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Adopter de nouveaux modèles économiques liés à l’économie circulaire

Par Béatrice Bellini, Maître de conférences en Sciences de gestion à l’Université Paris Nanterre, associée au Laboratoire CEROS et responsable de la chaine « Positive Business »*

Les enjeux liés à la préservation de la planète nécessitent le basculement d’une économie linéaire à une économie circulaire. Compte-tenu notamment de la limitation des ressources naturelles disponibles.

Pour atteindre l’objectif du « Facteur 4 », à savoir la division par 4 de nos consommations d’ici 2050, la croissance dans notre société actuelle nécessite ainsi d’être découplée de la consommation de ressources.

Les modèles d’affaires, reposant le plus souvent sur des objectifs de vente de produits, vont devoir être réinventés pour devenir compatibles avec un développement plus durable.

Pour rappel, l’économie linéaire est fondée sur le prélèvement de ressources utilisées pour la fabrication de produits destinés à être vendus puis mis au rebut en fin de vie. L’économie circulaire, quant à elle, vise à une réutilisation permanente des ressources, sans ou avec peu de prélèvement dans le milieu naturel, constitutive d’une boucle fermée. De nombreux acteurs tendent à restreindre le champ de l’économie circulaire à la gestion des déchets en boucle ouverte, leur récupération ne contribuant pas à freiner un modèle fortement consommateur de ressources.

L’ADEME (1) propose une définition de l’économie circulaire en sept piliers eux-mêmes regroupés en trois domaines :

• production de l’offre : approvisionnement durable, écoconception, écologie industrielle, économie de fonctionnalité ;

• consommation : consommation responsable et allongement de la durée d’usage ;

• gestion de déchets : recyclage.

Ces sept piliers sont pourtant tous conditionnés par une seule étape : la conception du produit. C’est en effet lors de cette phase que vont être déterminés 80 % des impacts de ce dernier sur tout son cycle de vie.

Ainsi, l’écoconception va permettre d’intégrer la composante environnementale dès la conception du produit, en intégrant toutes les étapes du cycle de vie de celui-ci, à savoir l’approvisionnement, la production, la distribution, l’utilisation et la fin de vie, mais également en analysant différents types d’impacts sur l’environnement (eutrophisation, acidification, gaz à effet de serre…).

Les écoconcepteurs, au sein des directions Recherche et Développement, vont réaliser des analyses relatives aux fonctionnalités liées à l’usage recherché, utiliser des outils évaluant des produits et en déduire une série de solutions plus écologiques. Il est à déplorer que le choix final soit le plus souvent orienté vers l’option qui génère les réductions de coûts les plus conséquentes, aux dépens parfois d’une vision à plus long terme. L’approvisionnement durable est déconnecté de l’écoconception et se réfère à la phase opérationnelle du choix des fournisseurs. Il va généralement relever du service des achats. Il sous-tend des conditions sociales et/ou environnementales plus favorables, qui vont souvent s’avérer plus coûteuses. Des labellisations existent avec des périmètres et des exigences différentes.

Après la première étape de l’écoconception, qui est la réflexion sur l’analyse de la valeur et les fonctions recherchées, le mode d’accès pour le client à ces fonctionnalités va ensuite être défini : le choix porte soit sur la vente du produit ou sur la vente de son usage. L’économie de fonctionnalité représente cette deuxième option, le fabricant gardant alors la propriété du produit pour ne donner à son client que sa jouissance. Une des conséquences de cette option est l’intérêt pour le fabricant d’allonger la durée de vie de son produit par le choix de matériaux plus résistants, une conception modulaire, une maintenance et des mises à jour facilitées, des récupérations de pièces...

Si le fabricant choisit la vente de l’usage, les choix en matière de conception vont changer ainsi que le modèle d’affaires. Par exemple, le besoin de financement va être plus important puisqu’il garde la propriété de tous ses produits, il y aura aussi des conséquences en matière d’assurances, de mise à disposition des produits… La gestion de ce changement est délicate puisque, outre la multitude des modifications organisationnelles entraînées (postes de travail, modes de rémunération…), les indicateurs de performance économique actuels ne sont pas adaptés. Les relations entre les acteurs de la filière doivent, elles aussi, évoluer avec plus de transparence, de confiance et un juste partage de la valeur, ce qui ne correspond pas actuellement aux principes directeurs des affaires.

Les modèles d’économie de fonctionnalité deviennent envisageables dans différents secteurs, entre autres du fait de la révolution numérique, qui permet un suivi plus simple du produit et des flux d’informations liés. Ils permettent l’émergence de véritables innovations marketing et commerciales, fondées sur des modèles « data-centrés », souvent plus rémunérateurs que les modèles classiques de vente de produits, permettant la fidélisation du client par une relation plus individualisée. Toutefois, un facteur à maîtriser est la consommation énergétique liée à la gestion des flux d’information, aux manipulations et au stockage de données. Des approches plus sobres sont à développer, comme le « data-minimization » préconisé par le Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD) (2).

En conclusion, la mise en place de l’économie circulaire en boucle fermée est possible uniquement avec une évolution des modèles d’affaires, rendant compatible les intérêts économiques, environnementaux et sociaux. De nouveaux repères sont cependant indispensables, que ce soit dans l’évaluation de la performance des organisations mais aussi dans la pratique des affaires. Cette nouvelle économie peut permettre de créer de la valeur via la qualité sociale et environnementale des offres en cohérence avec les différents textes réglementaires récemment adoptés (loi Pacte, loi sur le devoir de vigilance, l’ordonnance sur le reporting extra-financier) imposant aux entreprises une intégration de cette réflexion dans leur stratégie et leur politique générale. 


1. https://www.ademe.fr/expertises/economie-circulaire


2. RGPD adopté par l’Union Européenne sous le n°2016/679


* Ses recherches portent sur les modèles d’affaires responsables, comme l’économie de la fonctionnalité, ainsi que sur les approches marketing de création de valeur par la qualité sociale et environnementale de produits et de services.

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