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Pour une transition numérique écologique

Par Guillaume Chevrollier, Sénateur (LR, Mayenne)*

Le confinement a rimé avec isolement pour beaucoup de Français, éloignés du travail, de l’éducation, de la santé, faute d’un accès satisfaisant aux infrastructures numériques.

Dans certains départements, on se connecte via son smartphone à la 3G ou la 4G, faute de mieux. Remplir les objectifs du plan France très haut débit visant à une généralisation de la fibre dans notre pays relève d’une nécessité pour l’aménagement numérique du territoire.

Au Sénat, nous nous battons pour l’aménagement numérique du territoire et une bonne couverture en téléphonie mobile.

Alors que dans les prochaines années, de nouveaux usages vont apparaître avec l’essor de l’internet des objets et de la 5G, il semble indispensable d’évaluer et de prendre conscience des impacts environnementaux largement négligés du digital, de disposer d’un état des lieux solide et objectif et d’adapter en conséquence les politiques publiques à cette réalité.

Le numérique, grâce aux gains environnementaux qu’il rend possibles, notamment dans les secteurs industriels les plus émetteurs de gaz à effet de serre, est sans conteste indispensable à la transition écologique. Nous avons besoin du numérique et de l’innovation que le numérique permet pour que notre économie soit moins énergivore.

Cependant, le numérique est une source importante d’émissions de gaz à effet de serre : en 2019, il a émis 15 millions de tonnes équivalent carbone, soit 2 % du total des émissions de la France. En forte croissance, cette proportion pourrait atteindre 7 % en 2040.

Cela parait immatériel mais ce n’est pas le cas. Pour la fabrication d’un smartphone qui est produit en Asie il faut de l’eau douce ! Chaque Français a un smartphone renouvelé tous les 23 mois en moyenne donc on tire sur la ressource naturelle, avec un impact sur la biodiversité.

Les transitions écologique et numérique doivent être accompagnées de concert, et non séparément.

Co-rapporteur avec mon collègue Jean-Michel Houllegate, sénateur de la Manche, et sous l’impulsion de Patrick Chaize, sénateur de l’Ain, nous avons, après une mission d’information formulant des recommandations, travaillé sur une proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France.

Nous avons beaucoup travaillé et exploré. Nous avons auditionné de très nombreux acteurs du numérique et recueilli des contributions de chercheurs, de think-tanks, d’acteurs institutionnels, d’opérateurs, d’associations, d’entreprises ou encore d’écoles et de formations d’ingénieurs en télécommunications et de concepteurs de jeux vidéo.

Le contrôle parlementaire joue un rôle de vigie et d’impulsion important par la fabrique de la loi.

Face au manque de données relatives à l’empreinte carbone du numérique en France, la commission a demandé la réalisation d’une étude d’évaluation des politiques publiques menées pour réduire l’empreinte carbone du numérique, et obtenu un état des lieux solide permettant de définir une politique publique efficace.

Nous avons compris le caractère inédit de la mission sénatoriale. Secteur économique majeur, le numérique est très largement ignoré en tant que tel des politiques publiques visant à atteindre les objectifs climatiques fixés par l’Accord de Paris dont nous venons de fêter les 5 ans : il n’existe pas de stratégie transversale publique visant à en atténuer les impacts environnementaux.

Nous avons donc travaillé sur une proposition de loi, reprenant un certain nombre de propositions issues de notre rapport.

Le premier axe a pour objectif de faire prendre conscience aux utilisateurs de l’impact environnemental du numérique. Il faut éduquer, dès le plus jeune âge, à la sobriété numérique. Je ne suis pas sûr que la population française, et notamment les jeunes, sache que le numérique a une empreinte carbone. Il y a donc un vrai travail d’éducation à l’école pour que les élèves soient sensibilités à l’utilisation responsable des outils numériques.

L’idée est de toucher tous les citoyens, les acteurs publics et les entreprises.

Tous les acteurs que nous avons entendus sont d’accord : la sensibilisation à la sobriété numérique est un pré-requis incontournable.

Il s’agit aussi de ce qu’on pourrait appeler « l’écologie du code », qui passe par la formation et par la création d’un observatoire pour que les entreprises prennent conscience de leur impact.

Le second axe est de limiter le renouvellement des terminaux numériques, dont la fabrication représente 70 % de l’empreinte carbone du numérique en France. La réduction de l’empreinte carbone du numérique en France devra en effet tout particulièrement passer par une limitation du renouvellement des terminaux.

L’un de nos chevaux de bataille c’est notamment de renforcer la lutte contre l’obsolescence programmée, en sanctionnant l’obsolescence logicielle ou encore en allongeant la durée de la garantie légale de conformité des produits numériques de deux à cinq ans ;

Il faut vraiment en finir avec cette logique consumériste qui se résume à acheter, consommer, jeter.

Il s’agit là d’un impératif environnemental mais aussi économique : en passant du tout-jetable – alimenté par des imports qui grèvent la balance commerciale du pays – à un modèle circulaire – les politiques publiques peuvent favoriser la création durable d’emplois non délocalisables, et implantés dans les territoires.

À cet égard, la réduction de l’empreinte environnementale du numérique en France constitue également un acte de souveraineté économique ! La relocalisation des activités contribuera à réduire le bilan carbone du numérique français, dont 80 % des émissions sont produites à l’étranger

Le troisième axe, c’est de promouvoir des usages numériques écologiquement vertueux, par la promotion de l’écoconception via un référentiel général auquel devront se conformer les plus gros fournisseurs de contenus, qui occupent une part très importante de la bande passante : ce référentiel fixera notamment les règles relatives à l’ergonomie des services numériques.

Le quatrième axe consiste à faire émerger une régulation environnementale pour prévenir l’augmentation des consommations et émissions des réseaux et des centres de données. Concernant les centres de données, le texte tend par exemple à ce que les centres de données souscrivent auprès de l’Arcep à des engagements pluriannuels de réduction de leurs impacts environnementaux.

Il est urgent de définir une véritable stratégie de réduction de l’empreinte environnementale du numérique afin de réussir la transition numérique écologique.

La régulation que nous proposons dans le cadre de ce texte offre une alternative pragmatique à l’opposition stérile entre technophobes et technophiles béats. 


*Co-rapporteur sur la proposition de loi visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France

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