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Le retour controversé des néonicotinoïdes

Le projet de loi autorisant la réintroduction temporaire de l’insecticide « tueur d’abeille » pourtant pleinement interdit en 2018 a été adopté à l'Assembléee, non sans douleur. De nombreux députés LREM ont voté contre ou se sont abstenus.

“C’est un texte difficile, important, qui ne veut pas opposer économie et écologie” justifie le Ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie face à la fronde de nombreux députés, non seulement de l’opposition mais de son propre camp aussi. « La question est celle de notre souveraineté » assure-t-il.

Pour préserver les cultures de betteraves sucrières touchées par un puceron envahissant, vecteur de la « jaunisse des betteraves » - 30 à 40 % des champs seraient contaminés, avec une perte de rendement entre 40 et 50 % dans les régions les plus touchées -, les députés ont voté, dans la douleur, la réintroduction jusqu’en 2023 des néonicotinoïdes. Cet insecticide permet de protéger les nouvelles semences et sa réintroduction temporaire doit permettre, dit-on, de sauver la filière sucrière française qui représente pas moins de 46 000 emplois, 26 000 planteurs dans les champs, 20 000 emplois indirects principalement dans les 20 sucreries françaises. On produit en France près de 40 millions de tonnes de betteraves sucrières dont on extrait environ 5 millions de tonnes de sucre blanc mais aussi d’autres produits (biocarburant, gel hydroalcoolique). Mais là où le bât blesse, c’est bien que ce violent insecticide, qualifié de « tueur d’abeilles », a été pleinement interdit en 2018, sous l’impulsion notamment de Barbara Pompili, alors députée aujourd’hui Ministre de la Transition écologique... « On est tous contre ces insecticides tueurs d’abeilles » a admis Julien Denormandie qui a soutenu qu’il n’existait pas « aujourd’hui d’autres alternatives ». Et « tuer une filière française pour importer des sucres polonais, allemands ou belges » n’est évidemment pas envisageable. Pour justifier l’adoption du texte, le gouvernement s’est alors appuyé sur le règlement européen sur les phytosanitaires permettant de déroger à l’interdiction. Mais ce revirement passe mal. Colère notamment de l’ex-ministre de l’environnement, Delphine Batho, (EDS, Deux-Sèvres) qui a dénoncé « un renoncement » et une « régression » vilipendant un « vote qui tourne le dos à des années de travail, à des années de combat avec les apiculteurs (...) qui se sont mobilisés pour interdire les néonicotinoïdes ». Jean-Luc Mélenchon (LFI, Bouches-du-Rhône) qui a défendu en vain une motion de rejet préalable du projet de loi, s’est quant à lui emporté contre « la faute que l’on va commettre ». « Nous allons décider quelque chose de dangereux pour nos semblables, pour nos enfants, nos petits-enfants » redoutant par avance d’autres dérogations. Selon lui, plus que des pucerons, « la betterave française est malade du libre-échange ». Mais dans les rangs de la majorité, l’opposition n’a pas été moindre. 32 députés LREM ont voté contre cette réintroduction temporaire et 36 se sont abstenus. Seuls 175 des 271 membres de LREM ont voté pour ce texte. Jamais la « fronde » n’avait été aussi forte. La dernière fois qu’une telle situation s’était produite, c’était en juillet 2019 à l’occasion du vote de ratification du traité de libre-échange entre l’UE et le Canada (Ceta) ; 9 députés LREM avaient voté contre et 52 s’étaient abstenus.

Reste que pour Jean-Baptiste Moreau (LREM, Creuse), agriculteur de profession, il n’y avait pas vraiment d’autres choix que de voter ce texte qui est une « réponse pragmatique à la situation catastrophique dans laquelle se trouve la filière de la betterave française ». « Si nous ne faisons rien, la filière est menacée de disparaître, car faute de solution, les betteraviers planteront autre chose que de la betterave ». Même ligne pour Christian Jacob (LR, Seine-et-Marne), « Il ne faut pas être dans le dogme et faire en sorte que la France reste un grand pays agriculteur ».

