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Définir les conditions et priorités fondamentales pour faire du numérique un outil au service de la qualité, de la sécurité et de l’efficience du système de santé et de protection sociale

Par Dominique Le Guludec, Présidente de la HAS, Isabelle Adenot et Christian Saout, membres du collège de la HAS

Présentation du rapport d’analyse prospective de la HAS : « Numérique, quelle (r)évolution ? ».

La Haute Autorité de santé est une autorité publique indépendante à vocation scientifique, avec trois missions principales : évaluer médicaments, dispositifs médicaux et actes en vue du remboursement ; recommander les bonnes pratiques professionnelles, élaborer des recommandations de santé publique ; et mesurer et améliorer la qualité des soins dans les hôpitaux et cliniques, et des accompagnements dans les établissements sociaux et médicosociaux. Parmi les missions nouvelles dévolues à la HAS par l’ordonnance 2017-84 du 26 janvier 2017 figure la remise au Parlement et au gouvernement d’une « analyse prospective du système de santé comportant des propositions d’amélioration de la qualité, de l’efficacité et de l’efficience ».

Le premier rapport d’analyse prospective, en 2018, s’intitulait « De nouveaux choix pour soigner mieux ». Le rapport 2019 est consacré au numérique en santé et dans le champ social et médico-social.

Le but de la HAS à travers ce rapport est de définir les conditions et priorités fondamentales pour faire du numérique un outil au service de la qualité, de la sécurité et de l’efficience du système de santé et de protection sociale.

La HAS a centré son approche sur quatre conditions nécessaires à ce que le virage numérique se fasse sous le signe de la confiance et de la qualité.

1. Pour un numérique au service de tous les usagers et de l’engagement de chacun

Trois préoccupations se profilent pour rendre le numérique acceptable socialement. La première a trait à l’accès physique à Internet et aux technologies associées. La deuxième porte sur la nécessité de progrès dans la médiation numérique. Il ne s’agit pas seulement de viser les publics les plus précarisés ou vulnérables, mais aussi tous ceux qui éprouvent une difficulté, technique ou culturelle, avec le numérique. Cette notion de médiation numérique représente un enjeu considérable. La troisième préoccupation tient à la sauvegarde de l’anonymat lorsqu’il est prévu par certaines politiques de santé ou d’accompagnement social.

C’est pourquoi la HAS propose notamment de :

• Garantir l’accès aux services numériques, par une alternative physique ou humaine à tout moment, au nom du principe d’égalité devant le service public.

• Promouvoir la médiation numérique, par un référentiel de compétences, de formation et de bonnes pratiques, sans préjuger des métiers, fonctions et lieux en situation d’assurer cette médiation numérique.

• Donner les moyens, financiers et humains, aux secteurs social et médico-social de rattraper leur retard technologique.

2. Mettre le numérique au service de la qualité des soins et des accompagnements

Pour faire face aux défis actuels de l’organisation des parcours des usagers de la santé et du social, les transformations structurelles à engager sont majeures, et nombre d’entre elles peuvent bénéficier des solutions offertes par le numérique pour améliorer divers aspects de la qualité des soins et des accompagnements.

La HAS propose trois séries d’actions complémentaires pour faire du numérique un outil de l’amélioration de la qualité des soins et des accompagnements : la mise à disposition pour les professionnels d’outils favorisant la qualité de leur action ; une appropriation par les professionnels de la culture numérique appliquée à leurs pratiques ; et l’utilisation des données de vie réelle recueillies grâce aux outils numériques pour permettre une amélioration de la qualité des parcours, des pratiques et des technologies de santé.

Dans cette partie, la HAS recommande notamment de :

• Inciter à la structuration d’une réflexion collective, sur le mode d’Etats Généraux par exemple, pour chaque corps professionnel, afin que chacun se penche sur l’évolution potentielle de ses pratiques.

• Intégrer des fonctionnalités d’évaluation des parcours, ainsi que de restitution aux utilisateurs avec comparaison à la distribution nationale ou régionale dans la conception d’outils numériques à destination des professionnels.

3. Organiser l’évaluation des solutions numériques pour développer la confiance

Investir efficacement dans le numérique en santé, c’est poursuivre des objectifs de qualité, d’efficacité, d’équité et d’accessibilité des soins. Le développement de démarches d’évaluation des solutions numériques est indispensable pour renforcer la confiance et accompagner la transformation numérique.

La HAS recommande en particulier de construire une matrice d’évaluation adaptée au numérique, afin de définir le champ de ce qui doit être évalué et selon quelles modalités, en fonction des priorités nationales et des risques pour l’individu et la collectivité.

De nouveaux et nombreux logiciels d’aide à la décision font leur apparition et sont proposés aux professionnels de santé pour les aider dans leurs diagnostics ou leurs choix thérapeutiques. L’offre se développe très rapidement au vu des promesses du développement de l’intelligence artificielle. La HAS accueille ainsi avec satisfaction l’article 55 de la loi du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé qui prévoit la remise au Parlement d’un rapport détaillant les enjeux et les modalités d’une évaluation des logiciels destinés à fournir des informations utilisées à des fins diagnostiques et d’aide aux choix thérapeutiques, ainsi que la possibilité de prendre par voie d’ordonnance des mesures relatives à l’évaluation de ces logiciels.

4. Principes de bon usage des données sensibles et de l’intelligence artificielle par la puissance publique

Une utilisation plus intensive des données de santé pourrait améliorer la compréhension des déterminants de l’état de santé, renforcer le suivi en vie réelle des produits de santé, fluidifier les parcours de soins, améliorer les diagnostics et transformer la relation entre patients et professionnels. En matière sociale, l’exploration des données peut aussi aider à personnaliser l’accompagnement des usagers ou à comprendre les déterminants de réussite des parcours d’insertion.

Toutefois, les données de santé et les données sociales sont parmi les plus sensibles : elles révèlent des aspects intimes de notre vie privée, dont des fragilités qui pourraient être exploitées à notre désavantage. Il ne peut pas être envisagé de les faire circuler sans règles. L’enjeu pour le régulateur public est de renforcer la confiance dans le numérique et de mettre en œuvre un encadrement éthique.

Ainsi, la HAS émet notamment les propositions suivantes :

• Élargir la notion de « données d’intérêt public » à toutes les données qui présentent un intérêt pour l’évaluation des politiques publiques en matière de santé et d’accompagnement social et médico-social, notamment les décisions de financement public de solutions numériques.

• Introduire au niveau européen un principe visant à garantir les droits fondamentaux des usagers des systèmes de santé et d’accompagnement social en cas d’utilisation d’outils numériques et particulièrement d’outils d’intelligence artificielle.

A ce titre, la HAS accueille avec un grand intérêt les dispositions de l’article 11 du futur projet de loi relatif à la bioéthique, qui introduit un principe législatif de garantie humaine du numérique en santé. Cet article vise à sécuriser la bonne information du patient lorsqu’un traitement algorithmique de données massives est utilisé à l’occasion d’un acte de soins. Il décline également la garantie d’une intervention humaine.

La HAS est convaincue que nous avons les moyens de tirer le meilleur du numérique tout en nous prémunissant d’un risque sanitaire ou d’une remise en cause de nos droits fondamentaux. Il faut pour cela une prise de conscience que cette cause nous est commune. La loi de transformation de notre système de santé et le projet de loi de révision des lois de bioéthique reprennent certaines des propositions contenues dans ce rapport. Ce sont de premiers et bons signaux d’accompagnement du virage numérique. 

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