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Pouvoir vivre à domicile : un enjeu majeur

Par Anne-Carole Bensadon, membre de l’Inspection générale des affaires sociales*

La loi d’adaptation au vieillissement (ASV) du 28 décembre 2015 comporte plusieurs dispositions visant à aider les personnes âgées, qui le souhaitent, à vivre à domicile. Elle a notamment augmenté les montants de l’Allocation personnalisée d’autonomie (APA) pouvant être octroyés aux personnes âgées dépendantes (GIR 1 à 4) vivant à domicile. L’APA sert à financer, pour tout ou partie, les dépenses liées à la mise en œuvre de leur plan d’aide (1), et ce de façon plus importante pour les personnes les plus dépendantes. La loi ASV a également allégé les restes à charge pour les plans d’aide les plus lourds, sous conditions de ressource.

Le rapport d’évaluation de sa mise en œuvre réalisée par l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) et l’Inspection générale de l’administration (IGA) (2) environ un an après sa promulgation a montré, en s’appuyant notamment sur les échanges avec dix-sept Départements, que son application s’avérait souvent complexe.

Un point sensible : l’élaboration des plans d’aide

Les modalités d’évaluation des besoins sont passées d’une démarche centrée sur la classification des personnes âgées en GIR à un outil d’évaluation multidimensionnelle de la situation et des besoins des personnes âgées et des aidants. Sur la base d’un référentiel, créé par la Caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA), chaque Département détermine l’outil de recueil de données qui est utilisé par l’équipe médico-sociale. La plupart des Départements consultés ont considéré cette évaluation comme un progrès car elle prend en compte la situation de la personne âgée dans sa globalité ainsi que l’aidant. Ils ont toutefois souligné qu’elle demandait beaucoup plus de temps, et pour certains des compétences techniques nouvelles, en particulier pour le logement.

La question du reste à charge

Le reste à charge est de fait moindre à domicile qu’en établissement mais peut parfois s’expliquer par les choix opérés par les personnes, voire les proches. La plupart des Départements consultés ont expliqué que les personnes âgées souhaitent parfois restreindre le nombre d’heures d’aide potentiellement finançables par l’APA, dans la mesure où elles doivent les cofinancer. Elles gardent une partie de leur argent pour d’autres dépenses (loyers, chauffage, cadeaux à des proches…). Les équipes du Département réalisent des simulations du reste à charge. Ces données influent souvent sur le type d’aide retenue, emploi direct, service d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD) mandataire ou prestataire. Outre ce dispositif, les heures d’aide à domicile peuvent être partiellement financées par la réduction d’impôts pour l’emploi d’un salarié à domicile ou le crédit d’impôt.

L’importance d’une offre ancrée dans les territoires accessible, décloisonnée et diversifiée

La loi ASV a amorcé une structuration de l’offre à domicile. Les constats réalisés par la mission en lien notamment avec les départements, les fédérations du secteur, les représentants des personnes âgées et des aidants l’ont amenée à recommander une évolution du financement des Services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD).

Dans la plupart des Départements consultés, les SAAD ont insisté sur la complexité d’élaboration des plannings, compte tenu notamment des difficultés pour déployer du personnel aux horaires les plus demandés (repas et toilette) et des distances à parcourir. Ils ont souligné les difficultés de recrutement et l’importance de renforcer l’attractivité de ces métiers (salaires, conditions de travail, carrières, reconnaissance).

C’est au Département, responsable des contrôles de ces différentes structures, qu’il revient de réguler cette offre. Cela suppose qu’il puisse agir sur les renouvellements d’autorisation, actuellement subordonnés aux seuls résultats de l’évaluation externe. La mission soulignait l’intérêt d’une régulation incluant la compatibilité avec les schémas départementaux de l’autonomie afin d’adapter l’offre aux besoins. Il convient également d’insister sur l’efficacité de certains dispositifs qui évitent des hospitalisations. Les Services de soins infirmiers à domicile (SSIAD) jouent un rôle majeur dans ce domaine, à côté de l’ensemble des autres modalités de prise en charge sanitaire qui doivent rester accessibles aux personnes âgées. L’ensemble de l’offre médicosociale et sociale est également indispensable pour permettre la vie à domicile et notamment rompre l’isolement. Cette palette d’offres mérite encore d’être complétée par des dispositifs mêlant sanitaire et médicosocial. Cette intégration peut se faire soit au sein même d’une structure comme les Services polyvalents d’aide et de soins à domicile (SPASAD), soit par des modalités plus souples (MAIA et gestionnaire de cas par exemple). La question des nouvelles formes de lieux de vie (résidence autonomie, EHPAD hors les murs…) n’a pas été traitée par la mission. La prévention de la perte d’autonomie constitue une des autres priorités, la conférence des financeurs apparaissait comme un des outils prometteurs, ce qui semble se confirmer.

La priorité d’une convergence des dispositifs d’évaluation et de coordination

Le plan d’aide constitue un des résultats de l’évaluation des personnes âgées dans le cadre de l’APA. La mission avait dénombré dix autres évaluations pouvant les concerner. Même si les commanditaires ne sont pas les mêmes, si les finalités et les temporalités sont différentes, on se situe toujours dans un objectif d’accompagnement en santé, au sens large, incluant les sphères sanitaire, médico-sociale et sociale. La convergence de ces dispositifs est nécessaire. L’accompagnement de la vie à domicile des personnes âgées s’inscrit dans une temporalité longue et la coordination apparaît essentielle. Le récent rapport Libault (3) insiste sur la stabilisation du niveau d’autonomie individuelle qui « dépend intimement de la bonne coordination des soins et services issus des interventions nombreuses d’un ensemble d’acteurs sanitaires et sociaux dans la durée ». De même que pour les dispositifs d’évaluation, une convergence des dispositifs de coordination (MAIA, PAERPA, réseaux…) est à mettre en œuvre.

Une prise en considération des aidants au sein de notre société

Pour beaucoup de personnes âgées, la vie à domicile est rendue possible par l’implication des aidants. La loi ASV a défini la notion de « proche aidant » et prévu des mesures en leur faveur : un droit au répit pour les proches aidants ou encore la prise en charge de la personne âgée lors de l’hospitalisation du proche aidant. Mais, dans les deux cas, elle impose une participation financière de la personne aidée et des critères d’accessibilité trop restrictifs. Le rapport a noté une l’hétérogénéité de la mise en œuvre selon les Départements, expliquée à la fois par des politiques différentes de prise en charge des personnes âgées avant la loi et des différences démographiques et économiques. Concilier le rôle de l’aidant avec les autres domaines de la vie – vie familiale, vie professionnelle, loisirs – conduit à faire de l’accompagnement des aidants un enjeu majeur de société, pour les personnes âgées, les personnes en situation de handicap ou encore des personnes vivant avec une maladie chronique invalidante. 


1. Le plan d’aide correspond à l’ensemble des aides nécessaires à la compensation de la perte d’autonomie de la personne âgée pour qu’elle puisse rester à son domicile, en réponse à ses besoins et à ceux de de ses proches aidants (heures d’aide à domicile, aides techniques, et solutions de répit pour les proches aidants), que ces aides soient financées ou non par l’APA.


2. Evaluation de la mise en œuvre de la loi ASV pour le volet domicile, AC Bensadon, C Daniel, F Scarbonchi, rapport IGAS-IGA, septembre 2017.


3. Concertation, grand âge et autonomie, rapport de Dominique Libault, mars 2019.


*Anne-Carole Bensadon est membre de l’Inspection générale des affaires sociales. Ses propos n’engagent pas son institution.

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