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PLF 2021 - Un budget hors-norme : enjeux et défis

Par Laurent Saint-Martin, Député, Rapporteur général de la Commission des Finances

Le 20 octobre, l’Assemblée nationale a adopté par 349 voix pour et 199 contre et 10 absentions, le premier volet du projet de loi de finances 2021 consacré aux recettes de l’Etat, avec un solde budgétaire provisoirement dégradé de 240 millions d’euros et un déficit à 153 milliards d’euros. Le texte qui prévoit la baisse de 10 milliards d’euros des impôts de production des entreprises pour relancer l’économie a reçu le soutien des députés LREM, du MoDem, d’Agir ensemble mais aussi de plusieurs députés UDI et Indépendants. La Gauche – qui reproche « un nouveau cadeau » aux entreprises -, et la Droite ont voté contre. Ce PLF a été discuté dans un contexte particulier de crise sanitaire. Optimiste, après une croissance estimée à -10 % en 2020, ce PLF table pourtant sur une prévision de rebond du PIB de 8 % en 2021. Virulente, l’opposition a dénoncé un budget déjà « mort-né » puisque établi sur des prévisions datant d’avant la seconde vague du Covid.

L’épidémie du Covid-19 a provoqué la crise la plus importante depuis 1929. Face à ce choc majeur, il fallait une réponse à la hauteur du défi. Ce sont des moyens massifs que nous avons déployés, d’abord pour protéger l’emploi, les entreprises, les ménages les plus fragiles et aujourd’hui pour relancer l’économie, avec un plan de 100 milliards d’euros.

Sans précédent par son ampleur, ce plan de relance, décliné en trois piliers, porte une grande ambition : celle d’un pays qui veut sortir de la crise et investir dans son avenir. Il est structuré autour d’un tryptique. La transition écologique constitue le premier pilier, c’est un choix politique fort et assumé, bien loin d’un simple effort environnemental, et représente un tiers du plan. Le deuxième pilier vise à renforcer la compétitivité de nos entreprises et l’attractivité de nos territoires. La baisse des impôts de production permettra de soutenir l’activité et les emplois industriels. Des investissements seront également ciblés sur certaines filières, telles que l’hydrogène. La cohésion sociale constitue, enfin, le troisième pilier de la relance, afin de soutenir les publics fragiles, améliorer l’insertion des jeunes sur le marché du travail, développer la formation professionnelle et renforcer notre système de santé.

Si l’arsenal de mesures déployé pour relancer et moderniser notre économie est sans précédent, nous n’avons pas pour autant abandonné le sérieux budgétaire qui nous caractérise depuis trois ans. Le budget “ordinaire” met l’accent sur le financement des politiques publiques prioritaires : le régalien, l’éducation, la recherche et bien sûr la santé.

Ces politiques sont autant de choix de société qui forment le socle sur lequel nous construisons la relance de notre pays.

Enfin, ce budget est aussi historique car la France est pionnière d’une innovation méthodologique : le “budget vert”. Il s’agit de passer au prisme de l’impact environnemental l’ensemble des dépenses et des recettes de l’État. Nous pourrons ainsi progresser chaque année vers une économie plus verte. Dès cette année, c’est inédit, le solde vert est positif : les dépenses vertes augmentent de 30 % et les dépenses brunes diminuent de 10 %. Notre engagement est concret.

Alors qu’il était déjà hors norme, ce budget est aujourd’hui confronté à une double exigence intertemporelle : engager une transformation de long terme de l’économie tout en répondant immédiatement à l’aggravation des inégalités amplifiées par la crise. Il s’agit donc d’un budget double, investissement d’un côté, soutien aux plus fragiles de l’autre.

Ce budget est la traduction d’une vision longue de transformation de l’économie. Ainsi, l’opposition offre - demande n’est pas la plus judicieuse, mieux vaut réfléchir en termes d’investissement et de soutien. Après une période où l’économie a été mise sous cloche, la reprise ne prendra probablement pas une forme en “V” ou en “W”, mais plutôt en “K”. Il y aura deux branches pour une reprise différente selon les secteurs : une reprise forte de la part de certains secteurs, comme les services ou l’industrie, et une dégringolade de la part du tourisme, de l’événementiel, des cafés et restaurants, qui devront continuer à être soutenus.

Notre vision est holistique et s’efforce de n’omettre aucun secteur. Ainsi lorsque nous préparons la France de 2030 en investissant dans les secteurs les plus porteurs et en baissant les impôts de production, ce sont nos PME industrielles et nos emplois que nous sauvons en leur permettant de se réinventer. C’est aussi notre savoir-faire, celui du fabriqué en France, bref nos territoires. De même, quand nous investissons dans la 5G par exemple, ce choix technologique a des implications sur tout un écosystème, celui de la recherche, de la santé, de l’agriculture et de l’industrie, et ne doit pas conduire à opposer l’urbain et le rural mais au contraire chercher à les relier : le Plan de Relance est à destination de tous les Français sur tous les territoires. L’enjeu finalement, n’est pas simplement de relancer l’économie, mais bien de la transformer pour la préparer, dans toutes ses dimensions, aux défis et opportunités du XXIème siècle.