Le texte a fini par être adopté tard dans la nuit du 5 au 6 octobre par 313 voix pour, 158 contre et 56 abstentions. L’ensemble de la gauche s’y est opposé, une majorité LR et MoDem a voté pour. Aucun groupe n’a connu d’unanimité sur le sujet.

Au-delà de la dérogation temporaire jusqu'en 2023 d’utilisation des semences traitées avec des pesticides de la famille des néonicotinoïdes, uniquement pour les producteurs de betteraves à sucre, le projet de loi prévoit la création d'un conseil de surveillance pour donner un avis sur les dérogations, ainsi que l'interdiction, sur des parcelles où ont été utilisés des néonicotinoïdes, d'implanter des cultures attirant les abeilles afin de ne pas les exposer. Les dérogations devront être pleinement effectives d’ici décembre pour permettre aux producteurs de produire les semences qui seront utilisées pour les semis de mars.

 

Néonicotinoïdes : le Sénat dit non puis oui
A la suite d’un incident de vote, les sénateurs ont d’abord voté contre la réintroduction temporaire des néonicotinoïdes avant de rapidement se raviser.
Tout avait pourtant bien commencé. Le Ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie délivrait, comme quelques jours auparavant à l’Assemblée un discours bien rôdé de défense de la filière de la betterave sucrière française « aujourd’hui en danger ». Le ministre répétait avec détermination qu’avec ce projet de loi, il « ne s’agit pas d’opposer écologie et économie » ; c’est une « question de souveraineté ». La rapporteure LR Sophie Primas constatait pour sa part qu’autour de ce texte « deux visions politiques de l’écologie » s’affrontent : « une écologie de la défiance choisissant d’interdire » et une « écologie de la confiance [...] qui s’appuie sur la réalité de nos territoires, sur le progrès et sur la recherche ». Un débat entendu avant l’intervention du président du groupe écologiste Guillaume Gontard. Le sénateur a fait monter le ton d’un cran en dénonçant un texte qu’il voit comme « une immense victoire pour le lobby agrochimique, cheval de Troie de Bayer-Monsanto ». Et d’accuser dans la foulée et sans ciller le gouvernement de « porter un coup violent à toute la biodiversité mondiale ». « Vos propos sont absolument scandaleux » lui a vivement répondu Julien Denormandie pointant « une écologie de la diffamation ». « L’immense différence entre les agriculteurs et vous, c’est que les agriculteurs [...] ont le courage d’avoir les pieds, les bottes dans la terre ».
Après le débat est arrivé le temps du vote, en commençant par les amendements de suppression de l’article premier du projet de loi, présentés par la gauche. Rappelons que cet article 1er est le cœur du texte : il vise à autoriser, à titre dérogatoire, les producteurs de betteraves sucrières à utiliser jusqu’en 2023 des semences traitées avec des pesticides de la famille des néonicotinoïdes. Le résultat du vote tombe avec la victoire du oui à la suppression de l’article 1. A une voix près. Brouhaha dans les travées. Surprise. On s’interpelle. On s’interroge. L’erreur incomberait à un groupe qui se serait trompé en votant pour ces amendements et non contre. La séance est suspendue. Julien Denormandie demande une seconde délibération. Soulagement. Le texte du gouvernement est finalement adopté en première lecture au Sénat par 184 voix pour, 128 contre et 28 abstentions. Douze sénateurs LR ont voté contre, huit centristes et un Indépendant ont également voté contre. Abstention pour dix LR, dix centristes et trois Indépendants. Au groupe RDPI (En Marche), Xavier Lacovelli a voté contre et cinq élus se sont abstenus. Les groupes de gauche (PS RDSE, CRCE à majorité communiste et écologiste) ont voté contre, à l’exception au PS de Jean-Pierre Sueur.
La commission mixte paritaire a fini par trouver un compromis sur un texte commun, avant son adoption définitive.

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