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Ma santé 2022 : un horizon différé pour des politiques contrariées

Par Jean-Pierre Door, Député du Loiret, Vice-président de la Commission des Affaires sociales

En dépit de l’importance d’une dépense de santé d’un montant annuel de 200 milliards d’euros, soit 8,6 % du PIB, et des succès obtenus quant à la qualité des soins et dans le domaine de la recherche médicale, les performances de notre système de santé sont très inégales et une remise en question s’impose. Mais sous la pression des événements et de la colère sociale, l’urgence d’une transformation profonde pourtant annoncée à grand renfort de communication par le gouvernement s’en trouve différée.

Il y a un an, le Président de la République présentait à la presse un plan de réforme de notre système de santé fixé à l’horizon de la fin du quinquennat, alors apparu d’inspiration essentiellement technocratique et n’étant pas à la hauteur des attentes des Français pour résoudre les urgences récurrentes. Rebaptisée « Ma santé 2022 », cette réforme est évidemment nécessaire à condition qu’elle corresponde à nos besoins en matière de soins. Or, ceux-ci ont considérablement changé sous l’effet de plusieurs facteurs : vieillissement de la population, forte augmentation des maladies chroniques et insuffisance de la prévention, sous l’effet aussi des progrès technologiques, des nouvelles thérapeutiques et de l’entrée du numérique dans la santé. L’hôpital public est actuellement en crise, crise à la fois financière, structurelle et organisationnelle. Et l’explosion des services d’urgence n’est que le révélateur de ses propres contradictions et de sa mauvaise situation financière. Ma santé 2022 n’est en soi pas susceptible de résoudre la situation catastrophique des hôpitaux et de l’accès aux soins qui nous a été rappelée par les Gilets jaunes. C’est pourtant bien d’une refondation dont aurait besoin l’hôpital.

Déposé le 13 février 2019 à l’Assemblée nationale, le projet de la loi relatif à l’organisation et à la transformation du système de santé, après un compromis en commission mixte paritaire a été définitivement adopté le 23 juillet dernier. Il traduit seulement une partie des mesures annoncées par Emmanuel Macron. Le texte, dont la méthode de discussion est contestable, je l’ai dit devant l’Assemblée nationale, reste flou car plusieurs de ses dispositions sont renvoyées au décret et d’autres à des ordonnances. Le Parlement a ainsi été privé d’un débat complet sur des sujets importants.

La loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé modifie en premier lieu le mode d’accès aux études médicales, pharmaceutiques, odontologiques et maïeutiques. La mesure la plus spectaculaire en est la suppression de la première année commune aux études de santé et celle du numerus clausus pour intégrer la deuxième année de premier cycle. L’entrée dans le cursus de médecine restera toutefois sélective et il vaudrait ainsi mieux parler d’une révision du numerus clausus. Il reste à voir comment sera déterminé le nombre d’étudiants formés dans ces études, quelles seront les capacités de formation et des besoins du système de santé, et comment elles seront appréciées. En tout état de cause, cette disposition ne saurait être une réponse immédiate aux projections alarmantes de la démographie médicale, le ministère de la Santé estimant que les effectifs des médecins libéraux vont baisser de 14 % à l’horizon 2027. Car les études médicales ont une durée de 9 à 12 ans !

La loi supprime aussi les épreuves classantes nationales. Pour accéder à l’internat, les externes devront non seulement avoir validé leur 2ème cycle, mais aussi avoir obtenu une note minimale aux nouvelles épreuves, dont le volet théorique doit rester national. Les études médicales ont désormais pour objectif de permettre à l’étudiant d’acquérir des compétences dans l’exercice des activités de soins et de prévention dans différents territoires et modes d’exercice, ce à quoi nous ne pouvons que souscrire. L’objectif devrait en tout cas être l’attractivité de la médecine générale. Ainsi, je considère utile que le contrat d’engagement du service public, aide à l’installation étendue par la loi, puisse bénéficier à ceux qui se destinent à la médecine générale libérale.

Le texte a en second lieu pour objectif de développer un collectif de soins, entre professionnels, et secteur ambulatoire, médico-social ou hospitalier, et d’instituer une nouvelle organisation territoriale de soins. Il encourage le développement de projets de santé de territoire. Il crée, d’une part, le projet territorial de santé mais prévoit le contrôle par l’agence régionale de santé des projets des communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS). Dans les CPTS, tous les professionnels de santé devront travailler en réseau. En encourageant le travail interdisciplinaire entre libéraux, en facilitant le parcours de soins des patients et en offrant des consultations sans rendez-vous ce peut être un moyen de désengorger à l’avenir les urgences hospitalières. Les groupements hospitaliers de territoire (GHT) qui regroupent plusieurs hôpitaux d’un même département devront partager leurs ressources en praticiens, en trésorerie et en investissements. Les commissions médicales de groupement sont désormais obligatoires dans chaque groupement hospitalier de territoire, ce qui vise à renforcer l’intégration des groupements hospitaliers de territoire. J’ai à cet égard demandé un renforcement du rôle des élus locaux dans le pilotage territorial de la santé au sein du conseil de surveillance des agences régionales de santé. Afin d’assurer le premier niveau de la gradation de l’offre de soins, des centres hospitaliers vont être labellisés hôpitaux de proximité mais il est à craindre que cela ne se traduise par une suppression de la chirurgie conventionnelle et de l’obstétrique.

