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Le supplice de la goutte chinoise ou la guerre d’usure

Par Boualem Sansal, Ecrivain

Que chacun se pose la question : « Combien de temps résisterais-je au supplice de la goutte chinoise ? » Réponse honnête exigée. Ceux qui ont connu le supplice de la mouche du coche, du moustique nocturne, des souris qui gambadent dans les combles, de la girouette qui grince à vous rayer les dents, savent ce qu’il en est, la résilience humaine est une chose théorique. En vrai, quand de plus les mauvais jours s’installent et que le doute se fait oppressant, c’est le sauve-qui-peut au moindre bruit.

Je l’avoue, je suis de ceux qui ne parieraient pas gros sur le citoyen européen, il a tant aseptisé son environnement, tant appris sur la transmission des maladies par les insectes et les rongeurs et sur les troubles causés par la peur et le manque de sommeil, pouvant conduire jusqu’à la folie, qu’on subodore qu’il cédera à la première gouttelette. S’il a des choses à avouer, il le fera, et s’il a des choses à abandonner, il le fera aussi. La tranquillité et le confort chez soi en bonne compagnie valent bien quelques faiblesses.

Autre question : combien de temps, une famille honnête et pacifique résistera-t-elle à des troubles répétés soir après soir sous sa fenêtre ? Il ne s’écoulera pas une saison que sa cohésion volera en éclats.

Même question et même conséquence pour un village, une ville, un pays, un continent. L’effet d’échelle fera qu’un pet de lapin sera perçu comme une attaque massive au gaz sarin. Au supplice de la goutte, aux troubles incidents, aux alertes incessantes, aux mauvaises nouvelles qui fuitent des ministères, de l’intérieur en premier, de la justice, de la défense, de l’économie, du travail, de la santé, des affaires étrangères, de l’éducation, de la culture, de l’agriculture, décryptées à la hâte par les médias électroniques et aussitôt déformées et amplifiées dans les réseaux sociaux, s’ajouteront les agissements des opportunistes et des profiteurs de tout poil, trafiquants, spéculateurs, casseurs et autres, ainsi que les micmacs de certains pays connus pour leur interventionnisme malveillant dans les affaires d’autrui.

Voilà ce que goutte chinoise et longueur de temps peuvent provoquer. Ce sont des choses à savoir pour évaluer lucidement sa capacité à résister au mal.

Je voudrais maintenant parler d’un pays ami, la France, qui n’est plus vraiment elle-même ces dernières années, que j’aime par-dessus tout et qui m’aime et qu’il me tarde de revoir, ce que je ferais le jour même où les liaisons aériennes entre l’Algérie et la France seront rétablies, le plus tôt serait le mieux, la raison et les intérêts réciproques le réclament, en espérant la trouver en bonne forme et unie en elle-même.

Mais à la vérité, je suis terriblement inquiet pour elle. Et triste comme on peut l’être lorsqu’une belle histoire tourne au drame. Sa résilience est mise à rude épreuve dans ce contexte de guerre mondiale déclenchée par la Covid chinoise contre l’humanité. Attaque qu’elle a bêtement sous-estimée quand il fallait promptement prendre les armes et la repousser, pour ensuite la surestimer gravement quand elle refluait, pour se rattraper en fait et faire oublier sa suffisance passée, sans pour autant décréter la mobilisation générale et vérifier que les arsenaux sont pleins, plus que ne l’étaient les stocks de masques et de chloroquine. Le résultat est là, la voilà à terre, groggy pour longtemps, incapable de faire face à la vague suivante qui déjà pointe à l’horizon.

Pour le repos des morts et l’honneur du pays, les quelques rares responsables encore debout devront s’obliger à ce devoir : nommer les coupables puis les conduire chez le juge, montés sur des ânes, sous les huées du peuple. Je leur conseille dans la foulée de faire ensuite quelque chose de fort, un acte symbolique qui apaise les cœurs et marque le début de la résurrection, je ne sais quoi, l’équivalent par exemple de l’exorcisme et du sacrifice sanglant dans les sociétés primitives. L’espoir ne vient pas avec des discours bien chiffrés et des annonces administratives, il suit les chemins de la haute magie.

