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Ecriture inclusive : du point médian au point final ?

L’écriture inclusive prônée par quelques-uns agace et dessert parfois même la cause qu’elle veut défendre. De nombreuses voix, dont celles d’élus, se font aujourd’hui entendre pour limiter les effets indésirables de cette écriture. Non sans mal.

Question écriture inclusive, les universités sont en pointe. Elles sont en effet de plus en plus nombreuses à l’utiliser dans toutes leurs communications. Au grand dam souvent d’étudiants déconcertés (et désespérés) par l’utilisation de l’écriture inclusive par leurs professeurs dans leurs cours et dans leurs exigences. Dernier exemple en date, Sciences Po Paris qui encourage(ait) fortement ses élèves à l’utiliser dans les copies d’un partiel de sociologie avec bonification de points à la clé. Une vague de fond qui tend à s’étendre. Depuis François Hollande dont et notamment le Ministère en charge de l’Égalité entre les hommes et les femmes n’hésitait pas à promouvait un « manuel d’écriture inclusive », celle-ci pénètre insidieusement, discrètement mais sûrement aussi toutes les strates de l’administration – comme à la mairie de Paris, de Lyon ou dans d’autres collectivités territoriales. « Le point médian » fait son apparition dans les documents administratifs finissant par les rendre illisibles et inintelligibles à beaucoup de nos concitoyens s’étranglent les linguistes. Pourtant une circulaire signée d’Edouard Philippe en novembre 2017 avait bien tenté d’en limiter l’utilisation. Il était recommandé aux ministres et secrétaires d’Etat, « en particulier pour les textes destinés à être publiés au Journal officiel de la République française, à ne pas faire usage de l’écriture dite inclusive ». Une « invitation » qui n’a jamais été une interdiction. Et voilà une brèche dans laquelle quelques-uns se sont engouffrés. Aujourd’hui faisant fi de la circulaire, de Gérald Darmanin, à Elisabeth Borne ou Cédric O et Elisabeth Moreno, ils sont de plus en plus nombreux à glisser dans leurs tweets un point médian. Interrogé par nos confrères du Point, Philippe Moreau-Chevrolet, expert en communication politique note que « cela semble largement improvisé, voire anarchique ». Pas dupe, l’expert poursuit : « Certains d’entre eux prennent le train de l’écriture inclusive pour ne pas être attaquables sur les réseaux, où ils pourraient passer pour des ringards. En s’affichant inclusifs, ils achètent une forme de tranquillité et affichent à peu de frais une posture féministe ».

Une situation, pas encore hors de contrôle mais qui inquiète et fait peu à peu réagir. Soucieux, des élus se sont au fil du temps emparés du sujet. En décembre 2020, la sénatrice LR Muriel Jourda adresse une question écrite à Frédérique Vidal dans laquelle « elle attire l’attention de madame la ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation sur les directives qui seraient données par le ministère en ce qui concerne l’utilisation de l’écriture inclusive. En effet, celle-ci semble gagner de plus en plus de terrain ». Elle attend toujours la réponse. Dernièrement une centaine de députés issus de tous les groupes politiques ont signé une proposition de loi visant à « interdire l’écriture inclusive dans les documents administratifs ». L’initiateur de ce texte, le député LREM de l’Indre François Jolivet ne décolère pas. « S’attaquer à l’orthographe, en se réfugiant derrière l’écriture inclusive, est un bien petit combat dans la cause pour l’égalité homme-femme ! » souligne le député qui dénonce fermement « un combat militant, le fruit d’une vision personnelle en rien majoritaire, aujourd’hui entré dans le service public ». Et le député de donner l’exemple sur son compte twitter de l’apparition de « nouveaux mots » comme “iels” pour “ils/elles”, “toustes” pour “tous/toutes”, “celleux” pour “celles/ceux”. “Cher·e·s lecteur·rice·s déterminé·e·s”

Pour ces élus, il ne s’agit nullement de s’opposer à une plus grande et nécessaire égalité entre les femmes et les hommes mais bien plutôt de montrer à quel point l’utilisation de l’écriture inclusive en compliquant l’apprentissage de la lecture et de l’écriture est « illisible et discriminante », notamment pour les élèves « dys » [dyslexiques ou dysphasiques, NDLR] et pour les populations aveugles ou malvoyante et âgées. « Quand on est payé par l’impôt, on se doit d’être compris par tous » insiste François Jolivet qui ne se voit absolument pas comme « un réactionnaire » mais comme « un défenseur de la langue française ». En soutien de leurs textes, les cosignataires s’appuient notamment sur les recommandations de l’Académie française qui qualifie l’usage de l’écriture inclusive de « péril mortel » tout en mettant en garde contre le risque « d’aboutir à une langue désunie, disparate dans son expression, créant une confusion qui confine à l’illisibilité ».

Le débat est ouvert. Il ne sera pas apaisé et créé déjà des tensions au sein même du groupe majoritaire. Ce qui « a au moins le mérite de légitimer mon action » se félicite François Jolivet, « cela prouve que la circulaire d’Édouard Philippe ne suffit pas et qu’il y a besoin, sur cette question-là, d’un cadre légal. » La proposition de loi ne devrait pas être inscrite à l’ordre du jour avant 2022. 

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