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Revoir la frontière entre les lois financières

Par François Ecalle, Président de FIPECO

La loi organique relative aux lois de finances (la LOLF) de 2001 fêtera bientôt son vingtième anniversaire, ce qui devrait donner l’occasion d’en établir un nouveau bilan et de formuler des propositions visant à améliorer les lois de finances. Les sujets de réflexion ne manquent pas : le volet « gestion par la performance » de la LOLF est très décevant ; la responsabilité des « responsables » de programmes reste à définir et à mettre en jeu ; la présentation de la comptabilité budgétaire est parfois peu compréhensible (cf. les « prélèvements sur recettes » qui sont en réalité des dépenses) ; la comptabilité générale de l’Etat est très peu utilisée ; la pluri-annualité budgétaire pourrait être plus efficace.

Je me limiterai dans ce billet à l’articulation entre les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale. Etant donné que de nombreux impôts et taxes sont affectés aux régimes de sécurité sociale, les documents budgétaires et les débats parlementaires relatifs aux ressources de l’Etat et de la sécurité sociale pourraient être mieux coordonnés. Je pense toutefois qu’une réforme beaucoup plus ambitieuse est nécessaire et qu’il faudrait revoir complètement la frontière entre les champs respectifs de l’Etat, donc des lois de finances, et de la sécurité sociale, donc de ses lois de financement.

La sécurité sociale reposait à l’origine sur un modèle bismarckien d’assurance, où les prestations dépendaient des cotisations et où celles-ci devaient équilibrer les prestations. Dans un tel modèle, la frontière entre l’Etat et la sécurité sociale, ou entre les lois de finances et de financement ou encore entre les impôts et les cotisations sociales, est claire.

La sécurité sociale a évolué progressivement vers un modèle beveridgien où, dans une logique de solidarité, les prestations dépendent des besoins (comme les remboursements de dépenses de santé), ne dépendent plus des cotisations et peuvent même être modulées selon les revenus (comme les allocations familiales). Les prestations devraient être financées par l’impôt et par l’Etat dans un tel modèle, ce qui est généralement le cas dans les pays où il a été adopté.

Aujourd’hui, en France, les dispositifs d’assurance et de solidarité sont souvent indistinctement mêlés. Le solde des comptes de la sécurité sociale et, plus encore, celui de chacune de ses branches dépendent du remboursement par l’Etat des dépenses de solidarité, ou des allègements de cotisations, ainsi que du montant des impôts affectés et de leur répartition entre les régimes, les branches et les divers fonds.

Les modalités de partage des dépenses de solidarité et des ressources entre l’Etat et la sécurité sociale sont devenu financièrement déterminantes pour celle-ci : la CSG, les autres contributions et les impôts et taxes affectés représentent 34 % des recettes des régimes obligatoires de base et du FSV. Or elles sont incompréhensibles et très instables.

Le refus par l’Etat de rembourser au régime général le coût des mesures d’urgence sociale de décembre 2018 en est la dernière illustration. En conséquence, on peut aussi bien dire que le régime général est quasiment à l’équilibre en 2019, avec un déficit de seulement 0,2 Mde selon la commission des comptes de la sécurité sociale qui applique la législation actuelle, ou qu’il est déficitaire à hauteur de 3,1 Mde, selon le Gouvernement qui n’entend pas lui rembourser le coût de ces mesures.

Les canaux budgétaires de transmission des impôts aux régimes de sécurité sociale et aux fonds de financement constituent une usine à gaz que seuls quelques initiés des directions du budget et de la sécurité sociale peuvent comprendre. Le schéma de cette usine à gaz pourrait finir par être compris par les non-initiés s’il ne changeait pas tous les ans dans des conditions et pour des raisons opaques et discutables.

En conséquence, le « trou de la sécu » ne veut plus dire grand-chose. Le solde des comptes de la sécurité sociale, et par symétrie celui de l’Etat, n’a plus guère de signification et seul le solde du compte des administrations publiques dans leur ensemble en a une. Au niveau international, seuls comptent d’ailleurs le déficit et la dette des administrations publiques.

Il faut redonner un sens aux comptes de l’Etat et de la sécurité sociale en rectifiant la frontière entre les lois de finance et de financement sur la base d’une distinction entre les fonctions d’assurance et de solidarité.

Cette distinction a d’importantes conséquences économiques, comme le rappelle une note du conseil d’analyse économique de 2016. Si les actifs considèrent que les cotisations prélevées sur les revenus de leur travail leur donnent l’assurance de revenus de remplacement futurs en cas de perte de leur travail, ils peuvent accepter plus facilement une perte de leur pouvoir d’achat si ces cotisations sont augmentées ; étant considérées comme un « salaire différé », les cotisations sociales, qu’elles soient salariales ou patronales, accroissent alors relativement peu le coût du travail pour les employeurs.

En revanche, les actifs acceptent plus difficilement que les revenus de leur travail soient amputés pour financer des prestations universelles ou modulées selon les revenus, qui ne leur sont donc pas particulièrement destinées. La pression exercée par les prélèvements obligatoires à la hausse sur le coût du travail est alors plus forte.

Les prestations d’assurance maladie et familiales relèvent désormais d’une logique de solidarité. Les cotisations sociales affectées à ces branches, qui sont désormais seulement patronales, devraient donc être progressivement remplacées par des impôts (la TVA, la CSG ou l’impôt sur le revenu compte-tenu de la masse de cotisations en jeu et pour améliorer la compétitivité des entreprises).

Ces impôts ne seraient pas nécessairement affectés aux caisses de sécurité sociale mais pourraient abonder le budget général de l’Etat. Celui-ci verserait une dotation annuelle aux caisses fixée par le Parlement sur la base d’objectifs de dépenses tels que l’ONDAM. Le solde comptable des caisses signifierait alors qu’il y a un écart entre ces objectifs et les dépenses constatées et il serait largement indépendant de la conjoncture économique.

En revanche, les régimes de retraite relèvent encore principalement d’une logique d’assurance et doivent être financés par des cotisations qui équilibrent les prestations, au moins en moyenne sur plusieurs années. C’est aussi le cas du régime des accidents du travail et ce devrait être également le cas du régime d’assurance chômage bien que les dernières réformes y renforcent la solidarité et le fassent évoluer vers un régime beveridgien.

Les lois de financement de la sécurité sociale devraient donc être recentrées sur ces régimes d’assurance (retraites, chômage et accidents du travail) en les couvrant complètement, c’est à-dire en incluant les indemnités de chômage, les retraites complémentaires et les pensions des fonctionnaires de l’Etat dans leur champ.

Des dispositifs de solidarité améliorent les droits à la retraite et représentent environ 25 % du total des pensions versées. Comme c’est le cas aujourd’hui avec le FSV mais plus systématiquement, il faudrait clairement distinguer un régime d’assurance vieillesse financé par les cotisations sociales et un fonds de solidarité vieillesse financé par l’impôt à travers le budget de l’Etat.

Les pensions auraient deux composantes distinctes versées simultanément : une composante assurantielle financée par le régime d’assurance et une composante solidaire financée par l’Etat à travers le fonds de solidarité.

C’est à peu près le schéma proposé dans le rapport de Jean-Paul Delevoye, qui distingue une caisse nationale universelle de retraites et un fonds de solidarité vieillesse universel. 

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