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En réponse aux annonces récentes d’un Ségur de la Santé

Par le Professeur Michaël Peyromaure, Chef de service d’urologie, hôpital Cochin (AP-HP)

Les dysfonctionnements de l’hôpital et le malaise des soignants font depuis quelques années l’objet d’une grande attention médiatique. L’épidémie du Covid-19 en a fait un sujet politique incontournable. Comme toujours, il est difficile d’avoir les idées claires sur les raisons du déclassement de l’hôpital français, tant elles sont nombreuses et d’interprétation variable : manque de moyens pour les uns, mauvaise affectation des ressources pour les autres.

En visite à la Pitié-Salpêtrière le 15 mai 2020, le chef de l’Etat a annoncé un « Ségur » de la Santé pour réformer le système hospitalier, reposant sur quatre piliers : revalorisation des salaires et des carrières, investissements dans les bâtiments et le matériel, déconcentration de la gouvernance, et nouvelle organisation des soins basée sur les territoires. Deux jours plus tard, Olivier Véran prenait le relai en proposant de rapprocher les salaires des soignants de la moyenne européenne (environ 4000 euros par mois, soit le double des salaires actuels !), d’assouplir les 35 heures à l’hôpital, et de réduire la part de la tarification à l’activité (T2A).

Ces mesures font suite au plan « Ma santé 2022 » présenté en septembre 2018 par Agnès Buzyn, puis au « plan d’urgence » annoncé en novembre 2019 par le Premier ministre. En quoi sont-elles différentes ? Et que peut-on dire de leur pertinence ? Penchons-nous sur chacune d’entre elles.

Premièrement, la revalorisation des salaires. Il s’agit d’un changement majeur, car le projet initial ne prévoyait que des primes : étendre la prime d’engagement dans la carrière hospitalière aux professions « en tension », et attribuer 800 euros par an aux 40000 personnels travaillant en Ile-de-France les moins bien payés. Face aux revendications des soignants, Agnès Buzyn avait prévenu qu’il n’y aurait « pas de hausse générale des salaires », douchant ainsi les attentes du Collectif inter-hôpitaux qui réclamait une hausse de 300 euros nets par mois pour les paramédicaux. Or il est connu que les revenus des infirmières et aides-soignantes figurent en bas du classement des pays de l’OCDE : entre 1600 et 2000 euros pour les premières, 300 euros de moins pour les secondes. Dans certaines villes comme Paris, il devient donc difficile d’attirer puis de fidéliser les agents. A tel point qu’à L’AP-HP, 400 postes infirmiers restaient non pourvus en 2019, et 900 lits fermés faute de personnel. Cette augmentation des salaires est donc salutaire, surtout si elle s’accompagne d’une revalorisation des carrières. Pour cette dernière, aucune précision n’a cependant été fournie. On peut imaginer qu’il s’agira de créer des filières de « pratiques avancées », sources de motivation supplémentaire pour les agents et de fluidité pour les services.

Deuxièmement, les investissements dans les bâtiments et les équipements. C’est également une nécessité absolue, déjà évoquée par l’ancienne ministre. En la matière, la France fait quasiment office de pays sous-développé quand on la compare à d’autres pays du même rang. Il suffit d’aller dans les hôpitaux américains, canadiens, anglais, allemands, chinois, ou même espagnols pour voir l’ampleur de notre dégringolade. Vétustes, sales et mal équipés, beaucoup de nos services sont en piteux état, parfois jusqu’à manquer de chauffage dans les chambres des malades et les bureaux médicaux. Cette situation est évidemment problématique pour les patients, mais aussi et surtout pour tous ceux qui y travaillent au quotidien. Avoir une imprimante qui marche, un ordinateur pour les internes, ou tout simplement des ciseaux qui coupent au bloc opératoire, relève souvent de la gageure. Aucune estimation officielle n’a été faite des montants à mobiliser pour moderniser les hôpitaux français, mais la facture devrait se chiffrer en milliards. Ce sera bien sûr le facteur limitant, nous en reparlerons plus tard.

Troisièmement, la révision de la gouvernance. C’est pour moi le point le plus important, mais je commence à douter d’une quelconque amélioration. En effet, le président de la République avait déjà insisté sur ce sujet en 2018 (il avait parlé de « remettre le médecin au cœur de la gouvernance ») mais sans y donner suite. L’hôpital français est littéralement paralysé par la bureaucratie. D’après les chiffres officiels, 35 % des emplois hospitaliers seraient administratifs, contre 24 % en Allemagne. Les hôpitaux ont été regroupés en « groupes hospitaliers », les services en « pôles » ou « départements médico-universitaires », et tous les établissements de santé placés sous la tutelle des ARS (qui emploient 9000 personnes au total !). A l’AP-HP, la plupart des commissions et des services de direction présents au siège central existent également à l’échelle des 39 hôpitaux de l’institution. Cette suradministration génère un nombre considérable de doublons, un coût financier exorbitant, et une inertie qui entrave et décourage toutes les initiatives du terrain. Ce d’autant que la loi HPST de 2009 a retiré le pouvoir aux responsables médicaux pour le donner aux directeurs. Pour l’instant, aucune proposition concrète n’a été faite pour rééquilibrer le pouvoir à l’hôpital. Il n’y a pourtant qu’une solution, et elle est relativement simple : supprimer les strates (pôles et groupes hospitaliers) et restaurer l’autonomie des services en attribuant aux chefs de services un budget pour recruter, s’équiper et mener à bien les projets de recherche clinique. Ce dispositif est depuis longtemps en vigueur dans de nombreux pays développés. Bien entendu, les chefs de service ne doivent pas recevoir un chèque en blanc ; ils seraient soumis à des évaluations régulières et transparentes par la communauté médico-administrative, et leur budget serait revu à la baisse ou à la hausse selon leurs résultats. Ce serait le début du fameux « hôpital-entreprise », dont tout le monde se plaint mais qui n’a en fait jamais existé dans notre pays.

