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Budget 2020 : du pouvoir d’achat au travail

Par Bruno Ducoudré, Pierre Madec, Mathieu Plane et Raul Sampognaro, Sciences Po, OFCE

En 2020, les choix budgétaires s’inscrivent dans la continuité de 2019 et vont contribuer positivement au pouvoir d’achat, à hauteur de 5 milliards d’euros, notamment sous l’impulsion de la baisse de l’impôt sur le revenu et ce malgré la mise en place de nouvelles mesures d’économies (désindexation de certaines prestations sociales, réforme des APL et de l’assurance chômage). (1)

Depuis 2019, une réorientation de la politique budgétaire en faveur des ménages a eu lieu. Elle a été marquée par les mesures en réponse au mouvement des « gilets jaunes » qui ont conduit à un gain de pouvoir d’achat de 12 milliards d’euros pour les ménages, ciblant en priorité le milieu de la distribution des niveaux de vie. L’orientation depuis 2019 est différente des choix budgétaires adoptés dans la Loi de finances 2018, qui consistaient principalement à réduire la fiscalité du capital (réforme de l’ISF et mise en place du PFU) et à poursuivre la baisse de la fiscalité des entreprises amorcée sous François Hollande. Au total, sur la période 2018-2020, l’ensemble des mesures socio-fiscales devraient contribuer à augmenter le pouvoir d’achat des ménages de 17,3 milliards d’euros, principalement en 2019. Cela représente un gain moyen de 590 euros par ménage, dont 410 euros pour la seule année 2019 (et 180 euros pour 2020).

Du côté des entreprises, après une année 2019 marquée par la transformation du CICE en baisse de cotisations sociales, conduisant à un surcoût ponctuel pour les finances publiques de l’ordre de 20 milliards d’euros, l’année 2020 se caractérise principalement par la poursuite de la baisse de l’IS, la suspension de la taxe GAFA et la réduction de certaines niches fiscales.

Des taux de prélèvement en baisse et des économies sur les dépenses publiques

Entre 2010 et 2018, les prélèvements obligatoires (PO) sur les ménages se sont accrus de 3,3 points de PIB et ceux pesant sur les entreprises de 0,2 point. C’est seulement depuis 2019 que l’on observe une réduction des PO pesant sur les ménages, une première depuis dix ans. Et cette tendance se poursuivrait en 2020. Ainsi sur la période 2019-2020, les PO sur les ménages se réduiraient de 0,6 point de PIB, dont 0,5 point expliqué par les mesures fiscales issues de la Loi Mesures d’urgences économiques et sociales et du Grand débat. En 2019, le taux de PO sur les entreprises se serait réduit nettement pour atteindre un plus bas historique, principalement en raison de la transformation du CICE. Hors l’effet transitoire du CICE, le taux de PO apparent des entreprises serait stable en 2019 et diminuerait de 0,1 point de PIB en 2020. Malgré les baisses discrétionnaires de la fiscalité sur les ménages depuis deux ans, le taux de PO apparent sur les ménages en 2020 reste encore 2,3 points de PIB au-dessus de sa moyenne 1995-2010. À l’inverse, celui sur les entreprises est 0,9 point de PIB en-dessous.

Concernant les dépenses publiques, l’objectif du gouvernement demeure celui de réaliser des économies structurelles en 2020, ciblées en priorité sur le gel de l’indice de la fonction publique, les dépenses de fonctionnement des collectivités locales, la politique du logement et l’assurance chômage. À cela s’ajoute, en 2020, la désindexation sur l’inflation de certaines prestations sociales et des retraites au-delà de 2 000 euros. A contrario, certains minima sociaux connaissent une dernière revalorisation et le budget global de la Prime d’activité augmenterait avec la hausse du taux de recours.

2020 : un budget taillé pour les actifs occupés

Les mesures socio fiscales de 2020 impacteraient différemment les ménages selon leur position dans l’échelle des niveaux de vie. Si, en moyenne, les ménages bénéficient largement des mesures socio-fiscales mises en œuvre en 2020, 30 % des ménages devraient subir, toutes choses égales par ailleurs, une baisse de leur revenu disponible du fait de la mise en place de celles-ci.

Les 5 % des ménages les plus modestes verraient leur revenu disponible diminuer en moyenne de 45 euros par an. La baisse des aides au logement, la réforme des allocations chômage et la hausse du prix du tabac n’étant qu’en partie compensées par la baisse de la taxe d’habitation et les revalorisations de l’AAH et de l’ASPA. Plus globalement, les ménages appartenant au 20 % les plus modestes, c’est-à-dire ceux ayant un niveau de vie inférieur à 1 315 euros par mois et par unité de consommation, devraient perdre en moyenne à la mise en place des mesures du budget 2020.

