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Le « oui » de l’Assemblée à la restitution de biens culturels au Sénégal et au Bénin

L’Assemblée nationale a approuvé à l’unanimité le projet de loi relatif « à la restitution de biens culturels à la République du Bénin et à la République du Sénégal » (1). Le texte déroge « ponctuellement » au caractère inaliénable des collections des musées nationaux avec le risque de voir le nombre de demandes de restitutions croître de façon exponentielle.

En novembre 2017, à Ouagadougou le Chef de l’Etat avait exprimé sa volonté que puissent être réunies les conditions pour procéder à des restitutions de biens culturels africains, dans le cadre d’un partenariat approfondi entre la France et les pays du continent africain. Ce projet de loi répond à la volonté présidentielle. Il « doit permettre d’ouvrir un nouveau chapitre du lien culturel entre la France et l’Afrique, fondé sur de nouvelles formes de coopération et de circulation des œuvres » a déclaré dans l’hémicycle le 6 octobre dernier, Franck Riester venu en lieu et place de la ministre de la Culture Roselyne Bachelot confinée parce que « cas contact » au Covid. Ce texte « n’est pas un acte de repentance ou de réparation » a ensuite tenu à préciser le ministre délégué chargé du commerce extérieur et de l’attractivité. Il s’agit ici de rendre à leurs pays d’origines, des « butins de guerre » acquis dans des circonstances violentes et/ou peu régulières (3). Le projet de restitution concerne vingt-six œuvres du royaume du Dahomey, qui forment le trésor de Béhanzin, exposé aujourd’hui au Musée du Quai Branly-Jacques Chirac, à la République du Bénin et du sabre attribué à El Hadj Omar Tall issu des réserves du musée de l’armée et exposé dans le cadre d’un prêt renouvelé au musée des civilisations noires de Dakar à la République du Sénégal. Et parce que la restitution de ces objets nécessite de déroger au principe d’inaliénabilité des collections publiques, « la voie législative s’impose à nous » a-t-il encore ajouté. Car c’est bien là un point épineux et discutable de ce texte. En dérogeant au caractère inaliénable des collections des musées français, traduit dans la loi même s’il n’est pas inscrit dans la Constitution (2), se pose la question du risque d’inflation des demandes de restitutions. Ce qu’admet d’ailleurs volontiers le rapporteur du texte Yannick Kerlogot (LREM, Côte d’Armor) : « nous devons vraisemblablement nous attendre dans les prochaines années à un nombre croissant de demandes ». Sur les bancs LR, Maxime Minot s’interroge : « Ce projet de loi ne doit pas créer un effet d’entraînement. Gardons en tête que la Grèce demande régulièrement le retour des frises en marbre du Parthénon, actuellement exposées au British Museum, à Londres ». Finalement, le député votera le texte et les membres présents de son groupe avec. A l’inverse, d’autres parlementaires ont trouvé que la France n’allait pas assez loin et que cela aurait tout au moins mérité une loi-cadre permettant « des restitutions plus fréquentes et moins complexes à mettre en œuvre » comme l’a dit Bruno Fuchs (MoDem). D’autres encore ont posé la question du suivi des œuvres restituées et de leurs conditions d’exposition. « La France n’accepte de restituer des œuvres à d’autres États que s’ils s’engagent à ce qu’elles gardent leur vocation patrimoniale, c’est-à-dire continuent à être conservées et présentées au public dans des lieux consacrés à cette fonction. Dans le cas du Bénin et du Sénégal, ces garanties ont été données » a assuré Franck Riester. « Quand les œuvres sont parties, elles sont parties ! » a pour sa part lancé à la cantonade Philippe Gosselin.

Après ce texte, l’exception pourrait très vite devenir la règle. D’autres restitutions se profilent comme avec la couronne de la reine Ranavalona III réclamée par Madagascar et pour laquelle les discussions sont bien avancées. « Nous aurons donc peut-être encore l’occasion de présenter dans l’avenir quelques dérogations à l’inaliénabilité des collections nationales » a d’ores et déjà pronostiqué Franck Riester. 

(1) Le texte a été adopté à l’unanimité par les députés, avec 49 voix pour et aucune contre. Il doit maintenant être examiné par le Sénat.

(2) Les collections publiques sont protégées par le principe d’inaliénabilité « qui protège nos collections publiques depuis la Révolution française, voire depuis l’édit de Moulins de 1566, qui avait déjà acté que le roi n’était que dépositaire des biens de la Couronne » (Yannick Kerlogot).

(3) Plusieurs biens culturels ont déjà été restitués par la France récemment comme les vingt-et-une têtes maories à la Nouvelle-Zélande en 2012 ou les trente-deux plaques d’or à la Chine en 2015.

L’activiste congolais Emery Mwazulu Diyabanza, condamné le 14 octobre dernier à 1000 euros d’amende pour « vol aggravé » pour s’être emparé d’un poteau funéraire au Musée du Quai Branly a une nouvelle fois récidivé. Il a été arrêté le 22 octobre dernier alors qu’il tentait de dérober un objet exposé au Louvre. « Nous sommes venus récupérer ce qui nous appartient. Je suis venu reprendre ce qui a été volé, ce qui a été volé à l’Afrique, au nom de notre peuple, au nom de notre mère patrie l’Afrique » a lancé dans une vidéo postée sur twitter, celui qui n’a pas hésité à porter plainte contre l’Etat pour « vol et recel ». Sauf que l’objet subtilisé est une sculpture de la fin du XVIIIème siècle provenant de l’île de Flores, dans l’est de l’Indonésie... Son procès est fixé au 3 décembre. Laissé en liberté, il est lui est interdit de se rendre dans un musée.

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