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Se donner les moyens d’être plus responsables de nos déchets

Entretien avec Jacques Vernier, Président de la Commission des filières REP et du comité de pilotage de la consigne

Quels ont été vos constats et vos recommandations lors de votre rapport sur le dispositif des filières REP et leur insertion dans le projet de loi ?

Je suis assez satisfait car une grande partie des mesures que j’avais proposées ont été insérées dans le projet de loi. Trois points me semblent essentiels.

Les REP (responsabilité élargie des producteurs) rendent comme on le sait les producteurs responsables des déchets qui résultent de leurs produits. La France a créé la première REP il y a 25 ans pour les emballages et on en compte 14 obligatoires aujourd’hui. En France le dispositif est donc très développé par rapport à l’Europe où seulement 4 REP sont obligatoires. J’ai pu faire le constat que c’était un outil efficace, le taux de collecte et de valorisation des déchets a beaucoup progressé. De façon inégale, car dans certaines filières c’est collecter qui est difficile alors que dans d’autres c’est le recyclage qui est plus compliqué. Par exemple les épaves de véhicules une fois collectées se recyclent très bien mais l’enjeu réside dans la collecte car on estime qu’1/3 des véhicules hors d’usage partent dans des filières de collecte illégales. En revanche pour les plastiques ou le bois la collecte est assez aisée mais le recyclage est plus compliqué. Les filières REP ont vraiment permis de développer les deux.

Pour améliorer le dispositif, j’ai préconisé que certaines filières soient étendues, comme par exemple celle des véhicules automobiles aux deux roues, ou celle des déchets chimiques des ménages à ceux des artisans (dans ce dernier cas afin de changer une frontière qui donnait lieu à des contentieux permanents).

J’ai également proposé la création de nouvelles filières : jouets ; articles de sport ; de bricolage ; déchets du bâtiment (pas des travaux publics). Ces derniers représentent autant de déchets que les déchets ménagers : environ 40 millions de tonnes. En sachant que certains sont recyclés (les déchets inertes, ou les métaux) ; d’autres ne le sont guère (plastiques, plâtre, verre). Une filière REP pour certains déchets du bâtiment pourrait servir à financer l’accueil gratuit de ces déchets dans les points de reprise. En d’autres termes cela permettrait de financer le coût de la reprise du déchet lors de l’achat des matériaux de construction, au lieu de le faire payer aux vertueux qui prennent le soin de rapporter leurs déchets. Pour les mégots j’avais évoqué le sujet sans faire de préconisation et finalement le projet de loi l’a inclus. En fait tout comme les lingettes, leur inclusion dans le projet de loi résulte de la directive européenne de Juin 2019 sur les plastiques (1). Le Sénat y a ajouté les textiles sanitaires, plus communément appelés « couches » mais je ne suis pas sûr que cela soit maintenu au passage à l’Assemblée car le gouvernement y est semble-t-il opposé. Personnellement j’y suis favorable.

Ensuite sur le réemploi. J’avais constaté que les filières REP ne l’encourageaient pas assez. J’ai donc également proposé que l’on assigne un taux de réemploi dans le cahier des charges de chaque filière. Ce taux de réemploi n’est actuellement obligatoire que dans la filière meubles. Mais dans les faits il se pratique par exemple dans la filière des déchets électriques et électroniques. Les deux éco-organismes de la filière travaillent déjà avec des associations ou des entreprises sociales et solidaires de réemploi. Le réemploi pourrait avoir une dimension sociale par exemple pour les articles de sport ou de loisir ou les jouets qui pourraient donner lieu à des achats de seconde main à moindre coût. La proposition qu’un taux de réemploi soit inclus au cahier des charges et qu’il augmente petit à petit se retrouve dans la loi. Mais le réemploi est forcément un long chemin qui ne s’empruntera pas en un jour.

Le dernier point sur lequel je souhaiterais insister est l’atteinte des objectifs de collecte et de recyclage par les éco-organismes sous contrainte d’une sanction financière. Dans chaque filière il y a des objectifs, datés, en taux de collecte, en taux de recyclage de ce qui est collecté ou les deux, qui sont parfois fixés au niveau européen pour les filières européennes comme les piles. Mais j’ai constaté qu’il ne se passait rien lorsque ces objectifs n’étaient pas atteints. Cette proposition de sanction lorsque les objectifs ne sont pas atteints a été incluse dans le texte, au départ prévue par ordonnance et le Sénat a modifié le texte en l’incluant dans le projet de loi. Ce que j’approuve.

Vous avez remis un rapport au gouvernement sur la consigne afin d’apporter des éléments plus précis de solution à ce point proposé dans le texte. La consigne des bouteilles en plastique a fait énormément débat au Sénat. Pouvez-vous nous donner des précisions sur cette question ?

Avant que la question soit discutée au Sénat j’ai rendu un pré-rapport et le 14 octobre j’ai présenté un document plus détaillé au comité de pilotage de la consigne afin qu’il soit utilisable pour les discussions à l’Assemblée nationale.

Il faut déjà étudier la question avec en perspective la directive plastique européenne de juin 2019 que la France a entérinée et qui impose la suppression de certains objets en plastique à usage unique comme les cotons-tiges, les pailles, les couverts, les assiettes, les touillettes à partir de juillet 2021. Il va en rester et nous allons sûrement continuer à en supprimer. En attendant, pour ceux qui restent il vaut mieux les recycler que de les jeter n’importe où. Et la même directive exige que dans 10 ans il faille collecter 90 % des bouteilles de boissons en plastique alors qu’aujourd’hui nous sommes à 60 %. A l’avantage de la consigne je vois plusieurs raisons : tout d’abord cette pratique est répandue dans les pays européens qui ont un taux de collecte plus important que le nôtre. C’est le seul outil qui fonctionne vraiment. D’abord parce que c’est un circuit court qui permet de récupérer ces emballages dans un meilleur état (donc plus facilement valorisables) que lorsqu’ils sont mélangés à d’autres déchets dans nos poubelles et nos centres de tri. Ensuite parce qu’il y a une « carotte financière » à la clé : les consommateurs sont en effet incités à amener les bouteilles ou leurs canettes pour récupérer leur consigne. Certaines collectivités locales affirment qu’elles pourraient atteindre le taux de 90 % dans 10 ans. Je crois que certaines déjà très efficaces le pourraient. Mais d’autres sont trop en retard déjà par rapport à la moyenne française pour que ce soit réaliste. Car dans le paysage des 700 collectivités françaises qui font la collecte sélective, les quantités de plastique recyclées par chacun de ces EPCI varient d’un rapport de 1 à 14. Dernier point : les conséquences financières pour les collectivités. Ces dernières ont pu croire à juste titre qu’elles pourraient être lésées financièrement par ce manque à collecter engendré par la consigne. Or il pourrait être inscrit dans la loi que leur financement soit maintenu même si les bouteilles en plastique et les canettes sortent de nos poubelles jaunes. Aujourd’hui, les bouteilles et les canettes, qui seraient donc consignées, ne représentent d’ailleurs que seulement 9 % des déchets de nos poubelles jaunes. 


1. La directive (UE) 2019/904 du 5 juin 2019 relative à la réduction de l’incidence de certains produits en plastique sur l’environnement.

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