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Renégociation des contrats photovoltaïques : Allons voir de l’autre côté des Alpes

Par Anna Creti et Silvia Concettini, de la Chaire Economie du Climat

Le Gouvernement français souhaite renégocier les aides qu’il apporte à certaines installations photovoltaïques construites il y a une dizaine d’années.

Ce projet de renégociation suscite de vives oppositions, nourries par les incertitudes sur ce projet et l’absence d’une étude d’impact sur la filière. L’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) a invité Anna Creti et Silvia Concettini, de la Chaire Economie du Climat, à partager l’expérience italienne en la matière. L’Italie a en effet modifié rétroactivement ses aides aux grandes installations photovoltaïques en 2014, avec des mesures d’accompagnement et une affectation claire de l’argent économisé.

Dans son projet de Loi de Finances 2021, le Gouvernement français a introduit un amendement lui permettant de renégocier, rétroactivement, certaines subventions à l’énergie solaire, et plus précisément celles de grandes installations photovoltaïques qui bénéficient de tarifs d’achat garanti de leur électricité. La mesure prévoit la remise en cause d’un millier de contrats signés entre 2006 et 2010 avec les opérateurs de ces grandes installations de plus de 250kW. Pourquoi s’attaquer à ces contrats ? Le Gouvernement considère que ces installations bénéficient d’une rentabilité excessive et que, alors qu’ils représentent une faible part de la puissance photovoltaïque installée, ils pèsent lourd dans le Budget de l’État : 940 millions d’euros en 2020. Les modalités de cette renégociation n’ont pas été détaillées, mais l’exécutif pourrait raccourcir la durée des contrats, initialement de 20 ans, ou réduire de 30 à 40 % les tarifs d’achat de l’électricité. Il entend par ailleurs réinjecter les économies réalisées dans d’autres aides pour les énergies renouvelables, mais là aussi les modalités sont inconnues. Ces incertitudes, l’absence d’une véritable étude d’impact sur la filière ou encore la potentielle perte de confiance des acteurs économiques en la parole de l’Etat ont motivé l’opposition du Sénat à la renégociation des contrats photovoltaïques.

En Italie, des mesures d’accompagnement et une affectation claire de l’argent économisé

S’il est difficile de dire aujourd’hui ce qu’il adviendra en France de ces contrats et de leur projet de révision, il n’est pas trop tard pour apprendre des expériences étrangères. Plusieurs pays dont la République Tchèque ou la Grèce envisagent aussi une révision rétroactive des tarifs d’achat pour les énergies renouvelables et, par le passé déjà, des Etats ont renégocié les conditions des contrats de long terme dans le marché du photovoltaïque. C’est le cas de l’Espagne, où des réductions rétroactives des tarifs d’achat ont commencé en 2010. Et de l’Italie. Le cas italien est le plus intéressant à analyser car, de l’autre côté des Alpes, la révision des tarifs d’achats de 2015 a été de pair avec des mesures d’accompagnement et une affectation claire des économies réalisées grâce à cette réforme. De quoi donner des idées pour le projet de renégociation français qui n’a pas détaillé, lui, tous ces aspects pourtant fondamentaux pour l’acceptabilité et la mise en œuvre d’une éventuelle révision.

L’Italie a modifié rétroactivement les tarifs d’achat pour les installations d’une puissance supérieure à 200 kW. Un opérateur de ce type d’installation pouvait choisir entre trois options : maintien de la durée de 20 ans du contrat et, pour les années restantes, une réduction du tarif d’achat de son électricité indexée sur la taille de l’installation, les plus grandes étant les plus pénalisées ; maintien de la durée de 20 ans couplée à une réduction du tarif pour une première période et une augmentation pour une deuxième période, selon des pourcentages définis par le ministère du développement économique et en gardant la restriction globale du montant ; une réduction du soutien indexée sur la durée restante du contrat, associée à une extension de la période d’aide de 20 à 24 ans. A défaut de choix, c’est la première option qui s’appliquait.

Pour accompagner la filière, les investisseurs touchés par la reforme ont eu accès à des prêts bancaires pour un montant maximum égal à la différence entre l’ancien et le nouveau niveau de subvention. Ils ont aussi eu la possibilité de transférer les incitations (jusqu’à un seuil de 80 %) à un acheteur sélectionné parmi les principaux opérateurs financiers européens. Les économies engendrées par ces mesures ont permis d’alléger la facture de certains utilisateurs : ceux de moyenne et basse tension ayant une puissance connectée supérieure à 16,5 kW. Cet allègement s’est notamment fait par la réduction des charges de système, c’est à dire des régimes tarifaires qui permettent de financer le soutien aux énergies renouvelables intermittentes et de payer les coûts engendrés par ces dernières sur le transport et la distribution d’électricité. Un cercle que l’on pourrait qualifier de vertueux.

