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“Sécurité sociale : le retour à l’équilibre se dérobe”

Par Jean-Marie Vanlerenberghe, Sénateur, Rapporteur général de la Commission des affaires sociales

Comme chaque année depuis 2015, la Mission d’évaluation et de contrôle de la Sécurité sociale (Mecss) du Sénat m’a chargé de faire un bilan sur l’application de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Mon rapport d’information fait donc le point sur la situation et les perspectives des comptes sociaux puis, dans une seconde partie, sur l’état d’avancement des principales mesures de la LFSS pour 2018. Son titre « Sécurité sociale : le retour à l’équilibre se dérobe » s’est hélas révélé prémonitoire.

Publié à l’été 2019, il annonçait déjà les lourdes incertitudes qui pèsent sur la LFSS cette année malgré une rémission en 2018.

En effet, l’année dernière, les comptes sociaux avaient poursuivi leur amélioration, le régime général et le Fonds de solidarité vieillesse (FSV) n’affichant plus un déficit « que » de 1,2 milliard d’euros (contre 5,1 milliards l’année précédente). Prises dans leur ensemble, les administrations de Sécurité sociale, qui incluent les retraites complémentaires, l’assurance chômage, les hôpitaux, etc. avaient même dégagé un excédent de 10,8 milliards d’euros (0,5 point de PIB). L’augmentation de l’évolution des recettes de la Sécurité sociale (+3,4 % pour ce qui concerne le régime général) due au dynamisme de la masse salariale, au prélèvement sur les revenus patrimoniaux eux aussi en forte hausse et à un rendement supérieur à la prévision des droits tabac, expliquait en grande partie cette amélioration. Face à ces recettes, les dépenses (soit 395,7 milliards d’euros pour le régime général et le FSV) avaient également augmenté mais à un rythme moindre que les recettes. L’objectif national de dépenses d’assurance maladie (ONDAM) avait une nouvelle fois été respecté, les dépenses relevant de son périmètre ayant progressé de 2,2 %.

Malgré cette embellie qui pouvait nous faire croire que l’équilibre financier de la Sécurité sociale semblait à portée de main, j’avais émis lors de la présentation de mon rapport un avis pessimiste pour la suite.

De fait, la présentation récente du PLFSS pour 2020 traduit une nette dégradation de la trajectoire financière de la Sécurité sociale dont le déficit devrait atteindre 5,4 milliards d’euros en 2019 puis encore 5,1 milliards en 2020. Alors que le Gouvernement tablait sur un léger excédent pour 2019, le retour à l’équilibre des comptes sociaux est désormais reporté à 2023.

Dans le rouge depuis 2002, les comptes du régime général et du fonds de solidarité vieillesse (FSV) se sont lourdement dégradés cette année, sous le coup de trois facteurs.

• La conjoncture économique s’est avérée moins bonne que prévu : croissance et masse salariale n’ont pas augmenté autant qu’espéré, réduisant en proportion les recettes attendues ;

• La Sécurité sociale paie aussi la facture des mesures d’urgence (CSG réduite pour certains retraités et exonérations des heures supplémentaires) prises en réponse au mouvement des Gilets jaunes. Des concessions qui pèsent surtout sur les branches maladie et retraite qui supportent pour l’essentiel le coût de l’exonération de cotisations non compensées par l’Etat en dépit de la loi Veil de 1994.

• Enfin, les prestations vieillesse ont été plus dynamiques qu’anticipé, notamment parce que le relèvement de l’âge légal et l’augmentation de la durée de cotisation, décidés par les précédents gouvernements, produisent de moins en moins d’effet sur l’âge réel de départ et génèrent donc moins d’économies.

La gravité de cette rechute des comptes sociaux reste encore à déterminer puisque plusieurs annonces du Chef de l’Etat à l’issue du Grand débat national, pour légitimes voire insuffisantes qu’elles soient, ne vont pas faciliter le redressement des comptes. La ré-indexation des pensions de retraite de moins de 2000 euros sur l’inflation et la promesse d’une retraite minimale à 1 000 euros dont le coût total est estimé à 1,5 milliard d’euros risquent de détériorer un peu plus le solde de la Sécurité Sociale en l’absence de toute mesure d’âge.

Il faudra encore ajouter quelques dizaines de millions d’euros pour des mesures emblématiques comme le recouvrement des pensions alimentaires par les caisses d’allocations familiales (CAF) ou la création d’un congé indemnisé pour les proches aidants d’une personne âgée, malade ou handicapée.

Une accumulation qui laisse peu de marges de manoeuvre pour d’autres rallonges, en particulier dans le secteur de la santé où les foyers de tensions se multiplient : Ehpad, urgences, psychiatrie…

Au-delà de l’étude des comptes sociaux, la seconde partie de mon rapport d’information examine l’application de plusieurs mesures emblématiques de la loi de financement de la Sécurité sociale pour 2018. Deux mesures importantes de la LFSS ont fait l’objet de mon attention : les mesures de pouvoir d’achat en faveur des actifs et l’intégration du RSI au sein du régime général.

Concernant le premier point, les diminutions de cotisations et contributions sociales acquittées par les actifs et la hausse concomitante de la CSG de 1,7 point sur la quasi-totalité des revenus s’est traduite, en 2018, par un gain net pour les finances publiques de 5,6 milliards d’euros, ce qui a eu pour conséquence des effets globalement négatifs sur le pouvoir d’achat des Français en 2018. Ce résultat paradoxal est principalement dû au caractère progressif de l’exonération des contributions des salariés à l’assurance chômage, qui a limité le gain des actifs sur leurs revenus d’activité à 1,1 milliard d’euros.

Je serai en revanche plus optimiste sur la seconde mesure qui est celle de la réforme de la protection sociale des travailleurs indépendants. L’intégration de RSI au régime général est en bonne voie. En effet, la prise à temps des mesures réglementaires par le Gouvernement et le pilotage resserré de la réforme dans les caisses du régime général permettent d’envisager la bascule de la Sécurité sociale des travailleurs indépendants dans le régime général le 1er janvier 2020 avec sérénité même si la simplification du calcul et du recouvrement de leurs cotisations sociales est toujours à l’étude. 

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