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Retour sur l’accès précoce aux médicaments innovants

Entretien avec les Sénatrices Catherine Deroche (LR, Maine-et-Loire), Véronique Guillotin (RDSE, Meurthe-et-Moselle), et le Sénateur Yves Daudigny (Soc. et Rep.,Aisne)

Un an après la publication de leur rapport sur l’accès précoce aux médicaments innovants, les trois sénateurs ont souhaité dresser le bilan de la mise en oeuvre de ses préconisations et faire un point d’étape en auditionnant les principales parties prenantes.

Plus d’un an après la publication de votre rapport, constatez-vous des évolutions positives en matière d’accès précoce des patients aux traitements innovants ?

Catherine Deroche : Plusieurs des recommandations que nous avions formulées ont été reprises dans les travaux du 8ème Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) de juillet 2018 réunissant industriels et pouvoirs publics : les enjeux de l’accès précoce aux traitements innovants ont été identifiés comme une priorité, avec un objectif de réduction des délais d’accès au marché à 180 jours à l’horizon 2022 (soit le délai réglementaire européen), contre plus de 500 jours aujourd’hui.

La loi de financement de la sécurité sociale pour 2019 a par ailleurs étendu le dispositif des ATU (autorisations temporaires d’utilisation) aux extensions d’indications : c’était une proposition de notre rapport et une demande pressante des professionnels de santé, notamment en oncologie pour s’adapter à l’arrivée de l’immunothérapie.

Toutefois, des points de blocage demeurent. En particulier, notre réglementation est devenue extrêmement complexe et offre une visibilité et une prévisibilité insuffisantes aux industriels.

Quels sont les principaux points de blocage et quels défis pose l’accès aux innovations thérapeutiques à notre système de santé ?

Yves Daudigny : Un premier obstacle à l’égal accès des patients à certains traitements sur le territoire vient des incohérences du système de la « liste en sus », destiné à favoriser l’accès à des médicaments onéreux à l’hôpital. Nous avions proposé de remettre à plat les critères d’inscription sur cette liste et d’en assurer une gestion plus dynamique, mais rien n’a changé sur ce point.

De manière plus générale, nos procédures n’apparaissent pas toujours adaptées au changement de paradigme dans le développement des médicaments innovants. D’autres pays sont confrontés aux mêmes questions : comment financer les thérapies géniques qui concerneront demain des populations plus larges de patients ? Peut-on rémunérer au prix fort des médicaments dont les effets sont encore mal appréhendés sur le plan scientifique ?

Dans cet équilibre délicat, nous avions notamment proposé d’adapter nos procédures, pour envisager par exemple un remboursement temporaire de traitements prometteurs, à réévaluer selon les données cliniques collectées en vie réelle.

La France est-elle suffisamment armée dans la compétition internationale pour attirer les essais cliniques de médicaments innovants ?

Véronique Guillotin : L’ANSM a nettement amélioré ses délais d’autorisation des essais cliniques, bien en-deçà des 60 jours réglementaires, notamment en développant des circuits courts (également appelés procédures de « fast track ») pour permettre un accès plus rapide des patients aux traitements innovants.

En revanche, les délais d’examen des projets d’essai clinique par les comités de protection des personnes (CPP) ne se sont guère améliorés. La modulation du tirage au sort des CPP selon leur disponibilité et leur expertise n’est toujours pas effective, un an après le vote d’une proposition de loi en ce sens. Le système d’information qui doit permettre cette sélection plus opérationnelle des CPP n’a pas encore été déployé. Les moyens humains et financiers des CPP demeurent en outre très insuffisants : certains n’ont même pas de secrétariat pour fonctionner pendant les congés d’été.

Enfin, l’ordre du jour des 39 CPP reste encombré par l’augmentation exponentielle des demandes de recherche non interventionnelle, c’est-à-dire des recherches qui se bornent essentiellement à analyser des données de santé. Nous proposons que ces dossiers soient centralisés auprès d’un seul comité d’éthique qui serait exclusivement dédié à la protection des données personnelles de santé. Ce transfert permettrait de décharger l’ordre du jour des autres CPP afin que ceux-ci puissent se consacrer pleinement à l’examen des projets d’essais cliniques de médicaments. 

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