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Aspects économiques du vieillissement : protection sociale, retraites et épargne en France et en Europe

Par Marco Geraci, Vérificateur à la 6ème chambre de la Cour des comptes

Les tendances démographiques projetées à long terme révèlent un vieillissement de la population européenne au cours des prochaines décennies.Selon les dernières projections européennes (1), les dépenses de protection sociale devraient augmenter en moyenne dans l’ensemble des pays de l’UE d’environ 1,2 points, passant de 25,4 à 26,6 points de PIB, alors qu’elles évolueraient inversement en France, passant de 31 à 28,1 points de PIB.

Les différences d’évolution des dépenses liées à l’âge entre les États membres s’expliquent principalement par celles des dépenses de retraite : une réduction des dépenses publiques de retraite exprimée en pourcentage du PIB est prévue à long terme dans douze États membres dont la France (-3,2 points), l’Italie (-1,7 points), l’Espagne (-1,5 points) et la Suède (-1,2 points), alors même que la population des retraités va augmenter. Ces baisses sont essentiellement le fait, selon l’Ageing Working Group (AWG), des réformes des retraites qui ont été menées.

Par contre, dans la grande majorité des pays, il est à prévoir une augmentation des dépenses de santé, et notamment des soins de longue durée, de l’ordre de 1,8 points de PIB en moyenne dans l’UE et de 1,1 points en France, sous l’effet du vieillissement démographique et de l’augmentation des personnes en situation de dépendance et de perte d’autonomie.

Soutenabilité sociale et financière de ces évolutions

En l’état actuel des projections, on constate que les risques de non soutenabilité financière du vieillissement semblent écartés. Mais sous quelles hypothèses ces résultats sont-ils obtenus ? Concernant l’évolution des dépenses de retraite, les réformes menées dans les pays européens (2), dont les effets sont pris en compte dans les projections, semblent assurer la viabilité financière des systèmes. Elles induisent cependant des évolutions majeures de l’âge de la retraite et du calcul des pensions : pour la France, la baisse des dépenses de retraite en points de PIB est obtenue sous l’hypothèse d’un décalage de l’âge de sortie du marché du travail de 2,6 ans et d’une baisse relative des pensions par rapport aux salaires (3). La poursuite de ces réformes, leur soutenabilité sociale, et la réalité de leurs effets sur la totalité de l’horizon de projection sont ainsi teintées d’incertitude.

Concernant la soutenabilité financière de ces projections, elle repose sur des hypothèses démographiques et économiques similaires aux tendances passées, voire plus optimistes, par exemple une baisse du chômage à terme, et il est supposé un quasi-retour aux tendances de productivité observées avant la crise. Or le rythme de croissance de la productivité (4) a diminué régulièrement au fil des décennies passées, et encore plus nettement depuis la crise de 2008.

Les cibles de long terme de productivité retenues pour les exercices de projection demeurent donc également sujettes à débat. Les économistes sont très partagés sur les effets de la crise sur la tendance de productivité, et il existe de fortes divergences entre techno-optimistes – qui soutiennent que d’énormes gains de productivité vont se matérialiser dans les années à venir du fait de la révolution numérique et de la silver économie (5) – et techno-pessimistes – qui doutent de l’imminence et de la portée de ces évolutions en s’appuyant notamment sur le faible effet sur la productivité de la diffusion des technologie de l’information et de la communication (TIC) jusqu’à aujourd’hui (6).

Incidence du vieillissement sur l’épargne et l’investissement ?

S’il n’existe pas de consensus sur l’imminence ou non d’un choc positif de productivité, l’ensemble des économistes s’accordent sur les besoins en matière d’investissement pour orienter la croissance vers des leviers inexploités (7). De fait, l’incidence des nouvelles technologies et de l’innovation sur la croissance de la productivité dépendra de leur diffusion à l’ensemble des secteurs de l’économie. Cette phase de diffusion, qui peut être assez longue, nécessite d’importants investissements pour se matérialiser en gains de productivité. Et pour permettre ces investissements, l’économie a besoin d’épargne disponible.

Selon la théorie du cycle de vie de Modigliani, les individus adoptent des comportements d’épargne différents en fonction de leur âge pour lisser leurs revenus au cours de leur vie. Dans les faits la théorie de Modigliani ne se vérifie pas à travers l’observation des niveaux d’épargne par catégories d’âge et on ne constate pas le comportement de désépargne pour maintenir le niveau antérieur de consommation.

Deux explications peuvent être avancées : différents motifs d’épargne (précaution, transmission, baisse des besoins de consommation avec l’âge, ou encore conservation des habitudes) et le fait que le système de protection sociale, et plus particulièrement les retraites, assurerait à la retraite un niveau de vie comparable, voire supérieur, au niveau de vie atteint en milieu de vie active, du moins pour les générations actuelles de retraités.

Cependant, concernant l’avenir, si l’on prend en compte le fait que le patrimoine des jeunes générations se constitue plus difficilement que celui de leurs aînées, et que le niveau de vie des retraités, relatif à l’ensemble de la population, va baisser (8) – pour revenir en 2070 au niveau observé dans les années 1980 –, on ne peut exclure, en conclusion, une évolution des comportements d’épargne, et partant d’investissement, liée au vieillissement, susceptible de remettre en cause l’ensemble de ces équilibres. 


1 Commission européenne, “The 2018 Ageing Report : Economic and budgetary projections for the EU Member States (2016-2070)”, mai 2018.


2 Conseil d’orientation des retraites, « Panorama des systèmes de retraite en France et à l’étranger », octobre 2016.


3 Cette baisse relative des pensions ne signifierait pas un appauvrissement en termes réels des futures générations de retraités : les pensions continueraient de croître en euros constants sous l’effet noria, c’est-à-dire du remplacement des anciennes générations de retraités par de nouveaux retraités aux pensions en moyenne plus élevées, mais croîtraient moins vite que les revenus d’activité.


4 La productivité horaire est définie comme la production (quantité de biens ou de services produits) obtenue pour chaque heure de « travail ».


5 La « silver économie » est la dénomination couramment utilisée pour caractériser l’économie de l’adaptation au vieillissement et à la perte d’autonomie via notamment le développement des secteurs de l’innovation (médicale, robotisation, etc.) et des services à la personne.


6 Direction générale du Trésor, « Scénarios économiques pour les projections du Conseil d’orientation des retraites : méthode de construction et enjeux », document n°2, dossier du COR du 27 janvier 2016.


7 Sode Arthur, « Comprendre le ralentissement de la productivité en France », note d’analyse n°38, France Stratégie, juin 2016.


8 Dans le cadre du système de retraite actuel donc hors effets de la réforme systémique en cours de concertation. Conseil d’orientation des retraites, « Évolutions et perspectives des retraites en France », juin 2019.

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