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Calédonie : le jour d’après

Par René Dosière, Membre honoraire du Parlement, Rapporteur de la loi organique sur le statut de la Nouvelle Calédonie

Le référendum calédonien du 4 octobre peut être l’objet de deux lectures. La première, conjoncturelle, s’attache aux résultats. Il en ressort une participation électorale record : 85,7 % des inscrits. Deux ans auparavant, lors du premier référendum, cette participation était déjà élevée (81 %) retrouvant celle d’une élection territoriale de 1985 (81 %) Si le NON, c’est-à-dire le refus de l’indépendance l’a emporté (81 503 suffrages soit 53 % des exprimés), on observe surtout une progression significative du OUI (à l’indépendance) avec 71 533 suffrages en hausse de +3,5 points.

Déjà, il y a deux ans, le OUI atteignait 43 % en progression de 3 points par rapport aux scrutins précédents. Les indépendantistes sont donc satisfaits de ce score. En conséquence, ils réclament un troisième référendum, procédure prévue par l’Accord de Nouméa. Ce référendum doit se dérouler, au plus tard, en novembre 2022 et porter sur la même question. Les non -indépendantistes – qui se font appeler « loyalistes » - ont la victoire modeste, quand ils considèrent l’évolution des votes. Traditionnellement, ils atteignaient 60 % des suffrages, proportion passée à 57 % en 2018 et aujourd’hui à 53 %. Ils sont hostiles à un troisième référendum binaire, au profit d’une consultation sur un projet (à élaborer) succédant à l’Accord de Nouméa. Rappelant que ce dernier est caduc en 2022, quel que soit le résultat et qu’il est donc préférable de discuter dès maintenant.

La seconde lecture de cette consultation, qui est la mienne, est plus structurelle. Je relève en effet que la cartographie électorale de la Nouvelle Calédonie ne s’est pas modifiée depuis 1985 (consultation de référence du fait de la participation électorale).

Là où résident les Kanaks le vote est massivement indépendantiste, là où les autres ethnies (essentiellement européennes) prédominent, en particulier dans la province sud, autour de Nouméa, le vote est massivement anti-indépendantiste. Les quelques variations intervenues entre ces trois consultations (1985, 2018, 2020) ne changent rien à cette réalité. Trente années de développement économique, de reconnaissance du peuple kanak et de ses coutumes, du transfert à la Calédonie de compétences exercées auparavant par la France (enseignement, santé, droit civil et du travail, fiscalité, exploitation minière), d’une Assemblée territoriale (le Congrès) dotée du pouvoir législatif (une première dans notre histoire), n’y ont rien changé.

L’avenir institutionnel de la Calédonie, tout comme le vivre ensemble de ses habitants, ce que l’on appelle le destin commun, doit prendre en compte ces deux réalités : l’aspiration identitaire à l’indépendance du peuple Kanak et la volonté des européens de demeurer dans la France.

Pour y parvenir, il importe bien sûr de dialoguer dans le même esprit qui a présidé, aux accords de Matignon-Oudinot (1988) et à l’Accord de Nouméa (1998). Il est donc nécessaire d’en terminer avec le climat d’affrontement politique qui domine depuis 2016 en Calédonie, favorisé par la répétition de consultations binaires et les rivalités personnelles au sein des partis politiques.

Pour envisager l’avenir de la Calédonie, il existe deux documents de base.

D’abord, le préambule de l’Accord de Nouméa. Ce texte, remarquable à tous égards, évoque les ombres et les lumières de la colonisation, reconnaît à chaque communauté ethnique la même légitimité à résider sur le territoire et trace les chemins de l’avenir « le passé a été le temps de la colonisation. Le présent est le temps du partage, par le rééquilibrage. L’avenir doit être le temps de l’identité dans un destin commun. La France est prête à accompagner la Nouvelle Calédonie dans cette voie ». Chacun des futurs négociateurs devrait connaître par cœur ce texte fondateur que l’on a oublié trop souvent.

Le second texte évoque les modalités concrètes de l’avenir de la Calédonie : il s’agit du rapport publié en 2014 par deux experts indépendants : le conseiller d’État Jean Courtial et le professeur d’université bordelais Ferdinand Mélin-Soucramanien. Ce document évoque quatre scénarios : l’indépendance pure et simple, le maintien du statu-quo, la pleine souveraineté en partenariat avec la France et l’extension de la souveraineté interne. Ces deux derniers scénarios correspondent aux positions publiques exprimées par les indépendantistes (souveraineté partagée avec la France) et les loyalistes modérés (une petite nation calédonienne dans la grande Nation française)

Toutefois pour éviter les postures et les blocages passés, il convient de faire participer la population à l’élaboration de son avenir. C’est pourquoi, je réclame qu’un grand Débat soit organisé qui permettra à chacun d’exprimer ses véritables préoccupations. Il revient aux gouvernements respectifs de la France et de la Calédonie de s’accorder sur les modalités pratiques de ce grand Débat. 

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