se rendre aux urnes pour élire leurs Présidents. Au Mali, certes après un coup d’Etat, les nouvelles autorités se sont engagées à suivre la feuille de route de la CEDEAO, notamment pour tenir des élections libres dans 12 mois. La démocratie sahélienne n’a donc rien cédé aux djihadistes.

Sur le plan militaire ensuite. Le surge français de 600 soldats a permis de foudroyer un ennemi qui s’enhardissait de ses victoires à la fin 2019 ; preuve du remarquable savoir-faire des armées françaises et de l’audace de leurs chefs qui ont su mener des opérations complexes en parfaite synergie avec les forces locales. Un an après le massacre de Boulkessi, c’est au même endroit, contre le même ennemi, que les FAMa ont inversé le rapport de force. Plusieurs alliés européens ont franchi un palier avec leur intégration dans la task force Takuba.

Cette marge de manœuvre stratégique que nous avons durement gagnée doit maintenant être habilement utilisée. Alors que la situation permet d’envisager un troisième acte de notre engagement au Sahel, ne cédons pas aux sirènes occidentales du state building importé ou du jusqu’au boutisme contre-terroriste. Ce troisième acte doit être celui des Sahéliens, appuyés par une Europe plus résolument engagée.

Si des voix s’élèvent en France pour demander un retrait des troupes nous répondrons que la bombe démographique couplée à la mèche sécuritaire pourrait bien menacer l’Europe. A ceux qui demandent le renforcement ou le maintien en l’état du dispositif militaire français, nous répondrons que notre sécurité de demain se jouera aussi sur notre capacité à faire face à des engagements de plus haute intensité. La bonne réponse au problème sahélien est donc bien dans un “rester autrement” ; un autrement plus discret, plus souple et plus responsabilisant.

Discret car la visibilité médiatique de Barkhane se heurte inexorablement aux lois de l’histoire, où dans l’inconscient d’un peuple, toute force étrangère libératrice finit par être perçue comme une force d’occupation. Ce poids donné à la réponse militaire dans la résolution de crise pénalise nos armées, qui ne sont plus jugées sur leurs résultats opérationnels, pourtant remarquables, mais leur capacité à générer réconciliation nationale, paix sociale et réformes de gouvernance.

Souple, car la présence militaire française et européenne demeurera dans la zone après le retrait de Barkhane car nos destins sont liés, tant la sécurité européenne est conditionnée par la stabilité et le développement du Sahel. Elle doit donc être déterminée, en complément des actions civiles, afin d’atteindre le juste niveau de forces nécessaire pour prévenir toute ré-édition d’une attaque type 2013 et empêcher la constitution de zones refuges de djihadistes.

Responsabilisant, car la réconciliation nationale, le développement et les réformes de gouvernance sont les conditions sine qua none d’une résolution de crise durable. Tous ces enjeux sont aux mains des Sahéliens eux-mêmes. En effet, la paix ne sera gagnée que lorsque l’offre proposée par les États locaux sera plus attrayante que celle des djihadistes, par exemple en termes de santé, d’éducation, de justice ou de sécurité. Pour ne pas tomber maladroitement dans l’ingérence néo-coloniale, nous ne pouvons que poser un cadre contractuel, clair et exigeant, aux autorités sahéliennes, pour conditionner notre aide à des avancées en matière de gouvernance.

Ainsi, après 8 années d’engagement, l’humilité du stratège doit désormais prévaloir sur la force du chef de guerre. 

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