Print this page

De ports en ports

La proposition de loi relative à la gouvernance et à la performance des ports maritimes français votée au Sénat le 8 décembre dernier entend donner à nos ports maritimes et en particulier aux grands ports maritimes (GPM), en perte de vitesse, un cadre propice pour reconquérir des parts de marché.

Alors même que notre pays possède le deuxième plus grande domaine maritime français, trois façades maritimes métropolitaines (Manche-Mer du Nord, Atlantique, Méditerranée), un accès à tous les océans grâce à l’outre-mer et un réseau dense de 66 ports de commerce dont 11 GPM relevant de l’Etat, « La performance de nos ports en France reste décevante » résumait amèrement Michel Vaspart à l’origine de la proposition de loi (élu sénateur des Côtes d’Armor en 2014, il n’a pas souhaité renouveler son mandat en 2020). Les chiffres sont en effet assez accablants : depuis 2008, le trafic des GPM n’a eu de cesse de baisser et sont aujourd’hui à un niveau comparable à celui atteint au début des années 2000. Rendez-vous compte, le trafic de l’ensemble des GPM métropolitains est inférieur de plus de 40 % à celui du seul port de Rotterdam, par lequel transite également un tonnage trois fois plus importants de conteneurs. « Au total, le retard pris par la France représenterait de 30 000 à 70 000 emplois perdus sur la filière des conteneurs » indique Martine Filleul (SR, Nord), présidente de la mission d’information sur la gouvernance et la performance des ports maritimes (1). Plusieurs facteurs peuvent expliquer les difficultés de nos ports comme une désindustrialisation plus forte en France que dans d’autres pays européens, des restructurations affectant le secteur pétrolier et une conjoncture économique globale difficile. Mais cela ne suffit pas à tout expliquer.

Une absence de vision stratégique

Il y a aussi les grèves à répétition et l’épidémie de Covid-19 qui ont durement éprouvé les GPM, avec de fortes baisses de trafics. Il y a encore les coûts de passage portuaire plus élevés que leurs principaux concurrents, une insuffisance de la desserte de leurs places portuaires par des modes massifiés en raison notamment de sous-investissements de longue date – plus de 80 % des pré - et post-acheminements portuaires reposent encore sur le mode routier (2) - et une « image de fiabilité » écornée. Pour compléter le tableau, le rapporteur pointe « une absence de vision stratégique à long terme qui handicape les GPM dans la compétition internationale ». Il vise entre autre « le retard dans la publication de la nouvelle stratégie portuaire annoncée il y a maintenant trois ans » et qui n’a toujours pas vu le jour. « La coordination entre ports maritimes est également perfectible ajoute Martine Filleul, de même que celle entre les ports maritimes et les ports intérieurs. Les stratégies se superposent et se juxtaposent, comme les rapports (« En dix ans, vingt rapports » dixit Didier Mandelli, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable), mais ne s’articulent pas suffisamment entre elles » regrette-t-elle. Au final, pour les auteurs de la proposition de loi comme pour la mission parlementaire le résultat est là : « en 2020, plus de 40 % des conteneurs à destination de la France métropolitaine transitent encore par des ports étrangers » et la part de marché des GPM sur le segment des conteneurs en Europe s’élève à seulement 6,5 %.

Amélioration de la gouvernance des ports

Fort de ce constat, la proposition de loi entend donner des éléments de réponse et des moyens aux ports pour leur permettre de tenir le choc de la compétitivité et de renforcer leur attractivité. Le premier objectif du texte est la modernisation et l’amélioration de la gouvernance des ports français. Pour cela, le texte institue une stratégie nationale portuaire et tend à créer un Conseil national portuaire et logistique (CNPL) chargé du suivi de sa mise en oeuvre. Il renforce la représentation des collectivités territoriales et des acteurs économiques de la place portuaire au sein du conseil de surveillance de chaque GPM, tout en réduisant le nombre total de membres de ce conseil pour simplifier la gouvernance de ces établissements. Il consacre les prérogatives du conseil de surveillance sur la procédure de nomination et de révocation du directeur général d’un grand port maritime et vise à clarifier le rôle exercé par la tutelle à l’égard des directeurs généraux. La proposition de loi tend également à renforcer les pouvoirs du conseil de développement de chaque GPM en permettant à ce dernier de rendre un avis conforme sur le projet stratégique de l’établissement et comporte des mesures visant à clarifier le fonctionnement des conseils de coordination interportuaire. La possibilité envisagée d’une décentralisation de la propriété, de l’aménagement, de l’entretien et de la gestion des grands ports maritimes aux régions qui en feraient la demande, sous réserve de l’accord de l’État a été supprimée au cours de la discussion en séance publique.

Avec l’ambition de renforcer l’attractivité et la compétitivité des grands ports maritimes, le texte vise notamment à favoriser le développement futur de nos ports par la mise en place de nouveaux outils au service du renforcement de leur compétitivité et comporte plusieurs mesures relatives à l’exécution et à la régulation des services portuaires de pilotage et de remorquage.

Le Plan de relance, un premier pas

La proposition de loi souhaite également renforcer l’information du Parlement sur la politique portuaire nationale, avec notamment la remise de rapports du Gouvernement au Parlement sur quatre sujets : la soutenabilité de l’assujettissement des GPM à la taxe foncière et à l’impôt sur les sociétés, les leviers permettant de dynamiser l’attractivité des zones industrialo-portuaires, la progression de la stratégie des « nouvelles routes de la soie » de la République populaire de Chine et enfin les conséquences économiques et sociales de l’éventuelle extension de la convention collective nationale unifiée ports et manutention aux ports intérieurs, dans le contexte de l’intégration des ports de l’axe Seine.

Dernier grand sujet : le verdissement du transport de marchandises en accordant des moyens accrus. Il s’agit notamment d’élever la trajectoire d’investissements de l’Agence de financement des infrastructures de transport (Afitf) entre 2021 et 2027 fixée par la LOM mais aussi de prolonger jusqu’en 2025 le dispositif de suramortissement fiscal institué par la loi de finances pour 2019 pour les investissements concourant au verdissement du transport maritime et des infrastructures portuaires. Sur ce point, en séance, Hervé Maurey, co-auteur de la proposition de loi a toutefois tenu à rappeler que le rapport de la mission d’information a déjà produit des effets « puisque le Gouvernement a prévu dans le plan de relance un soutien du fret ferroviaire et un verdissement des ports. Mais les 175 millions d’euros prévus sur deux ans semblent insuffisants pour donner un véritable avantage comparatif à nos ports en termes de transition écologique. Le plan de relance est un premier pas, mais il faudrait aller au-delà ».

Devant les sénateurs, Jean-Baptiste Djebbari, le ministre délégué auprès de la ministre de la transition écologique, chargé des transports tout en regrettant cette proposition de loi qu’il ne voit pas comme le « bon véhicule » et que le gouvernement n’a pas soutenu, parce que nombre de mesures relevant du réglementaire sont en cours de mise en œuvre s’est cependant montré rassurant. Il a notamment indiqué que la stratégie nationale portuaire serait présentée « au début de l’année prochaine, autour de trois axes : compétitivité, souveraineté et verdissement »

1. Le rapport a été rendu en juillet 2020. La proposition de loi déposé par Michel Vaspart en constitue la traduction législative.

2. 50 % du fret conteneurisé du port d’Hambourg est acheminé par voie ferroviaire ou fluviale.

1142 K2_VIEWS