Quatrièmement, l’organisation de la santé par territoires. Cela fait des années qu’on en parle, avec toujours le même constat : ça ne marche pas. C’était déjà l’objectif des ARS ; on voit le résultat ! Au début de l’épidémie, quand les réanimations étaient saturées dans les hôpitaux de la région Grand-Est, il a fallu transporter par trains ou hélicoptères certains malades vers d’autres régions ou l’Allemagne. Pendant ce temps, les établissements privés environnants criaient au scandale car ils avaient été vidés de leur activité et leurs lits de soins intensifs restaient vides ! Nous avons connu le même phénomène en région parisienne : à côté d’hôpitaux pleins à craquer, des cliniques totalement à l’arrêt. On a bien compris que les ARS n’étaient que le prolongement de l’Etat, et qu’au lieu de coordonner les soins à l’échelle régionale, elles n’arrivaient bien souvent qu’à produire des procédures déconnectées des besoins locaux. En 2018, Agnès Buzyn avait annoncé la création de 1000 communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Rien que ça ! Bien entendu, cette nouvelle instance était à articuler avec les groupements hospitaliers de territoires (GHT), rendus obligatoires en 2016. Combien de couches va-t-on encore ajouter à l’organigramme ? Pour quel coût ? Et pour quelle efficacité ? Selon moi, il est grand temps d’abandonner l’idée de vouloir « territorialiser » la santé. Notre pays n’est pas prêt à se départir de son jacobinisme. Au lieu de créer des nouvelles structures avec l’illusion de décentraliser, nos gouvernants feraient mieux de supprimer une bonne fois pour toutes les couches intermédiaires entre l’Etat et les acteurs hospitaliers. Des milliards seraient ainsi économisés.

Cinquièmement, l’assouplissement des 35 heures. Voici une vraie nouveauté que j’approuve sans hésitation. Elle ne figurait pas dans les plans précédents. Les 35 heures ont torpillé l’organisation des hôpitaux et profondément changé l’état d’esprit des soignants. Déjà peu enclins à dépasser les horaires (ce qui est parfaitement compréhensible quand on est mal payé), beaucoup pensent aujourd’hui davantage à leurs repos qu’à leur travail. Autrefois très présents dans les services au contact des patients et des médecins, les cadres de santé passent désormais plus de temps à remplir les plannings qu’à exercer leur métier. Entre les CA, les RTT, les RR, les RE, les congés bonifiés, les journées formations ou syndicales (et j’en oublie certainement), l’hôpital s’est beaucoup fonctionnarisé. S’il est vrai que les rémunérations des soignants sont parmi les plus faibles de l’OCDE, le temps de travail est lui-aussi très bas. Et l’absentéisme particulièrement élevé ! C’est pourquoi j’aurais trouvé plus efficace d’augmenter les salaires à hauteur du temps de travail. Par exemple, une augmentation de 20 % en échange d’un retour aux 39 heures, et pour tout le monde. Cette simple mesure, couplée à la suppression des congés bonifiés qui sont injustes et d’un autre temps, permettrait de combler beaucoup de manques en personnel dans les services. Monsieur Véran a précisé qu’il ne souhaitait pas imposer plus d’heures de travail, sans doute par peur d’une fronde syndicale. Il mise donc sur le volontariat. C’est la seule réserve que j’apporte à sa proposition.

Sixièmement, le financement des hôpitaux. Le plan « Ma Santé 2022 » visait déjà à réduire la part de tarification à l’activité, dont tout le monde connait les dérives : gestion comptable, inflation d’actes inutiles, surcoût pour la Sécurité sociale. Les premières mesures de ce plan consistaient à définir des forfaits associés à des « parcours de soins », en particulier pour les maladies chroniques. On ne peut qu’approuver une telle approche, mais elle n’est pas dénuée d’inconvénients. D’une part, un retour à une « dotation globale » parait inapproprié : il faut bien que les services de gros volume perçoivent davantage de recettes que les petits. D’autre part, la mise en place de « référentiels de bonnes pratiques » risque de se transformer en véritable usine à gaz. Peut-être faudrait-il un système mixte, avec une part de dotation et de T2A. Sur ce sujet encore, le flou persiste.

Pour finir, la vraie question est celle de la faisabilité financière de ces annonces. Notre pays dépense déjà 11 % de sa richesse pour la Santé, c’est beaucoup. Nous avons fait le choix d’un reste à charge pour les ménages très faible : environ 7 % en 2019, ce qui nous place à la dernière place des pays de l’OCDE. Le dispositif des ALD, la CMU, l’AME, et plus récemment le reste à charge zéro sur certaines lunettes et prothèses auditives, ont donné l’illusion à nos concitoyens que la santé était un dû. C’est surtout de cela que notre système pâtit. On ne peut pas exiger à la fois une santé quasi-gratuite pour tous, un temps de travail trop faible, des gestionnaires partout, et des hôpitaux à la pointe de la technologie. L’équation n’est pas tenable. Pour trouver les marges nécessaires à la revalorisation des soignants et à la modernisation des hôpitaux, il faudrait soit travailler plus, soit supprimer de la bureaucratie, soit augmenter le reste à charge des patients. Et sans doute faudrait-il faire les trois.