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Pour nos aînés, il est urgent d’agir !

Par Agnès Firmin Le Bodo, Députée de Seine-Maritime*

Selon l’INSEE, 24 millions de Français auront plus de 60 ans en 2060, et plus de 4 millions seront dépendants dès 2050. Des chiffres saisissants qui rendent impérieuse une nouvelle loi sur le grand âge et l’autonomie plus complète et qui complèterait la loi ASV (Adaptation de la Société au Vieillissement).

Cette loi de décembre 2015 a eu le mérite de répondre à quelques questions mais n’a pas su résoudre la problématique du financement ; elle était beaucoup trop partielle.

Avec ma collègue Charlotte Lecocq, nous avons en décembre 2017, été chargées d’établir le rapport d’application de cette loi. Ce travail était d’autant plus nécessaire que cette loi faisait suite à des débats nourris et à un travail de plus de deux ans de concertation, menés par Michèle Delaunay et Laurence Rossignol.

Une loi ASV qui partait de constats clairs et définissait des priorités

Pour répondre au défi du vieillissement de la population, la loi ASV a posé le choix d’une prise en charge de l’ensemble des dimensions de la politique d’autonomie au-delà du seul accompagnement médico-social. Elle reposait sur une approche intégrée allant de l’habitat, des transports en passant par l’aide aux aidants... tout cela dans le cadre d’une démarche globale et inclusive.

L’objectif affiché par le Gouvernement de l’époque était d’aller vite pour la revalorisation de l’APA, la mise en place de la conférence des financeurs, la création d’un congé proche-aidant ou la réforme de tarification des EHPAD. L’application de ces mesures était précisée dès 2016 à l’issue de multiples sessions de concertation.

L’examen de l’application de la loi ASV et les auditions conduites ont permis d’identifier plusieurs difficultés :

• Une application disparate et hétérogène d’un territoire à l’autre : si des règles nationales uniformes ont été définies, leur mise en œuvre fut très inégale tant du point de vue des délais, que du contenu de l’accompagnement. Les Départements ont été confortés dans leur rôle de chef de file, mais les délais entre la publication des textes et de leur entrée en vigueur ont engendré une véritable course contre la montre et accentué les disparités.

• Des volets plus précis ont pâti de difficultés d’application ou d’appropriation comme la mobilisation du droit au répit, le financement des aides techniques et individuelles, la mise en place du CDCA (Conseil De la Citoyenneté et de l’Autonomie). C’est au global la politique de prévention souhaitée par cette loi qui a eu des difficultés à se décliner

• Le point de départ de cette loi était bien le maintien à domicile, les multiples chantiers engagés simultanément nécessitent encore des phases de transitions et d’accompagnement.

Après les nombreuses auditions et pour avoir en tant que Vice-Présidente du Conseil Départemental de Seine-Maritime participé à la mise en œuvre de cette loi, plusieurs préconisations ont été établies partant toutes du constat de la nécessité d’une approche centrée la personne, son libre choix, ses besoins ses attentes, son parcours, plutôt que sur une démarche cloisonnée abordant les secteurs de la dépendance par thématique.

Il devient absolument nécessaire de coordonner les politiques publiques pour accélérer l’adaptation de la société au vieillissement. Le « bien-vieillir », implique d’articuler de nombreux secteurs et acteurs, du sport à la culture en passant par la citoyenneté, le mobilier urbain, les transports etc… Notre proposition essentielle fut la création d’une délégation interministérielle.

• Mais si cette loi a complètement occulté le sujet du financement et c’est bien là son plus gros défaut, elle comprenait néanmoins la réforme de la tarification des EHPAD avec la mise en place de la convergence tarifaire et c’est cette mesure qui a mis le feu aux poudres dans les établissements publics entraînant une grève inédite en janvier 2018. Et comme j’ai maintenant coutume de dire, c’est cette crise, latente depuis des années, qui a amené le Gouvernement à ouvrir le « chantier » de la politique du grand âge et de l’autonomie. Après des consultations publiques, la publication du rapport Libaut faisant suite à un très gros travail de co-construction des acteurs, des associations, des usagers, des élus, de l’administration, le projet de loi est attendu pour la fin de l’année et suscite, à juste titre, de très grandes attentes.

De larges attentes nécessitant un texte ambitieux

Ce projet de loi devra cette fois être plus global et répondre à de grands enjeux :

• Respecter et permettre de respecter le libre choix de la personne de rester au domicile. Le maintien à domicile devra être l’axe majeur de cette loi et imposera en conséquence des mesures importantes en matière d’adaptation des logements : un chantier énorme avec un gros travail à mener de façon transversale ! La conférence des financeurs est le bon outil pour coordonner cette politique, des actions devront être menées envers de nombreux acteurs pour inciter à adapter les logements très en amont des premières difficultés liées à l’âge. La silver économie est un atout, il faut cesser de n’en voir que les contraintes. Une réforme des services d’aide à domicile devient ainsi absolument primordiale. Les modalités de prise en charge avec l’APA et la tarification, ne sont plus adaptées à une bonne prise en charge. Le modèle économique des SAAD (services d’aide à domicile) n’est plus tenable : il faut penser une large réforme de l’APA et des modalités d’accompagnement et de prise en charge

• Un assouplissement et une transition facilitée entre les séjours à l’hôpital, en établissement, et même en EHPAD, pour toujours pouvoir revenir à la maison si possible.

• Une grande politique en faveur des aidants : congés formation, retraite, assurance….

• Transformation, création et évolution des métiers du grand âge. Les besoins d’accompagnement que ce soit à domicile ou en établissement évoluent et il faut permettre au personnel de se former et apporter des nouvelles réponses aux nouvelles attentes. A cet égard, le rapport de la mission confiée à Myriam El Khomri est très attendu.

• Ne pas traiter du financement dans cette réforme serait une erreur et la vouerait à un échec. Le principe de solidarité nationale doit prévaloir mais ne pourra plus suffire, et puisque tout le monde en a conscience, il est urgent de proposer d’autres alternatives à imaginer et à construire (5ème risque, développement du viager, développement assurance.....)

• La gouvernance : Il est nécessaire de simplifier, clarifier les liens entre les différents acteurs. Les Départements chefs de file des politiques sociales, sont des acteurs reconnus et de proximité et à ce titre doivent conserver toute leur place et même la conforter. Notre responsabilité aussi est d’assurer à tous les Français une égalité de traitement sur tout le territoire, mais aussi de prendre en compte les spécifiées territoriales évidentes. Il faut imaginer des dispositifs laissant place à l’innovation et à de la souplesse

L’Etat doit néanmoins rester le garant de la mise en place de ces politiques.

• Un volet établissement est nécessaire. On pense évidemment en tout premier lieu aux ehpad qui doivent se transformer. La prise en charge en établissement doit évoluer. Il faut même sans doute imaginer des structures intermédiaires, mais il faut le réaffirmer : les EHPAD seront toujours nécessaires pour accueillir les personnes les plus dépendantes. Il faut dès lors, accompagner leur évolution, accompagner les personnels qui font un travail remarquable et extrêmement difficile.

Les chantiers sont donc nombreux ! Mais la question centrale demeure : Quelle place voulons-nous donner à nos aînés ? C’est un vrai débat de société, urgent car il convient de changer le regard sur le vieillissement comme nous changeons de regard sur les quincados. 


*co-rapporteure du rapport d’information sur l’application de la loi du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement (2017)

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