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La maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction

Par Jean-Luc Lagleize, Député de la Haute-Garonne, Commission des affaires économiques

Par courrier et décret en date du 04 avril 2019, le Premier ministre m’a chargé d’une mission temporaire ayant pour objet la maîtrise des coûts du foncier dans les opérations de construction.

Cette mission fait directement suite à la promulgation de la loi ÉLAN (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique). Cette loi avait pour objectif principal de construire plus, mieux et moins cher, de restructurer et renforcer le secteur du logement social, de répondre aux besoins de chacun, de favoriser la mixité sociale, d’améliorer le cadre de vie et de renforcer la cohésion sociale, mais n’abordait qu’à la marge l’enjeu de la régulation du prix du foncier.

Pourtant, la situation est critique en la matière : en France, le prix du foncier a augmenté en moyenne de 71 % en 10 ans, pendant que le prix de construction a augmenté de 24 % sur la même période, occasionnant des difficultés pour de nombreux Français à se loger dignement et librement, notamment dans les zones tendues.

Désormais, le poids moyen du foncier dans le bilan d’une opération d’aménagement atteint régulièrement 30, 40, voire 50 % dans les zones les plus tendues que sont la capitale, la région parisienne, les grandes agglomérations, les zones transfrontalières, mais aussi plus largement les villes et zones touristiques, particulièrement sur le littoral et la montagne, mais également outre-mer.

Le lien entre le coût du foncier et le pouvoir d’achat des Français, considérablement grevé par les dépenses liées au logement et à l’habitation, est donc clair, alors même que la part des dépenses contraintes dans le revenu des ménages est passée de 12 % dans les années 1960 à près de 30 % en 2017, selon l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee).

Parmi les dépenses contraintes, c’est surtout le logement qui plombe le pouvoir d’achat. Les dépenses de logement n’ont quasiment jamais cessé de s’élever, du fait de la hausse des loyers et du prix du foncier (et donc des logements), mais aussi du prix de l’électricité, du gaz et de l’ensemble des autres charges liées à l’habitation.

Or, la hausse des dépenses contraintes pèse sur les plus fragiles. Si l’on ajoute aux dépenses contraintes les dépenses incontournables en alimentation, en transport, en santé et en éducation, l’ensemble pèse 87 % des revenus des plus modestes, contre 65 % pour les plus aisés selon l’Observatoire des inégalités.

C’est le logement qui coûte le plus cher, puisque le taux d’effort pour le logement (part des dépenses de logement une fois les aides déduites) atteindrait 42 % pour les 10 % les plus fragiles en 2013, contre 17,4 % pour la moyenne de la population, selon l’enquête « Logement » de l’Insee.

Au bout du compte, le « reste à vivre » demeure très inégal selon les ménages comme le note l’Observatoire des inégalités. Il reste par exemple 80 euros par mois en moyenne au dixième le plus pauvre après ses dépenses contraintes et incontournables contre 1 474 euros au dixième le plus riche.

Cette question du coût du logement engendre un éloignement des classes moyennes des zones tendues et, en conséquence, une hausse importante des dépenses consacrées au transport, qui demeure souvent individuel.

Ce constat grave est le fruit de sept mois de travaux, durant lesquels j’ai réalisé plus d’une centaine d’auditions de l’ensemble des parties prenantes du secteur : associations d’élus et de collectivités territoriales, services de l’État, établissements publics, bailleurs sociaux, personnalités qualifiées et professionnels de l’immobilier, parmi lesquels promoteurs, constructeurs, dépollueurs, fédérations professionnelles, notaires, avocats, architectes ou encore start-ups.

Les 50 propositions que contient mon rapport visent, in fine, à rendre plus de logements accessibles aux Français. De natures diverses, elles sont classées en cinq enjeux :

1. Casser l’engrenage infernal de la hausse des coûts du foncier

Parmi les mesures phares de ce chapitre figurent la suppression du recours à la vente aux enchères lors des cessions de foncier public, la réforme de la Direction de l’immobilier de l’État (DIE), ou encore la création d’observatoires du foncier dans les zones tendues.

2. Libérer le foncier et améliorer la constructibilité

Ce chapitre préconise de transformer le régime d’imposition des plus-values immobilières, de faciliter le droit de préemption urbain, de mieux lutter contre les biens vacants et en état d’abandon manifeste, ou encore de créer une prime de constructibilité pour les maires bâtisseurs.

3. Optimiser le foncier disponible

Pour atteindre l’objectif de ce chapitre, je propose de recenser et d’encourager les projets de surélévation, et de réhabiliter et de valoriser les friches, notamment par la création d’un fonds national pour la dépollution des friches.

4. Attirer les investisseurs dans le logement locatif

Attirer les investisseurs dans le logement locatif est essentiel pour faciliter le parcours résidentiel de nos concitoyens. C’est pourquoi je recommande d’affiner le dispositif d’investissement locatif dit « Pinel », d’exclure l’immobilier proposé à la location pour résidence principale de l’assiette de l’impôt sur la fortune immobilière (IFI), ou encore d’abaisser le plafond de durée de location de meublés touristiques et de renforcer les sanctions.

5. Stopper définitivement la spéculation foncière

Enfin, je préconise la création d’organismes de fonciers libres qui favoriseront les projets d’acquisition de logements fondés sur la dissociation de la propriété du foncier et du bâti. Cette mesure majeur vise à développer de façon innovante ce troisième droit de propriété qui vient s’inscrire en complément des deux premiers que sont la pleine propriété classique et le démembrement du droit de propriété, qui partage ce dernier entre l’usufruitier et le nu-propriétaire. La dissociation permettra de produire des logements à un coût plus accessible pour nos concitoyens, sur le modèle des organismes de fonciers solidaires, tout en l’étendant au logement intermédiaire, au logement libre, ou encore à des usages commerciaux ou de service.

Afin de traduire certaines des 50 propositions de ce rapport, j’ai porté, avec le groupe du Mouvement Démocrate, une proposition de loi pour être en capacité de mettre en œuvre dans les meilleurs délais certaines mesures phares, toujours dans l’objectif de réduire le coût du foncier, d’augmenter l’offre de logements accessibles aux Français et de replacer les élus locaux au cœur de l’acte de construire la ville.

Adopté à l’unanimité le 28 novembre 2019 en première lecture par l’Assemblée nationale, ce texte de sept articles prévoit de limiter le recours aux enchères pour les ventes de fonciers de l’État et des collectivités territoriales, pratique qui conduit à un renchérissement délétère du prix du foncier et qui alimente la spéculation foncière.

Le texte développe de façon innovante le troisième droit de propriété fondé sur la dissociation entre le foncier et le bâti, qui permettra de produire des logements à un coût plus accessible pour nos concitoyens. Il propose aussi la création d’observatoires de l’habitat et du foncier, pour accroître la transparence au profit des élus locaux et des citoyens.

Enfin, cette proposition de loi donne aux élus locaux un certain nombre d’outils nouveaux pour accroître la transparence du marché immobilier, pour amorcer la dépollution des lieux en friche en faveur de la construction de logements, pour constituer des réserves foncières, ou encore pour améliorer l’évaluation de leur patrimoine foncier et immobilier.

Notre ambition est que les Français puissent s’émanciper et retrouver de la liberté dans leur parcours résidentiel. Il reste désormais au Sénat de se saisir de cette proposition de loi afin qu’elle puisse se concrétiser au plus vite, au bénéfice du pouvoir d’achat des Français et du pouvoir d’initiative des maires.