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Une question qui se pose à la société tout entière

Par Agnès Buzyn, Ministre des Solidarités et de la Santé

Le Grand-âge et l’autonomie sont des sujets à la fois universels et intimes. A l’échelle de tous, le vieillissement et la perspective de la fin de vie sont des évidences absolues. A l’échelle de chacun, et lorsqu’ils concernent nos proches, ils composent une vérité refusée, parfois douloureuse.

Face au défi démographique qui se dresse devant nous, la question du « bien vieillir » se pose à la société tout entière. Des réponses doivent être apportées et c’est tout le sens de la grande concertation qui a précédé le rapport de Dominique Libault et des propositions qui sont nées de ce rapport. J’ai pu mesurer au cours de mes nombreuses visites d’EHPAD, encore récemment à l’occasion des deux derniers épisodes caniculaires de cet été, l’extraordinaire dévouement des personnels travaillant dans les établissements. Je n’oublie pas non plus celui des intervenants à domicile que ce soit auprès de nos aînés, comme des personnes vivant avec un handicap.

Les difficultés auxquelles sont confrontés les personnels travaillant dans les EHPAD ou à domicile sont réelles. Il nous faudra y répondre dans le cadre du projet de loi sur le Grand âge et l’autonomie que je présenterai avant la fin de cette année.

Ces difficultés sont de deux ordres : la première tient d’abord au fait que notre pays n’a pas assez promu des modes d’hébergements adaptés à la perte d’autonomie (je pense ici à l’habitat inclusif) qui constituent autant de solutions intermédiaires entre le domicile de la personne âgée et l’EHPAD. Il nous faut accélérer la construction de ces logements dont certains incluent une offre de services à domicile. Ces solutions présentent en outre l’avantage de lutter contre l’isolement des personnes âgées dont nous connaissons les effets sur leur bien-être, donc, à terme sur leur autonomie.

La deuxième difficulté est liée à l’évolution du profil des personnes âgées entrant aujourd’hui en EHPAD dont le niveau d’autonomie est sensiblement plus dégradé qu’avant. Leur prise en charge par les personnels est donc plus complexe et physiquement plus éprouvante. Pour répondre à ce défi, nous devons recruter des agents dont les formations et les perspectives de carrière doivent être revues. C’est tout l’enjeu de la mission que j’ai confiée en juillet dernier à Myriam El Khomri qui me remettra son rapport à la mi-octobre.

Il faut aussi se poser la question de l’accès aux établissements. Le rapport Libault a fait des propositions pour diminuer le reste à charge des personnes âgées résidant en EHPAD disposant de revenus modestes et nous étudions actuellement très sérieusement cette proposition et les conditions de son financement. Nous devons cependant associer étroitement les conseils départementaux à nos travaux dans la mesure où les Départements, aujourd’hui compétents dans le champ de l’Autonomie, sont chargés de la tarification de la partie « hébergement » mais aussi du volet « Dépendance » des EHPAD. Je rappelle que l’Etat, plus précisément l’Assurance maladie, ne finance que les soins prodigués aux personnes âgées prises en charge en EHPAD.

Au-delà de la baisse du reste à charge des dépenses supportées par les résidents en EHPAD, et dont je mesure le poids pour les familles, la réforme du Grand âge et de l’autonomie devra permettre, à terme, une simplification du mode de tarification des EHPAD objectivement illisible pour les résidents mais aussi pour les financeurs que sont l’Assurance maladie et les Départements.

Nous devons aussi tenir compte et développer autant que possible le maintien à domicile, qui est plébiscité par les Français. La réforme que je présenterai à la fin de cette année devra donc être à la hauteur de cette attente d’une meilleure prise en charge des personnes âgées mais aussi des personnes vivant avec un handicap à domicile.

Cette réforme de la prise en charge des personnes en perte d’autonomie vivant à domicile, à laquelle Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat en charge des personnes handicapées, est pleinement associée, devra répondre à trois grands enjeux.

