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Grand âge : le temps d’agir

Par Dominique Libault, Président du Haut Conseil du Financement de la protection sociale, Pilote de la concertation Grand âge et autonomie*

Notre société ne saurait, sans se renier, rejeter une part croissante d’elle-même, paradoxalement celle qui a bâti les acquis d’aujourd’hui en termes de progrès et de gains d’espérance de vie. En un mot, la personne avançant en âge ne doit pas être exilée hors de la vie de la cité. C’est un changement de regard qui doit être engagé. Pour cela, il est tout d’abord nécessaire d’affirmer partout la dignité de la personne âgée, en premier lieu dans les représentations socio-culturelles du grand âge et dans l’ensemble des politiques publiques. Il est également fondamental d’insérer fortement la personne âgée dans un tissu de relations humaines bienveillantes, dans lesquelles la personne âgée doit pouvoir exprimer et démontrer son apport à la vie commune. Cette démarche suppose de porter une attention particulière aux proches aidants.

Il s’agit de penser l’inclusion des personnes âgées dans notre société et de briser la représentation tenace d’un grand âge éloignant la personne de l’espace public, de la vie sociale et citoyenne. Nous ne pouvons pas nous limiter à une vision strictement sanitaire et médico-sociale. Notre vision doit porter sur tous les axes d’organisation de la vie dans notre société : logement, mobilité, santé, vie sociale…

L’action publique doit se fixer quatre objectifs pour donner du sens au grand âge :

• Renouveler les représentations sociales du grand âge en sensibilisant pour inclure la personne âgée dans la vie de la cité ;

• Renforcer l’intégration de la politique du grand âge et des autres politiques publiques pour diffuser en transversalité la prise en compte du grand âge dans les évolutions du cadre de vie ;

• Faciliter l’accès des personnes âgées à des solutions innovantes de mobilité, d’adaptation des logements et d’amélioration du quotidien ;

• Affirmer en tout lieu la dignité de la personne âgée en promouvant la bientraitance et en assurant un traitement efficace et systémique des cas avérés de maltraitance.

Le maintien de l’autonomie de la personne âgée, entendue dans une acception large et inclusive, nécessite, au-delà d’un changement de regard et d’une revitalisation de son insertion sociale, de préserver son libre choix à chaque étape de son parcours et de rechercher de façon volontariste à retarder le moment de la perte d’autonomie. Cela suppose une transformation de l’offre d’accompagnement et de soin et un véritable changement de modèle dans une logique de « chez soi », privilégiant le domicile. Cela suppose également un investissement important dans la prévention de la perte d’autonomie.

L’offre d’accompagnement et de soin aux personnes âgées en perte d’autonomie doit être profondément transformée. Les attentes des Français sont fortes à ce sujet et ont été clairement exprimées dans le cadre de la concertation. L’attente est celle d’un changement de modèle, d’une nouvelle approche domiciliaire sur l’ensemble des lieux de prise en charge, dans une logique de « chez soi ». Cette transformation doit privilégier autant que possible le maintien de la personne dans son domicile.

L’EHPAD - qui devra changer de nom – devra dans le même temps proposer de nouveaux services. Il ne doit pas être conçu comme un monde clos. L’établissement de demain sera ouvert sur l’extérieur et proposera des services à destination de la population prise en charge à domicile.

L’offre de demain devra sortir du dualisme et du cloisonnement entre EHPAD et domicile pour proposer à la personne âgée une gamme de solutions intermédiaires (résidence autonomie, résidence services, habitat inclusif et intergénérationnel, accueil familial, etc.).

L’objectif est double : permettre l’exercice du libre choix de la personne et assurer un parcours de vie sans rupture, plus fluide, selon les évolutions de l’autonomie de chacun.

Ceci ne sera rendu possible qu’en mettant en priorité absolu l’investissement dans l’attractivité des métiers du grand âge, à domicile comme en établissement.

La priorité, pour demain, est d’assurer une présence quantitative et qualitative de professionnels, formés aux spécificités du grand âge, pour un accompagnement global de la personne âgée. Cela suppose un effort majeur à lancer immédiatement, mais dans l’objectif d’une stratégie durable, afin de rétablir l’attractivité des métiers et, par voie de conséquence, améliorer les conditions de travail dans le secteur.

Le plan national des métiers du Grand âge doit s’articuler autour de cinq grandes priorités :

• L’amélioration des conditions de travail des professionnels du Grand âge

• La montée en compétences de l’ensemble des professionnels

• L’accès facilité aux métiers du Grand âge et l’ouverture de perspectives de carrière

• La revalorisation des métiers par une évolution des grilles salariales

• Le développement d’une véritable politique de filière de manière transversale

Il convient ensuite de piloter par et pour la qualité en :

• Encourageant et soutenant financièrement les démarches d’amélioration de la qualité de service, en établissement comme à domicile. Des expériences probantes existent, encadrées par des labels ou reposant sur l’engagement individuel de personnels et d’équipes de direction. Elles doivent se diffuser car l’hétérogénéité des niveaux de qualité dans l’accompagnement des personnes âgées ne peut se justifier.

• Investissant pour rénover les établissements.

• Promouvant la labellisation des établissements.

• Mettant en place des indicateurs de qualité obligatoires et les diffuser auprès du grand public.

• Simplifiant le pilotage des établissements.

• Mettant fin au fonctionnement ensuite de notre système sanitaire et médico-social : mettre en place un « droit au parcours », évitant les ruptures et les hospitalisations évitables. C’est aussi par cette organisation parcours qu’on évitera la croissance du recours aux urgences.

Concernant le reste à charge en établissement : il convient en priorité de faire baisser la contribution des personnes modestes.

La lutte contre l’isolement de la personne âgée et des aidants doit être un volet essentiel d’une politique réussie de la longévité par la :

• Simplification des démarches avec les Maisons des aînés et des aidants, guichet unique du portail sanitaire et social, et améliorer l’accès à de nouvelles solutions de répit.

• L’indemnisation du congé de proche aidant.

• La conciliation du rôle d’aidant et de la vie professionnelle qui doit devenir un sujet obligatoire du dialogue social et un critère de responsabilité sociale et environnementale des entreprises.

• La mobilisation du service national universel et le service civique auprès des personnes âgées.

L’objectif final de cette stratégie doit être d’améliorer l’espérance de vie en bonne santé, actuellement médiocre en France, en renforçant la prévention. Il faut :

• Se donner un objectif ambitieux d’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé à 65 ans.

• Déployer une nouvelle approche de la prévention, alignée sur les standards internationaux.

• Créer un rendez-vous de prévention de l’avancée en âge proposé à trois âges clés.

• Inscrire la prévention dans la formation initiale et continue de tous les professionnels.

• Imposer aux structures d’accompagnement et de soin une formation des personnels au repérage des fragilités.

• Déployer au sein des hôpitaux une stratégie globale de prévention.

Ceci ne pourra être réalisé que par une impulsion politique de grande ampleur et dans la durée mettant en œuvre une action systémique. 


* Dominique Libault est Directeur de l’École nationale supérieure de la Sécurité sociale (EN3S) et ancien directeur de la Sécurité sociale (2002-2012).

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