Print this page

Le déni toxique de la réalité

Par Raphaël Rossello*

Peut-on encore parler d’un monde nouveau quand les politiques de tous bords promettent de ressusciter la croissance en poursuivant la politique de l’ancien monde ?

Aujourd’hui les conséquences de la Covid 19 interdisent de s’obstiner dans les postures antérieure. Nous ne pouvons plus refuser de voir l’arrêt irréversible de l’insouciance économique depuis 1970.

Banquier d’affaires, j’ai passé 40 ans auprès de chefs d’entreprises acteurs incontestables de l’économie réelle. L’écart grandissant entre leurs préoccupations quotidiennes et les discours électoralistes n’a cessé de me préoccuper. En quantifiant cette divergence je fus stupéfait de constater que les leaders et les experts nient ou méprisent des évidences économiques troublantes.

Il m’est alors paru indispensable de faire un essai pédagogique sur les causes insuffisamment analysées de nos difficultés à accéder au nouveau monde tant plébiscité.

Hypnotisé par deux siècles d’une croissance exceptionnelle nous avons refusé de voir l’inflexion puis la baisse persistante des gains de productivité et donc de la croissance depuis 1970.

Vent debout contre le déclinisme, les anglo-saxons ont décidé que le néolibéralisme était le socle d’un monde plus ouvert et peut-être plus riche. Devenu un ultralibéralisme débridé devant fortifier l’initiative individuelle, il n’a pas réussi à régénérer une croissance indépendante des interventions de l’Etat tant décriées.

Keynes disparait, Malthus revient

Les pays occidentaux n’ont été en croissance depuis 1970 qu’avec l’aide exclusive de leurs déficits budgétaires. Une étude de la banque fédérale américaine montre que pendant 55 des 60 dernières années le taux de leur déficit budgétaire a été supérieur à celui de leur croissance. De façon normative, la véritable croissance américaine est donc négative. En termes brutaux, les USA sont en récession sous-jacente chronique depuis un demi-siècle !

L’absurdité de cette assertion n’a d’équivalence que la suivante :

En 1950, 1 $ d’augmentation de la dette globale américaine engendrait plus de 3 $ de richesses réelles et collectives. Depuis cet épisode, l’effet de ce mécanisme s’est effondré car il faut désormais une augmentation de 3 $ de dette pour ne récupérer qu’un 1 $ de richesse. Vérité américaine mais aussi vérité française.

Le néolibéralisme échoue en trébuchant sur la loi des rendements décroissants que le progrès pensait avoir éradiquée.

Que dire de l’accroissement incessant de la dette globale passée de 100 % du PIB mondial en 1970 à 300 % avant la pandémie ? Selon l’époque et le pays, plus de 60 % de la monnaie injectée dans nos économies s’évaporent en boursouflant le prix des actifs financiers et immobiliers dans des bulles successives. Cette richesse éphémère est toujours vouée à l’implosion.

Monde nouveau ou décroissance ?

A la question de départ je réponds qu’on ne peut restimuler le monde qu’à la double condition de « ne pas espérer résoudre les problèmes avec ceux qui les ont créés » (Einstein) et de ne pas se tromper de diagnostic. Or fascinés par la conceptualisation de toutes choses, nous raisonnons avec grande rigueur sur des postulats hasardeux dont celui d’une foi aveugle dans le retour de la croissance « positive » alors qu’elle est « négative » depuis cinq décennies tout en étant bien distincte de la « décroissance ».

Les experts ayant refusé de prendre la vraie mesure de l’inflexion baissière de la croissance depuis un demi-siècle en sont responsables. Ils clament sa résurrection grâce à la vague technologique actuelle qui mettrait un terme à ce phénomène éphémère. C’est encore une question de foi.

Il est urgent d’admettre que la poursuite d’une croissance artificielle, et quelle qu’en soit la couleur, nous conduit dans un abîme.

Nous devons nous unir avec un même courage pour redynamiser un écosystème qui n’est plus efficient alors qu’il existe des aménagements pour lui redonner de la vigueur.

N’acceptons pas de nous enliser dans le défaitisme stérile guidé par la peur ni de prêter l’oreille aux chantres de l’optimisme naïf et crédule dont le seul but est de conserver leurs privilèges. 

* Auteur de L’opportunité du Covid 19 Pour construire demain autrement – Mareuil éditions