Le premier enjeu concerne les services d’aide à domicile auxquels nous devons, avec les Départements en charge de leur tarification et du financement de l’Allocation personnalisée à l’autonomie (APA), apporter plus de garanties sur l’exercice même de leurs missions auprès de 760 000 personnes quotidiennement. Nous devons en particulier redéfinir notre partenariat avec les conseils départementaux pour faire évoluer progressivement les tarifs des services d’aide à domicile. Ces derniers devront être la fois soutenables financièrement pour les personnes mais aussi pour les services, afin qu’ils puissent recruter et fidéliser leurs salariés, en particulier dans les territoires ruraux. Mais comme en EHPAD, nous devons aussi veiller à revaloriser les métiers et des rémunérations des personnes intervenant à domicile. C’est aussi l’un des grands enjeux de la mission confiée à Myriam El Khomri ;

Le deuxième enjeu est de permettre de mieux prendre en charge les temps de coordination avec les services prodiguant des soins à domicile qu’il s’agisse des soins infirmiers ou de l’hospitalisation à domicile. De ce point de vue, les Services Polyvalents d’Aide et de Soins à Domicile constituent une réponse qu’il nous faudra regarder et évaluer très prochainement ;

Le troisième enjeu concerne l’évolution de l’habitat lui-même. La réforme du Grand âge et de l’autonomie devra faciliter l’adaptation du logement à la perte d’autonomie de la personne qu’il nous faut mieux anticiper. Les solutions de financement des travaux d’adaptation du logement (salles de bains…) doivent pouvoir être mobilisées. Nous y travaillons actuellement avec Julien Denormandie, ministre chargé de la Ville et du Logement. Au-delà, le projet de loi devra rendre possible la construction d’habitats inclusifs qui permettent de mutualiser des services d’aide à domicile, en particulier dans des territoires où les personnes âgées supportent mal leur isolement. Des solutions existent déjà ; il nous faudra les encourager.

Si la société tout entière doit se mobiliser, il y en a qui se mobilisent déjà, un peu par « la force des choses », ce sont les aidants, et il faut aider les aidants.

Les aidants ne peuvent être les « oubliés » de notre système de protection sociale et plus largement de nos politiques de solidarité, comme l’a souligné le Président de la République, dans son allocution du 25 avril dernier. Le Premier Ministre, dans son discours de politique générale du 12 juin, a réaffirmé le besoin de mieux accompagner les aidants de personnes âgées, de personnes en situation de handicap ou de malades chroniques. Avec Sophie Cluzel, nous souhaitons, sans attendre l’examen du projet de loi sur le Grand âge et l’autonomie présenté, à l’automne, un plan de mobilisation nationale en faveur des proches aidants, en association forte avec les champs de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur, de la jeunesse ou encore du travail.

Dans ce chantier immense qui nous mobilise, le rapport Libault, par ses constats et ses préconisations, constitue pour le gouvernement un document de référence d’une grande qualité.

Son plus grand mérite est d’avoir alerté sur les faiblesses actuelles de notre système de prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie – à domicile comme en établissement - qui n’est pas adapté au défi démographique auquel notre pays devra faire face d’ici 2030. Selon le rapport Libault, le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie devrait augmenter de 20 000 chaque année d’ici 2030, pour atteindre 40 000 entre 2030 et 2040.

Le rapport Libault appelle surtout une réponse globale pour, demain, mieux prévenir et mieux accompagner la perte d’autonomie de la personne âgée, tant en ce qui concerne l’habitat, que les transports, la recherche, les métiers du « Grand âge et de l’autonomie » et l’apport des nouvelles technologies.

Le rapport aborde également le sujet du regard que nous portons sur Grand âge, ce qui renvoie à des enjeux forts de citoyenneté, de dignité et de bientraitance ou de bienveillance à l’égard des personnes âgées. Notre ambition est bien celle de la concourir à l’édification d’un projet de société qui donne toute sa place à la personne en perte d’autonomie et respecte son libre choix.

Je n’oublie pas les innovations technologiques, qui constituent aussi un fantastique gisement de solutions pour améliorer le quotidien de la personne en perte d’autonomie où qu’elle vive. Si je prends l’exemple de la télémédecine ou de la consultation, leur développement contribuera à gommer en partie les inégalités d’accès à des professionnels de santé pour la personne âgée à domicile ou vivant en établissement. L’enjeu est, ni plus, ni moins, de mieux capter les « signaux faibles » de la perte d’autonomie qui doivent conduire à limiter les hospitalisations.

Il nous faut aussi assurer un continuum avec la Silver économie en mobilisant utilement les innovations technologiques, pour améliorer l’évaluation globale de la personne âgée tant à domicile qu’en établissement, dès lors que l’innovation a fait la preuve de son utilité. Ce point est essentiel car notre pays doit, de ce point de vue, mieux structurer sa capacité à « fabriquer » de la preuve du bénéfice de telle ou telle innovation pour la personne en perte d’autonomie. Ce sera un des enjeux forts de la « Stratégie Grand âge et autonomie »

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