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L’écologie humaniste comme remède à l’écologisme dominant

Par Julien Aubert, Député (LR, Vaucluse)

Depuis 40 ans, une école de pensée que l’on peut qualifier d’« écologisme antihumaniste » tient le haut du pavé médiatique en matière d’environnement et d’écologie. Plutôt que de chercher des solutions permettant de prendre à bras le corps le réchauffement climatique sans contrevenir au développement des sociétés humaines, cette école de pensée part du principe que l’Homme est la variable d’ajustement à sacrifier sur l’autel d’une société écologiquement irréprochable.

Le Livret Vert postule l’inverse : aucun projet politique, aussi vertueux soit-il, ne peut se construire en opposition au développement de l’Homme. Ce livret aborde particulièrement la question de la ruralité et de son inévitable corollaire, le monde agricole. Dans ces deux domaines, l’écologisme, essentiellement citadin, ne déroge pas à ses dogmes et entend « rééduquer » des territoires qu’il connaît très mal pour « sauver la planète ».

La ruralité au cœur d’un nouveau projet d’aménagement du territoire

Le Livret Vert propose de repenser le déploiement des politiques écologiques dans l’espace. En effet, depuis 40 ans, au lieu de s’inspirer du mode de vie rural, qui est sans doute le meilleur exemple de cohabitation de l’Homme dans les espaces naturels, les politiques publiques ont sciemment encouragé la concentration urbaine dans le but de rechercher des économies d’échelle ou des économies tout court. Dans le même temps, les espaces ruraux ont été le théâtre d’une débauche d’argent public pour le déploiement des nouvelles énergies (éolien notamment), provoquant parfois la révolte des ruraux ayant l’impression d’être les cobayes de politiques décidées depuis Paris. Face à cela, nous recommandons dans ce livret la création d’un commissariat de la planification territoriale et énergétique, chargé de conclure des contrats d’objectifs et de moyens avec les collectivités territoriales ayant une vue d’ensemble des territoires et des enjeux.

Ce déclassement du monde rural au profit des villes s’est par ailleurs nourri de la lente agonie de l’agriculture française. Toute politique de redynamisation de la ruralité française doit donc comporter un important volet consacré à l’agriculture française.

En matière d’agriculture, la nécessité d’un protectionnisme d’équilibre

En matière d’élevage, l’Écologisme prône en réalité, via le concept de neutralité carbone, la fin de l’élevage, au nom des émissions de gaz à effet de serre. Cela rejoint l’anti-spécisme militant qui multiplie les coups de force contre certaines exploitations, au nom de la maltraitance animale mais aussi d’un abolitionnisme naïf qui fait de l’animal l’équivalent de l’homme. L’expérience de la ruralité, c’est aussi une cohabitation symbiotique qui permet la protection de certaines espèces, la régulation des prédateurs, et le maintien des équilibres naturels.

L’agriculture vivrière illustre les divergences de perception entre l’écologisme dominant et l’écologie humaniste. Deux camps irréconciliables s’opposent : d’un côté, les écologistes pourfendeurs de l’agriculture conventionnelle qui, selon eux, contribue sauvagement à la destruction de la Nature ; de l’autre, des pragmatiques qui tressent les louanges de l’agriculture conventionnelle et reprochent à leurs adversaires de ne pas voir que cette dernière représente le seul système capable de donner à manger à tout le monde à moindre frais. Le Livret Vert propose une grille pour départager les deux camps, en définissant cinq critères constitutifs d’un « bon produit ». Le critère de qualité, notamment sanitaire, est identifié comme le plus important pour la chaîne de production car il est celui qui aiguillonne le consommateur final.

L’agriculture biologique et l’agriculture conventionnelle, passées au tamis de ces cinq paramètres, révèlent une réalité assez éloignée des messages de communication qui nous sont assénés.

Le bio est allé de pair avec l’interdiction des OGM mais cela n’a nullement protégé le consommateur, qui peut consommer de tels produits dûment importés. La souveraineté alimentaire de la France s’en est, elle, trouvée affectée, d’autant que l’agriculture biologique est moins productive. Quant au critère écologique, il est à nuancer car les substituts aux pesticides, ne sont pas tous exempts d’impacts naturels. Surtout, le paramètre économique est négligé dans l’approche du tout-biologique portée par les écologistes, en l’absence d’une remise en cause d’une ouverture totale des frontières. Les interdictions d’intrants fragilisent les filières les moins compétitives et provoquent une substitution d’importations étrangères à la production nationale… sans que les produits importés puissent se revendiquer eux-mêmes forcément bio.

Le Livret Vert dénonce les polémiques entretenues par des écolo-millénaristes qui jouent sur les angoisses sanitaires, pour « forcer » le passage à la transition biologique. Le calcul politique qui prévaut sur les intrants est ainsi le suivant : interdire le glyphosate, qui est l’un des produits les plus inoffensifs aujourd’hui utilisés, obligerait les agriculteurs à compenser par d’autres produits plus nocifs, ce qui permettra ensuite aux écologistes de démontrer la dangerosité absolue de l’agriculture conventionnelle et donc la nécessité d’amplifier les interdictions.

Nous proposons donc sur la question sanitaire de transformer dans la Constitution le principe de précaution en principe de prudence responsable. Lorsqu’il neige, la précaution est de ne pas rouler alors que la prudence préconise de rouler mais moins vite qu’à l’accoutumée. Ensuite, nous affirmons qu’aucune pratique ne saurait être interdite lorsqu’elle contribue à la richesse nationale si elle ne dispose pas d’une solution de substitution et s’il n’existe pas une probabilité scientifiquement étayée de dangerosité.

Quant à l’agriculture conventionnelle, si ses résultats purement écologiques ne la font pas rougir par rapport à son homologue biologique, le respect du critère sanitaire est beaucoup plus complexe, du fait des externalités environnementales négatives rejetées par les exploitations agricoles utilisant des engrais azotés de synthèse et des produits phytosanitaires. Les mises en garde sur des risques beaucoup moins réels ont aussi été encouragées, et cet excès de normalisation finit par miner la compétitivité de l’agriculture conventionnelle, dans un système marchand totalement ouvert.

En effet, ni le modèle biologique, ni le modèle conventionnel ne résolvent le principal écueil de l’agriculture française depuis plusieurs décennies : la volonté de l’inscrire dans un système de libre-échange sans barrière, avec le seul prix de production comme arbitre des élégances.

Le Livret Vert propose de réinstaurer des droits de douane sur tous les produits agricoles importées hors de l’UE sur le marché français et faisant l’objet d’une concurrence déloyale préjudiciable aux agriculteurs français. L’objectif n’est pas de mettre en place un protectionnisme défensif mais plutôt un protectionnisme d’équilibre permettant de rétablir les conditions d’une concurrence juste et vraie, c’est-à-dire de corriger les écarts de conditions de production entre le marché agricole français et les autres marchés. Une seconde recommandation concerne l’usage du paramètre écologique dans les marchés publics pour systématiquement favoriser l’approvisionnement local, en faisant passer le critère bio ou qualitatif au second rang des préoccupations. Une troisième recommandation désigne la mise en place de régimes d’exception sectoriels pour les produits alimentaires sous signe de qualité, afin de ne pas importer des produits confusionnels qui ne respecteraient pas les mêmes cahiers des charges. Le Livret Vert plaide enfin pour un dépassement du clivage actuel bio / conventionnel en expérimentant les nouveaux modèles agricoles de type « agriculture des sols vivants », c’est-à-dire en supprimant les sols nus avec l’institution de couverts permanents sur les sols.