Mais tandis que nous préparons la France pour 2030, l’aggravation des inégalités encore accentuées par la crise est immédiatement tangible. Nous nous devions de répondre aux besoins des étudiants et ménages précaires qui ont particulièrement souffert. A l’instar des aides apportées avant l’été, le Président de la République a annoncé des mesures salutaires à destination de ces foyers : 150 euros pour les bénéficiaires du RSA et des APL et une prime de 100 euros par enfant. De même, les 400 000 jeunes percevant des APL ainsi que les étudiants boursiers percevront une prime de 150 euros. Cela se traduira dès novembre par un volet complémentaire dédié à la solidarité, avec le projet de loi de finances rectificative (PLFR4). Nous avons soutenu notre économie et les Français avant l’été, nous continuerons à le faire : personne ne sera laissé au bord de la route.

Pour notre pays, préparer l’avenir et être solidaires des plus fragiles ne pouvait se faire sans l’Europe, ni évidemment sans que la question du financement ne soit ouvertement soulevée.

C’est là aussi, un double défi qui nous est posé.

Cette crise sanitaire a mis l’Europe au défi de se réinventer. L’Europe aussi a su faire le choix de la solidarité, et a rapidement adopté son propre “quoi qu’il en coûte”. Après les protections immédiatement déployées (chômage partiel, Banque Européenne d’Investissement pour les PME, prêts aux Etats), le Conseil européen de juillet est parvenu à un accord sur le financement des plans de relance européens et nationaux par des émissions de dette commune. Cet accord est une avancée décisive pour la construction et la solidarité européennes mais également un élément de crédibilité et de solidité des politiques budgétaires de la zone euro et de l’Union. Ainsi, 40 % de notre Plan de relance sera financé par des crédits européens. L’Europe aussi a fait le choix de la dette et à terme, par beau temps, le retour à des trajectoires plus soutenables des finances publiques se posera avec plus d’acuité encore.

Car la question du financement ne saurait être occultée. 100 milliards d’euros : un chiffre qui donne le vertige et provoque beaucoup de questions. Comment le financer ? qui va payer ?

Nous avons en réalité trois options : puiser dans les réserves, mais la France n’en a pas.

Augmenter les impôts, mais nous avons dit que nous ne le ferons pas. Ou emprunter. S’il s’agit de sauver notre économie et nos emplois, c’est une dépense nécessaire et le choix de la responsabilité.

Aujourd’hui, nous devons changer notre regard sur la dette. Elle inquiète, et c’est normal, mais notre dette est contrôlée et contrôlable. Nous ne dépensons pas à fonds perdus, nous investissons et nous maîtrisons les dépenses courantes. Le sérieux budgétaire dont nous avions fait preuve sur les années récentes, appuyé sur des réformes cohérentes, a renforcé la capacité de la France à émettre de la dette nouvelle. Ce qui compte, c’est la crédibilité d’un Etat à rembourser. Or, la France bénéficie d’une signature robuste, recherchée par tous les créanciers internationaux : une solidité politique, institutionnelle et économique.

Ceci n’est en aucun cas un blanc-seing, ni un laisser-passer à la dépense courante incontrôlée. Mais ce sont les conditions du sauvetage de nos emplois et de l’investissement permettant la création de ceux de demain. 

Dans la nuit du 26 au 27 octobre, l’Assemblée nationale a voté en première lecture le plan de relance censé permettre à la France de surmonter la crise et de relancer son économie. Sur les 100 milliards d’euros annoncés de 2020 à 2022, la mission « plan de relance » vise à débloquer 22 milliards de crédits en 2021 autour de trois priorités : l’« écologie », la « compétitivité » et la « cohésion des territoires ». D’autres investissements sont également énoncés comme la revalorisation des carrières hospitalières ou la baisse de 10 milliards des impôts de production des entreprises, votée en première partie de ce projet de loi de finances 2021. « Le grand défi, c’est de déployer les crédits. (...) Et dès les six premiers mois » a notamment précisé le rapporteur du budget Laurent Saint-Martin (LREM). Un objectif assumé par le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire qui a promis de « décaisser 10 milliards d’euros en 2020 et 42 milliards d’euros en 2021 » pour dépenser « la moitié des fonds du plan de relance dans les quinze mois qui viennent ». Un vote solennel de l’ensemble du budget est prévu le 17 novembre, avant son examen au Sénat, puis une adoption définitive par le Parlement au plus tard le 18 décembre.

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