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Autoroutes : le Sénat veut un partage plus équitable des profits

La Commission d’enquête sénatoriale sur le contrôle et l’évolution des concessions autoroutières créée à la demande du groupe Union centriste vient souffler sur les braises mal éteintes du lancinant débat sur la surrentabilité présumée des concessions autoroutières. Alors que les contrats de concession en cours arrivent à échéance entre 2031 et 2036, pour préparer l’avenir, le Sénat appelle à un « Sommet des autoroutes ».

“Le statu quo n’est pas possible. Il est impératif de mieux partager les profits des sociétés d’autoroutes avec l’État et les usagers, et de rééquilibrer les relations entre le concédant et les concessionnaires” explique sans détour Vincent Delahaye, le rapporteur de la Commission d’enquête sénatoriale sur les concessions autoroutières*. Après sept mois de travaux, son volumineux rapport – 320 pages – dresse l’itinéraire autoroutier de la France, de la loi de 1955 qui a autorisé la construction des autoroutes dans le cadre de concessions initialement attribuées à des sociétés d’économie mixte exclusivement publiques puis, à partir de 1970, à des sociétés concessionnaires privées, jusqu’à nos jours (et même demain), en s’attardant bien évidemment sur le point litigieux de la privatisation de 2005-2006.

Le rapport aboutit à trois principaux constats. Selon la Commission d’enquête, le processus de cession entamé entre 2002 et 2005 avec l’ouverture d’abord partielle du capital des sociétés d’autoroutes « historiques » (ASF, Sanef et APRR) avant de les privatiser en 2006 aurait « fait perdre à l’Etat 6,5 milliards d’euros de recettes potentielles (7,8 milliards en valeur 2020). Cette cession en plusieurs temps lui a fait perdre 5,3 milliards d’euros de recettes potentielles, auxquelles on peut ajouter l’absence d’offres concurrentes pour ASF dont Vinci détenait déjà 23 % du capital qui a conduit à une sous-évaluation du prix de vente estimée à 1,2 milliard d’euros » précise le rapporteur.

Quelle rentabilité ?

Autre constat établi « sur la base d’hypothèses prudentes » d’une étude réalisée à la demande de la Commission pose aussi question : le fait que deux des trois groupes autoroutiers pourraient atteindre la rentabilité attendue lors de la privatisation 10 ans avant la fin des concessions. « Même si la rentabilité des concessions autoroutières ne pourra être définitivement mesurée qu’à la fin des concessions, il peut d’ores et déjà être constaté que les principaux paramètres économiques et financiers des concessions ont évolué favorablement, ce qui a permis aux sociétés d’autoroutes de verser un niveau exceptionnel de dividendes à leurs actionnaires (24 milliards d’euros entre 2006 et 2019) » souligne le rapport. Le groupe Vinci Autoroutes et Eiffage pourraient atteindre leur seuil de rentabilité d’ici à 2022, soit dix ans avant l’échéance ! Pour Sanef, les résultats seraient ceux envisagés lors de la privatisation.

Enfin, pour le rapporteur « les relations entre les sociétés d’autoroutes et l’État restent déséquilibrées ». « Les contrats de concession n’ont pas été revus lors de la privatisation. De ce fait, l’État s’est trouvé en position de faiblesse lors des négociations de programmes d’investissement complémentaires (Paquet vert autoroutier de 2008, plan de relance autoroutier de 2015 et plan d’investissement autoroutier de 2017), ce qui l’a conduit à accepter des taux de rentabilité trop élevés par rapport aux conditions de marché et donc des allongements de la durée des concessions et des augmentations tarifaires excessives » poursuit Vincent Delahaye qui reconnaît toutefois que la mise en place d’une régulation indépendante confiée à l’ART (Autorité de régulation des transports) « a permis de renforcer le contrôle du secteur ».

Définir une nouvelle relation avec les sociétés concessionnaires

Mais la Commission n’en reste pas aux constats, elle fait aussi plusieurs propositions à court et long termes qui, comme l’a souligné, le président de la Commission d’enquête, Éric Jeansannetas (RDSE, Creuse), devront « permettre à l’État de définir une nouvelle relation avec les sociétés concessionnaires, afin d’assurer une meilleure défense de ses intérêts et de ceux des usagers ».

Première des mesures : préparer la fin des concessions qui vont s’échelonner entre 2031 et 2036. Pour le rapporteur, « il est impératif de ne plus prolonger la durée des concessions, afin de pouvoir enfin remettre à plat le système autoroutier à l’échéance de ces dernières » énonce clairement le rapporteur. Pour préparer les autoroutes à un nouvel avenir, la Commission d’enquête propose l’organisation d’un « sommet des autoroutes » associant les sociétés d’autoroutes, l’État, l’Autorité de régulation des transports et des représentants du Parlement. Ce « sommet » aurait pour objectif de « définir l’équilibre économique des concessions et permettre qu’une partie de la rentabilité finance de nouveaux investissements sur le réseau et une modulation des péages en faveur des trajets du quotidien, du covoiturage et des véhicules propres. Les clauses d’encadrement de la rentabilité des concessions devraient en outre être revues afin qu’elles puissent être opérantes ». Sauf que rien dans le contrat de concessions n’oblige les sociétés concessionnaires à rediscuter avec l’Etat et/ou à distribuer d’éventuels surprofits.

Réduire la durée de concession

« L’État doit en outre veiller à ce que les sociétés d’autoroutes maintiennent un niveau d’investissements suffisant afin que les infrastructures autoroutières lui soient remises en bon état » propose également la Commission.

Pour la Commission, il s’agit enfin de réfléchir à la gestion future des autoroutes à la fin des concessions actuelles. Loin d’être opposé à l’idée même de concession, Vincent Delahaye n’entend pas non plus passer à côté d’un examen attentif des différents modèles envisageables de gestion des autoroutes (régie publique, concessions, contrats de partenariat). Il a juste dit son opposition au principe de renationalisation des autoroutes revendiqué par ses collègues communistes. Prévu par les contrats de concession pour motif d’intérêt général, le rachat aurait un coût évalué par le ministère de l’Economie et des Finances entre 45 et 50 milliards d’euros.

Mais si le modèle concessif devait être retenu, insiste-t-il, « il faudrait tenir compte du fait que le réseau est déjà construit et rédiger des contrats de concession qui protègent effectivement les droits du concédant. La durée des concessions, attribuées à l’issue d’appels d’offres, ne devrait pas dépasser 15 ans et le contrat de concession devrait encadrer la rentabilité et en organiser le suivi (par des clauses de revoyure tous les cinq ans et des clauses de partage des gains d’exploitation et de refinancement notamment) »


* « Concessions autoroutières : des profits futurs à partager équitablement avec l’Etat et les usagers » - Rapport n° 709 (2019-2020) de M. Vincent Delahaye, sénateur de l’Essonne - Commission d’enquête sur le contrôle, la régulation et l’évolution des concessions autoroutières


Chiffres clés
+ de 9 100 km
la longueur du réseau autoroutier concédé en France
10,4 Md euros
le chiffre d’affaires 2018 des 18 sociétés concessionnaires d’autoroutes (+ 2,9 %)
+2,9 %
l’augmentation des recettes de péages en 2018 (97,4 % des recettes des sociétés concédées)
+ 0,6 %
la hausse du trafic autoroutier en 2018
Source : Autorité de régulation des transports (anciennement Arafer) – Rapport annuel sur la synthèse des comptes 2018 des concessions autoroutières

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