L’exemple italien est aussi intéressant parce qu’il apporte des éléments de réponse à la question : cette révision rétroactive est-elle juridiquement robuste ? La modification des termes des contrats italiens a évidemment été suivie par des nombreux recours administratifs et, en 2016, la Cour Constitutionnelle a déclaré enfin la constitutionalité du décret. Des recours ont été ensuite présentés au niveau européen, à la Cour de Justice de l’Union Européenne. Dernier épisode en date : l’un des 11 avocats généraux de la CJUE dans l’avis rédigé le 5 Novembre 2020 affirme que le décret de 2014 contenant les révisions rétroactives des tarifs d’achat ne représente pas une violation du droit européen. La mesure de renégociation est donc légitime, et les États membres de l’UE sont libres d’adapter, de modifier ou de retirer les régimes de soutien. Mais, car il y a un mais, l’avocat général de la CJUE précise qu’ils peuvent le faire « à condition que les objectifs en matière d’énergies renouvelables soient atteints ». L’avis sera maintenant examiné par l’ensemble des 27 juges de la Cour avant qu’une décision finale ne soit rendue. Le « mais » exprimé n’est pas un sujet pour l’Italie, qui fait partie des « bons élèves » européens en la matière. La France, par contre, est en retard avec ses 9,435 GW de puissance photovoltaïque installée en 2019. Rappelons que selon la PPE l’objectif est d’atteindre entre 35,1 et 44 GW de photovoltaïque installé pour 2028, avec un objectif intermédiaire de 20,1 GW en 2023.

La transition n’est pas un « long fleuve tranquille »

Une crainte évoquée par de nombreux acteurs en France est que la renégociation rétroactive des tarifs que souhaite le Gouvernement affaiblisse la parole de l’Etat. La remise en cause d’engagements pris il y a plus de 10 ans introduirait une nouvelle incertitude sur la crédibilité des engagements de l’Etat sur le long terme, avec des conséquences sur les nouveaux investissements photovoltaïques et le développement de la filière. Dans la littérature économique, quand un acteur qui s’est engagé sur le long terme, par exemple pour inciter une entreprise à investir dans une infrastructure lourde, change de position et revient sur sa parole, on parle de « hold-up ». C’est la terminologie utilisée par Williamson en 1979.

Que peut nous apprendre le cas italien sur les conséquences d’une révision tarifaire rétroactive sur le développement de la filière photovoltaïque ? Les données italiennes montrent une stagnation des investissements dans les installations photovoltaïques à partir de 2014, mais il serait difficile d’établir un lien de causalité entre la révision des contrats historiques et cette stagnation. En effet d’autres réformes importantes ont eu lieu dès 2014 sur les aides à l’électricité photovoltaïque, et pas seulement pour les installations existantes : les nouveaux projets ont aussi été fortement affectés, qu’ils soient de grande ou de plus petite taille, par l’élimination totale des tarifs de soutien. Ce qu’il faut plutôt retenir de ces données, c’est que l’industrie photovoltaïque est encore très dépendante des aides publiques et très sensible aux évolutions des conditions d’octroi de ces aides. Et qu’il faut donc y toucher avec précaution.

Aussi bien en France qu’en Italie, les acteurs de la filière photovoltaïque opèrent dans un contexte très incertain : il y a beaucoup d’incertitudes sur le coût des panneaux comme sur les prix de l’électricité sur le marché, en amont comme en aval de la chaîne de valeur. Tout l’enjeu pour les pouvoirs publics est de réussir à sécuriser les investissements nécessaires pour la transition énergétique, dans un tel contexte d’incertitude, sans créer de rentes excessives, et sans créer de nouvelles incertitudes en changeant trop souvent les mécanismes d’aide. La tâche est ardue… On peut néanmoins s’inspirer de ce qui fonctionne ailleurs ou dans d’autres secteurs. Dans le secteur gazier par exemple, les contrats de long terme ont joué un rôle fondamental pour le développement des infrastructures, avec une réduction importante des risques pour les investisseurs : ils ont des ventes garanties en termes de quantités et de prix d’achat dont les révisions sont prévues ex ante, à des dates fixes, ou en réponse à des évènements exceptionnels tels que des chocs de demande ou d’offre. Ainsi, des mécanismes de révision des tarifs d’achats peuvent par exemple être intégrés ex-ante dans les contrats, afin de prendre en compte les changements de contexte économique. Une piste de réflexion alternative et nouvelle serait de raccourcir la durée des contrats, ce qui réduit l’horizon de l’incertitude et probablement aussi le montant total du soutien. Bref, il va falloir être plus créatif pour l’avenir !