Dans le même temps, les ménages du milieu de la distribution devraient bénéficier des mesures touchant l’impôt sur le revenu, la taxe d’habitation et les heures supplémentaires. Pour des niveaux de vie (2) compris entre 1 315 euros et 2 385 euros par unité de consommation, le gain moyen devrait aller croissant et devrait dépasser les 600 euros en moyenne par ménage pour les 13ème et 14ème vingtièmes (seuls 25 % des ménages sont plus aisés qu’eux). À partir de là, le gain moyen devrait décroître sous l’effet déclinant de la baisse de la taxe d’habitation et alors même que la baisse de l’impôt sur le revenu devrait continuer à soutenir le revenu disponible des ménages pour les ménages dont le niveau de vie est inférieur à 3 200 euros par unité de consommation. Finalement, près de 90 % des ménages du centre de la distribution devraient bénéficier de la mise en œuvre des mesures socio fiscales du budget 2020. A contrario, chez les ménages les plus aisés, des perdants seront à dénombrer chez les ménages retraités du fait du quasi-gel des pensions de retraite de plus de 2 000 euros par mois.

Depuis 2018, le revenu disponible des ménages a été soutenu à hauteur d’environ 17 milliards d’euros par les mesures socio-fiscales. Malgré le rééquilibrage important en faveur des classes moyennes intervenu en 2019 et poursuivi en 2020, le bilan redistributif reste en grande partie dominé par les effets de la réforme de la fiscalité du capital intervenue en 2018 puisqu’un quart du montant global des mesures est allé soutenir celui des 5 % de ménages les plus aisés. Si les ménages du centre de la distribution ont largement bénéficié de la mise en œuvre des mesures du budget 2019 et nous l’avons vu devraient être les grands gagnants du budget 2020, les 10 % de ménages les plus modestes ont été mis à contribution en 2018 et sont peu impactés par les budgets 2019 et 2020. Au total, plus des deux tiers des ménages appartenant aux 10 % les plus modestes affichent des pertes de revenu disponible du fait de l’entrée en vigueur de l’ensemble des mesures socio-fiscales sur le période 2018-2020.

Outre la place des ménages dans l’échelle des niveaux de vie, l’analyse des effets cumulés des mesures 2018-2020 fait apparaître un rôle prépondérant du statut d’activité des ménages. Sur les 17 milliards d’euros de revenu disponible distribués aux ménages depuis le début du quinquennat, plus de 12 milliards d’euros ont été versés aux personnes seules actives occupées ou aux couples comptant 2 actifs occupés. A contrario, les personnes seules au chômage et les retraités (en couple ou seul) ont été mis à contribution à hauteur de 1,6 milliard d’euros.

La politique budgétaire privilégie la croissance au détriment des ajustements budgétaires

La France verrait son effort structurel primaire se dégrader de 0,2 point de PIB en 2020, comme en 2019, mais le déficit public passerait à nouveau en-dessous des 3 % du PIB en 2020 (à 2,4 %), en raison de la fin du surcoût temporaire de la transformation du CICE et de la baisse des charges d’intérêts. C’est son plus bas niveau depuis vingt ans. La dette publique au sens de Maastricht resterait quasiment stable à 99,0 % du PIB (après 98,8 % attendu en 2019).

La politique budgétaire aurait un impact modéré mais positif sur la croissance du PIB en 2020 (+0,1 point de PIB), tirée principalement par l’effet de la baisse des prélèvements obligatoires directs sur les ménages et l’impact positif lié à la baisse de la fiscalité sur les entreprises et la montée en charge des effets de la réforme de la fiscalité du capital. À l’inverse les économies structurelles en dépenses pèseraient sur l’évolution du PIB. En cumulant les années 2018 à 2020, les mesures socio-fiscales mises en place depuis le début du quinquennat ont contribué à accroître le PIB de 0,2 point, avec des effets positifs très concentrés sur 2019 (impact sur la croissance de -0,3 point de PIB en 2018, +0,5 point en 2019 et +0,1 point en 2020). 


1. Cet article est une synthèse de B. Ducoudré, P. Madec, M. Plane et R.Sampognaro, 2020, « Du pouvoir d’achat au travail », Policy brief de l’OFCE,n° 64, février.


2. Le niveau est égal au revenu disponible du ménage divisé par le nombre d’unités de consommation (UC). Les unités de consommation sont calculées selon l’échelle d’équivalence dite de l’OCDE modifiée qui attribue 1 UC au premier adulte du ménage, puis 0,5 UC aux autres personnes de 14 ans ou plus et 0,3 UC aux enfants de moins de 14 ans.