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Quel avenir pour les mobilités dans les espaces peu denses ?

Par Olivier Jacquin, Sénateur de la Meurthe-et-Moselle

Enjeu climatique, transformation des modes de vie, du rapport au travail, à l’espace et au temps, nouvelles technologies… les besoins de se déplacer vont être profondément impactés dans les années à venir.

Nous pourrions entrer dans une nouvelle ère : celle de la « démobilité », de la réduction des mobilités subies. Ce qui comptera sera moins le fait de se déplacer que d’avoir l’accessibilité : c’est-à-dire l’accès au service, sous une forme éventuellement dématérialisée. Le confinement du printemps 2020 en a constitué le laboratoire grandeur nature.

Il n’y a pas de fatalité à ce que les espaces peu denses restent sans alternative au véhicule thermique individuel et à l’autosolisme. A la condition cependant que les collectivités se saisissent de cette politique coûteuse et qui demande du sur mesure, donc une ingénierie dédiée. Il convient donc que tous les EPCI trouvent un modèle économique pour financer ces politiques et que l’on sorte des seules logiques d’expérimentations, qui ne font pas une politique publique. En effet la LOM a utilement décrété qu’il ne devait pas y avoir de zones blanches des mobilités. Or, certains EPCI sont dépourvus de base fiscale de « versement mobilité 1 » faute d’un tissu d’entreprises suffisantes sur leur territoire. Cette rupture d’égalité doit encore être corrigée. Seconde condition : que ces politiques soient organisées à bonne échelle et donc au plus proche des « bassins de mobilité » et en lien étroit avec les politiques d’urbanisme et d’aménagement du territoire. Les périmètres administratifs des EPCI sont en effet dépassés par les modes de vie de nos concitoyens qui ont pour souci d’aller d’un point A à un point B sans se préoccuper des organisations administratives.

La décarbonation des déplacements est un élément essentiel de réponse à l’impératif écologique auquel les espaces peu denses n’échapperont pas. Il convient de s’y préparer sans attendre. Plusieurs pistes d’avenir doivent être encouragées dans une logique intermodale :

Pour assurer la connexion des zones peu denses aux aires urbaines, l’ensemble des solutions doit être organisé dans une logique de rabattement vers les modes lourds (trains, lignes régulières de bus).

La voiture répond à 90 % des déplacements dans ces espaces. Aussi la « socialisation » d’une partie du parc s’impose comme une évidence. Elle prend des formes diverses comme l’autopartage ou le covoiturage.

Le développement des modes actifs, de la marche au vélo sous toutes ses formes (vélo à assistance électrique, vélomobile), constitue une piste d’avenir mais exige la mise en place dans les campagnes d’un véritable « système vélo », en adaptant les chaussées, les stationnements et en organisant la cohabitation entre les modes.

Trois paramètres se combineront pour dessiner l’avenir des mobilités pour les habitants des espaces peu denses : la reconfiguration résidentielle vers les campagnes, l’existence ou non de politiques publiques volontaristes de diversification des mobilités et enfin l’appropriation ou non par les habitants des mobilités partagées. L’articulation de ces trois paramètres pourrait varier d’un territoire à un autre, dessinant des chemins divergents que j’ai tenté de décrire à travers 8 scénarios : de la « mobilité rêvée » (1) aux scénarios du statu quo et de l’échec (6 et 7).

S’il ne fait pas de doute que la voiture gardera une place prépondérante dans les mobilités du quotidien, la création par les collectivités d’un nouvel écosystème de mobilités douces et partagées permettra de tendre vers ce scénario idyllique. A moins qu’il ne touche, dans un premier temps que les « assignés territoriaux » ces personnes ne disposant pas de voitures : sans permis, pauvres ou handicapés… (scénario 2). Cet écosystème, s’il n’est pas approprié à une large partie de la population, pose les prémices de la transition en ce qu’il l’organise (scénario 5). Il pourrait également être initié par des entreprises ou associations, palliant les manques de moyens ou de volonté des collectivités dans certains territoires (scénario 3), voire par des individus grâce au lien social fort qui existe dans ces espaces (scénario 8).

L’enjeu est bien de remettre en cause notre système de mobilité à deux vitesses (performant et accessible dans les espaces denses, faible et coûteux dans les espaces peu denses) et avec lui les fractures territoriales, au risque de créer de nouveaux « gilets jaunes »


1. Taxe sur les salaires totalement affectées à la collectivité organisatrice des mobilités.

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