Print this page

Le télétravail, un bien pour un mal ?

Avec le confinement, le télétravail est placé sous le feu des projecteurs. En mai, ce mode de travail a été plébiscité par les salariés, moins par le patronat qui, sous pression et au regard du nouveau contexte sanitaire, vient pourtant d’accepter d’ouvrir des négociations sur ce sujet présenté par la Ministre du Travail comme une « attente sociale forte ». Pourtant, le débat reste ouvert entre avantages et inconvénients du télétravail.

Le télétravail n’est pas une découverte, il a seulement été mis sous les feux de la rampe avec la pandémie et le confinement. Il est aussi de plus en plus présenté comme un geste barrière au développement de la Covid. Ces dernières années, plus de 500 accords collectifs ou chartes en entreprises ont été signés. En 2019, on estime que 30 % des salariés du privé exerçaient en télétravail contre 25 % en 2017 selon une étude de Malakoff Humanis. Avec la crise sanitaire, le nombre de salariés en télétravail a avoisiné les 40 %, un actif sur cinq (20 %) l’a même exercé à temps plein durant cette période. Et les salariés en redemandent. En mai, un sondage a révélé qu’ils étaient 73 % à vouloir poursuivre le télétravail ponctuellement ou régulièrement. Ce qui n’a pas échappé à la Ministre du Travail Elisabeth Borne qui y voit même là une « attente sociale forte » dont il importe de tenir compte. Les syndicats se sont également engouffrés dans la brèche en demandant que soient rapidement ouvertes des négociations sur le sujet. D’abord hostile, le patronat - Medef, U2P et CPME - a finalement admis la nécessité de discuter du sujet « pour répondre aux aspirations des salariés, et afin qu’ils s’y retrouvent ». Ces négociations pourraient être aussi l’occasion d’unifier et de synthétiser les différents textes sur le sujet abordé dans les accords de 2005, la loi de 2012 et les ordonnances de 2017. Pour autant, pour le patronat qui s’inquiète déjà d’une trop grande rigidité des textes ou du coût pour les entreprises, il n’est pas question que le potentiel accord soit « normatif » ou même « prescriptif ». Pour Hubert Mongon, négociateur du Medef, il ne s’agit pas « de revenir sur le droit positif, mais de rappeler certains grands principes » comme la réversibilité et le double volontariat déjà inscrits dans le code du travail. « 5 millions de salariés, 5 millions de situations différentes » rappelle-t-il à juste titre. Les négociations ne s’avèreront ensuite sans doute pas simples, dès lors qu’elles devront aborder des thèmes aussi divers que la mise en œuvre du télétravail, la formation des managers, des salariés, l’organisation du temps de travail (droit à la déconnexion, etc.), l’aménagement du lieu de travail et les frais induits (matériel, frais professionnels, etc.), sans oublier la question sensible de l’isolement du salarié.

Une image idéalisée du télétravail ?

Car il s’agit bien d’aller au-delà de l’image idéalisée du télétravail et du salarié qui dans une pièce dédiée de sa maison secondaire peut tout en télétravaillant à sa guise profiter aussi de son jardin et de ses enfants. Toutes les professions ne sont pas éligibles au télétravail et tout le monde n’est pas logé à la même enseigne (problème d’organisation de son travail, de son lieu de travail et de séparation entre vie privée et professionnelle). L’Insee a ainsi pu estimer que pendant le confinement « 58 % des cadres et professions intermédiaires ont télétravaillé, contre 20 % des employés et 2 % des ouvriers » et « 21 % des personnes les plus modestes ont télétravaillé pendant le confinement contre 53 % des plus aisés ».

La distanciation avec le reste de l’équipe peut aussi se révéler être très vite un souci voir même un handicap. Loin des yeux, loin du cœur. Une situation qui a, semble-t-il, été identifiée par l’Association nationale des DRH qui dans une enquête menée en juin dernier souligne que « 88 % des DRH sont conscients des risques que cette pratique peut faire peser sur le sentiment d’appartenance ou la cohésion entre salariés ». Ils sont tout aussi conscients de la réalité d’une fracture sociale entre ceux qui sont éligibles et ceux qui n’en auront pas l’option (88 %). La présence au bureau est aussi pour beaucoup, au-delà de la nécessité de sortir de chez soi, le moyen d’échanger, de se comparer, de dire sa fierté du travail accompli ou encore de faire part de ses doutes. Se retrouver seul chez soi, face à son ordinateur, peut être anxiogène pour une part non négligeable de salariés qui pour compenser pourrait travailler plus que demandé passant finalement du burn out au bore out (Quid de la santé du salarié ?). Le télétravail est exigeant : que l’on soit à la maison ou au bureau, les résultats et les gains de productivité sont tout aussi attendus (par 64 % des DRH).

Misant sans doute sur les dires de certains salariés déclarant être plus productifs en télétravail, le Ministère de l’Economie et des Finances croit pouvoir affirmer que le télétravail pourrait accroître la production et la productivité de 5 à 30 % selon les situations. L’OCDE est pour sa part plus circonspecte et pointe même des « effets négatifs potentiels ». « Les réunions en face-à-face sont propices à une communication plus performante que ne le sont d’autres formes d’échange à distance tels que le courrier électronique, le chat ou le téléphone » souligne notamment l’OCDE. L’absence d’interaction avec ses collègues est aussi pour l’organisation un frein au « processus d’acquisition de compétences par la pratique » et à la circulation et au partage des connaissances. Le télétravail nécessitera forcément une refonte du système managérial (93 % des DRH), avec un rôle du manager amené à évoluer « pour clarifier les priorités, donner plus de sens, des objectifs clairs et atteignables et développer les équipes ».

Rien de simple ni d’évident. Tout est question d’équilibre et de dosage entre travail au bureau et télétravail. Où placer le curseur, voilà l’enjeu des négociations en cours.

Fin septembre, 12% des salariés étaient en télétravail, 70% travaillaient sur site et 3% étaient en chômage partiel complet souligne une enquête de la Dares, le service de statistiques du ministère du Travail (26 octobre). Les chiffres montrent que la part des salariés de retour sur site avait augmenté par rapport à fin août (55 %) avec notamment le retour de congés de salariés. Ils étaient également plus nombreux sur site en septembre qu’en juin (63%). Cela s’explique par la baisse de nombre de salariés en télétravail en septembre (12%) contre 17% en juin et par une part plus importante de salariés en chômage partiel complet en juin (7%) contre 3% en septembre. Ils étaient 9 millions en chômage partiel complet en avril, 1,3 million en août et 1,1 million en septembre. Au regard de la dégradation sanitaire, le gouvernement rappelle que le télétravail « n’est pas une option ». « Si 100 % de vos tâches peuvent être faites à distance, vous devez être 5 jours sur 5 en télétravail » a précisé la ministre du Travail, Elisabeth Borne.

1107 K2_VIEWS