Last but not least, je lis dans les journaux en ligne que la France subit une nouvelle vague d’attentats islamistes. Les derniers en date dénotent une claire volonté de monter en horreur et de sidérer jusqu’à l’aveuglement la population déjà abattue par le Corona. Deux de commis mais combien déjoués, qui auraient faire pire, nous ne le saurons pas, le nombre est secret-défense, il ne faut pas désespérer les masses populaires, on les pousserait dans les bras de qui on sait. L’islamisme qu’on croyait mis en veilleuse par le virus, comme tout le reste, l’économie et la culture, a trouvé dans cette atmosphère de mort et de faillite le bon air qui l’excite tant. Comme toujours, il tue en faisant de la pédagogie, qu’on comprenne bien sa religion, il nous explique ce qu’il visait en égorgeant un professeur près d’un collège, le savoir et la liberté d’expression, en égorgeant des femmes dans une basilique, le christianisme et les femmes mal habillées.

J’apprends aussi que les autorités françaises se sont beaucoup exprimé, et à haute voix, elles ont dénoncé la barbarie, affirmé que la liberté d’expression est un droit fondamental, que les frontières seront mieux gardées, et répété avec force que l’islamisme n’est pas l’islam, et que les menaces du président turc étaient tout simplement inadmissibles. C’est fort.

J’ajoute que j’ai été agréablement surpris d’entendre le ministre de l’intérieur dire qu’il allait demander au préfet de la Seine-Saint-Denis de fermer la mosquée de Pantin, repère de frelons salafistes connu de tous, de dissoudre l’association des Loups Gris, bras paramilitaire d’Erdogan en France. C’est bon à prendre, ça va remonter le moral des troupes et faire oublier un court moment la guerre dans les hôpitaux et la polémique entre Paris et Marseille.

J’ai compris en parcourant le web que la population était à bout, et que des marches, des recueillements, des hommages, ont été organisés sur les lieux des crimes. L’émotion, les discours, c’est bon, ça soulage. Chacun a pu venir déposer une prière, une fleur, une lettre, une peluche. Voilà qui va calmer les terroristes qui se préparaient à sévir. Ils auraient passé la main à leurs frères en Autriche, qui ont frappé Vienne, cette ville maudite qui avait stoppé les cavaliers d’Allah en route vers Rome, le cœur de la chrétienté. L’histoire ne s’arrête pas en islam, la Parole de Dieu ignore les contingences temporelles et spatiales. Vienne, Rome, la France fille aînée de l’Eglise, mais infidèle aux promesses de son baptême, sont pour leur malheur sur le chemin du Grand Djihad. Deux fois, au 16e et au 17e siècle Vienne la maudite a arrêté le Grand Djihad, elle ne le fera pas une troisième fois, foi de Recep Tayyip 1er.

Et pourtant, malgré les brumes et les nuages qui obscurcissent le ciel et les cœurs, il faut se projeter dans l’avenir et se persuader que la France vaincra la Covid, vaincra le terrorisme, éradiquera l’islamisme et fera de l’islam des Lumières sa nouvelle religion, garante absolue de sa sécurité.

Comment faire, telle est la question. En vérité, la chose est des plus simples. Deux chemins sont possibles. Faire ce que Constantin 1er a fait en 380 après J.-C., se convertir au christianisme et en faire la religion officielle de l’empire. Le président Macron se convertit à l’islam en la Grande Mosquée de Paris et décrète aussitôt que l’islam est religion d’Etat en France ; l’autre possibilité, qui demande du temps et des efforts, est d’appliquer les recommandations formulés par Hakim el Karoui dans le rapport de l’institut Montaigne, au titre très constantinien « Un islam de France est possible », remis au président Macron en septembre 2016.

Quel autre chemin que celui emprunté par Constantin qui par décret a créé l’occident chrétien, en vigueur encore de nos jours, ou celui proposé par Hakim el Karoui qui mènera au même résultat mais plus lentement et, sans vouloir critiquer el Karoui, je dirai à celui qui doit décider en la matière, qu’il faut pédaler vite pour que le vélo roule droit.

L’idée que j’ai voulu faire passer dans ce texte est que ce serait bien de profiter du confinement pour réfléchir. Le grand Einstein l’a dit, il n’y a pas de problème sans solution. En fait il a dit : « Un problème sans solution est un problème mal posé »