Pour faire gagner du temps aux médecins, le texte permet la délégation de certaines de leurs tâches aux pharmaciens ou aux infirmières, par exemple, mais c’est bien peu au regard du poids des tâches administratives. Une plate-forme des données est créée afin de réunir, organiser et mettre à disposition les données du système national des données de santé. Chaque usager peut ouvrir son espace numérique d’ici le 1er janvier 2022 afin d’accéder à son dossier médical partagé ainsi qu’à des outils numériques permettant des échanges sécurisés avec les professionnels et établissements de santé. L’usager peut décider à tout moment de la fermeture de son espace numérique de santé et détruire les données y figurant. Le texte adapte le cadre légal existant afin d’assurer le déploiement de la télémédecine et des télésoins. Je suis évidemment favorable à cette mesure car elle constitue une voie nouvelle visant à faciliter l’accès des citoyens aux soins sur l’ensemble du territoire et évitant au patient des déplacements inutiles ou un recours à des services d’urgence surchargés. Elle permet aussi d’accélérer la prise en charge et le suivi des patients. Ainsi, en créant l’Association de médecine du Gâtinais, j’ai moi-même fait le pari de la médecine 2.0 et j’ai ainsi incité notamment les maires de ma circonscription de l’est du Loiret à se mobiliser pour lancer la téléconsultation dans leur commune.

L’introduction, par un amendement du Sénat, d’une séquence de professionnalisation territoriale à la fin du troisième cycle des études de médecine, a constitué le cœur des débats en commission mixte paritaire. Un travail commun des rapporteurs des deux assemblées a permis de parvenir à une rédaction de compromis, prévoyant l’obligation pour les étudiants de troisième cycle de médecine générale et d’autres spécialités de premier recours d’effectuer un stage d’au moins six mois en médecine ambulatoire, en priorité dans les zones sous-denses, sous la supervision d’un médecin. Plusieurs des apports du Sénat en première lecture ont été conservés. Je me réjouis que le principe de la liberté d’installation du médecin ait finalement été préservé.

Cependant des points négatifs ou totalement absents de ce projet de loi demeurent. Par exemple, l’absence de vision stratégique de la prévention et de l’innovation, ou le manque de propositions sur le statut des centres hospitaliers universitaires. Une réflexion devrait être menée à son terme pour l’intégration complète de certains praticiens à diplôme étranger hors Union européenne encore oubliés de ce texte.

Il reste aussi que la situation des finances de la Sécurité sociale en général – et du régime de retraite en particulier - sonne comme un sévère avertissement. Celle-ci s’est fortement dégradée en 2019 non seulement en raison du ralentissement de l’économie mais du coût des mesures d’urgence concédées en décembre 2018 aux Gilets jaunes. Au lieu d’un léger excédent promis l’an dernier par le gouvernement les comptes de la Sécurité sociale replongeront de nouveau cette année dans le rouge avec un déficit de 5,4 milliards d’euros. Cette dérive continuera en 2020 avec un déficit de 5,1 milliards. Le retour à l’équilibre attendu depuis 18 ans ne pourra pas être atteint avant 2023. Le retour à une hausse annuelle de l’ONDAM de 2,3 % à partir de 2020, après 2,5 % en 2019, suppose, comme l’observe la Cour des comptes, un net renforcement de la maîtrise des dépenses sur les autres postes. Comment dans ces conditions le gouvernement va-t-il à l’avenir tenir cet objectif étant donné, par exemple, la situation des déficits hospitaliers et son engagement à financer la transformation du système de santé à l’horizon 2022 ?

Au total “Ma Santé 2022” laisse un goût d’inachevé. La loi ne tient pas assez compte ni des enjeux ni des besoins. Et en l’absence d’une véritable réforme de la gouvernance du système de soins elle risque de n’être que la répétition des plans précédents puis d’être remplacée par un suivant. Contrarié par la crise des Gilets jaunes, l’horizon se décale peu à peu au-delà du quinquennat. L’urgence s’en trouve encore différée. 

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