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Trou de la Sécurité sociale et choc du coronavirus

Par Julien Damon, Professeur à Sciences Po*

L’analyse du « trou de la sécu » constitue une figure imposée du débat public. La rapidité et la puissance du choc liée à l’épidémie de coronavirus aboutissent, en l’espèce, à une situation inédite et inquiétante.

Une reprise, sur une quarantaine d’années, des évolutions de cet agrégat financier si sensible politiquement, montre l’importance du choc.

La sécurité sociale, loin d’être l’illustration des sécurités qu’elle apporte, est souvent scrutée comme une sorte de « puits sans fond ». De fait, depuis la fin des années 1970 et la situation de chômage de masse, les déficits ont été bien plus fréquents que les situations d’excédents.

En 1984, dernière année la plus favorable, le régime général présentait un excédent de 2,5 milliards d’euros. En 2010, le déficit annuel le plus important constaté dans l’histoire de la Sécurité sociale s’est élevé à près de 24 milliards d’euros. Des dynamiques favorables liées notamment aux créations d’emplois et à la maîtrise des dépenses, ont conduit à un rétablissement constant depuis 2011. En 2018, le régime général a renoué avec de légers excédents (0,5 milliard d’euros) avant de présenter un nouveau déficit en 2019.

Dès avril 2020, en plein confinement, le ministre des comptes publics a indiqué que le nouveau déficit attendu pourrait être de 40 milliards d’euros. Les dépenses supplémentaires impliquées par les dispositifs mis en place pour prendre en charge sur les deux plans sanitaire et social la Covid-19 ont été estimées à une dizaine de milliards d’euros. La sécurité sociale, surtout, est confrontée à un effondrement sans précédent de ses sources de financement. Et encore, s’agit-il, d’hypothèses favorables calées sur une baisse du PIB n’excédant pas 8 % et sur un retour assez rapide à la normale de l’activité économique au-delà de la période de confinement. À cette aune, la Sécu perdrait 11 milliards d’euros de recettes fiscales et 20 milliards de cotisations.

Par rapport au précédent choc économique, trois remarques s’imposent. D’abord, bien entendu, la force de la déflagration. Il suffit d’indiquer que le déficit pour l’assurance maladie (30 milliards, sur un total de 44 milliards) est, à lui seul, supérieur à la totalité du déficit le plus élevé de la période précédente (24 milliards). Ensuite, la rapidité de diffusion de la déflagration économique. Le précédent pic de déficit résultait des conséquences de l’effondrement du système financier en 2007-2008. L’onde de choc aura mis deux ans. Le déficit annoncé pour 2020 procède de décisions prises en mars de l’année. L’onde de choc aura mis quelques semaines. Dernière remarque, pour revenir à un fragile équilibre après la précédente tempête, il aura donc fallu une dizaine d’années. Combien en faudra-t-il pour absorber un nouveau traumatisme budgétaire deux fois plus puissant ?

Pour l’avenir, sur le strict plan financier, les possibilités sont classiques, mais sur des montants qui donnent le tournis. Concrètement, la sécurité sociale est faite de recettes et de dépenses. Pour améliorer ses comptes, deux voies : la réduction des dépenses, l’augmentation des recettes. La première possibilité n’est pas vraiment à l’ordre du jour, et ne risque pas d’être possible politiquement avant un certain temps. La deuxième voie passe soit par de l’endettement supplémentaire – ce qui a été immédiatement enclenché -, soit par de nouveaux prélèvements. Sur ce dernier plan, qu’il faudra probablement décider, tout peut s’envisager : augmentation des taux de CSG, augmentation d’une part de TVA affectée, augmentation des cotisations habituelles, création d’une cotisation inédite ou d’une fiscalité spéciale (sur le patrimoine par exemple). Les idées ne manquent pas. Dans une perspective optimiste, signalons tout de même qu’une augmentation du total d’heures travaillées autorise une croissance des recettes sans augmentation des taux prélèvements. L’hypothèse, toujours arithmétiquement vraie, reste tout de même hautement improbable au regard des tensions que va connaître le marché de l’emploi.

Pour conclure deux mots s’imposent, chacun au pluriel : incertitudes et inquiétudes. 


*Auteur notamment de "La Sécurité sociale" (Que sais-je ? 2020)

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