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Pour un lobbying plus transparent et responsable

Par Sylvain Waserman, Député du Bas-Rhin, Vice-président de l’Assemblée nationale

Le monde change et les mouvements citoyens de ces dernières années en témoignent : les citoyens veulent des « circuits courts » entre eux et la décision publique.

Un Maire consulte largement les habitants avant tout projet dans sa ville, les stratégies économiques des régions s’élaborent avec les acteurs économiques, et les députés, eux, dans cette même logique, associent de plus en plus l’ensemble des parties prenantes dans l’élaboration d’un texte. Cette tendance de fond rapproche les citoyens des lois que l’on vote à Paris, mais elle pose avec une acuité particulière le sujet du lobbying. Qu’il s’agisse d’une association qui porte une cause ou d’un secteur économique qui défend ses intérêts, le lobbying fait partie intégrante du processus législatif. La question n’est pas de le nier ou de créer un « mur de Berlin » autour des députés pour les préserver, mais bien de préciser les règles et les bonnes pratiques qu’il faut imposer ou promouvoir pour encadrer cette relation. Pour que cette relation soit plus transparente, plus éthique, plus responsable.

C’est avec cette profonde conviction que j’ai commencé à travailler sur cette question dans le cadre de la délégation chargée des représentants d’intérêts et des groupes d’études que je préside, que j’ai lancé les « 48 heures chrono sur le lobbying » en mai 2019 à l’Assemblée, et que j’ai remis un rapport – le premier rapport officiel publié par une délégation sur le sujet – au Président de l’Assemblée nationale, le 2 février 2021.

L’Assemblée nationale, issue du peuple et en prise directe avec les citoyens, doit être l’artisan de ce nouveau rapport aux représentants d’intérêts (c’est le nom officiel des lobbies !). Elle doit être la première à répondre aux attentes légitimes des citoyens en la matière pour plus de transparence. Pour ce faire, quatre conditions me semblent essentielles : une plus grande transparence, une absence totale de conflits d’intérêts, le jugement libre et non faussé du député et la mise en œuvre d’un système de régulation, de contrôle et de sanction adapté. Ces quatre conditions fondent le rapport « Propositions pour un lobbying plus responsable et transparent ». Il repose précisément sur l’articulation de ces quatre conditions inhérentes au développement d’une relation plus éthique entre les responsables publics et les représentants d’intérêts.

Pour relever ce défi, il s’agit d’abord de sortir d’un mythe fondateur qui biaise beaucoup le débat : celui de l’empreinte normative. L’empreinte normative, c’est la possibilité de restituer l’ensemble des personnes et des éléments qui ont eu un impact sur l’élaboration de la loi. Cette question était au cœur de l’intention du législateur au moment de l’élaboration de la loi « Sapin 2 ». Il y a pourtant une sorte d’illusion méthodologique dans cette approche. Par exemple, les convictions ou la religion d’un député auront toujours plus d’influence sur ses prises de position sur la procréation médicalement assistée (PMA) que le nombre de lobbies qui l’auront approché. Une expérience dans tel ou tel secteur économique, une sensibilité à tel ou tel sujet ou une histoire personnelle aussi. En d’autres termes, il est vain de vouloir reconstituer « pourquoi » un député appuie sur POUR ou CONTRE au moment du vote, et d’essayer d’y trouver une explication qui aura l’illusion de l’objectivité. Chaque député est un citoyen avec son passé, ses convictions, ses engagements, ses croyances, et il est heureux qu’il vote en fonction. C’est une autre approche qui me semble devoir être développée : il est essentiel de comprendre l’empreinte normative vue du représentant d’intérêts, « à 360 degrés », c’est-à-dire l’ensemble des actions qu’il mène pour influer sur une décision. Le dispositif actuel d’encadrement du lobbying doit donc progresser. Il s’agit en priorité de renforcer la granularité des informations communiquées dans le reporting adressé à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, ainsi que sa fréquence. Mentionner le texte sur lequel un représentant d’intérêts agit, par exemple, ou intégrer toutes les interactions (sans exclure celles à l’initiative des députés) sont des avancées évidentes et immédiates à formuler.

D’autres options sont à prendre en compte comme, par exemple, compléter le dispositif actuel avec le développement de bonnes pratiques auxquelles il faut donner toute leur place, telles que la transparence des agendas ou bien le sourcing des amendements, qui consiste à citer les acteurs qui ont contribué à la réflexion ou à la rédaction des amendements, en toute transparence.

Il est nécessaire de donner toute sa place au développement de bonnes pratiques afin d’éviter l’écueil de l’inefficacité avec la multiplication d’obligations réglementaires. L’un des enjeux est de distinguer ce qui doit relever de l’un ou de l’autre. Rendre obligatoire la transparence des agendas des députés, par exemple, ne peut relever de l’obligation – car elle contraindrait des députés de l’opposition à une transparence dont le contrôle et les manquements relèveraient du Bureau, lui-même contrôlé par une majorité – une atteinte inenvisageable d’un point de vue démocratique. En revanche, une obligation qui porterait sur un rapporteur de texte, pour cette mission et pour une durée déterminée, pourrait aisément être mise en oeuvre et l’est déjà dans d’autres parlements.

Quelles sont les avancées concrètes ? La plupart des mesures de court terme que j’ai formulées dans mon rapport ont été adoptées lors du Bureau de l’Assemblée nationale du 20 janvier 2021. Il s’agit notamment de l’adoption d’un Code de conduite applicable aux lobbies plus exigeant (obligations déclaratives renforcées, délais de réponse, sanctions, respect de la RGPD, etc.) mais aussi des mesures de moyen terme qui sont en cours d’étude avec, par exemple, la déclaration orale d’intérêts lors des auditions d’experts (c’est un enseignement de la crise sanitaire pour garantir le jugement libre et non faussé du député), ainsi qu’une clause spécifique dans les contrats des assistants parlementaires (interdisant aux salariés d’accepter des dons, invitations ou avantages quelconques remis par un tiers, sans avoir obtenu l’accord formel et explicite du député).

La refonte de la relation aux lobbies qui a été engagée ces dernières années à l’Assemblée nationale est une étape majeure. Le rapport officiel d’une délégation sur le sujet est un signe et l’expression d’une volonté qui répond à une exigence citoyenne. Une étape déterminante a ainsi été franchie sous l’impulsion du Président Richard Ferrand.