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La relation aidants familiaux / personnes âgées

Par le Docteur Patrick Frémont, Chef du service Pyschiatrie, Centre hospitalier de Marne-la-Vallée

Le mot « aidant » pour désigner la personne ou les personnes apportant une aide à un membre de sa famille ou de son entourage âgé s’est progressivement imposé au milieu des années quatre-vingt-dix. Ce mot se veut être la transcription française du mot anglo-saxon « Caregiver ». Une définition de la notion d’aidant dit « naturel » ou familial s’est ensuite précisée, reprise notamment par la Haute autorité de santé, dans l’une de ses recommandations, publiée en 2010. L’aidant naturel est ainsi défini comme « La personne non professionnelle qui vient en aide à titre principal, pour partie ou totalement, à une personne dépendante de son entourage, pour les activités de la vie quotidienne. »

Cet intérêt pour la notion d’aidant, associée à la notion de dépendance est aussi liée au constat du retentissement que représente ce type d’aide. De ce fait les études se sont intéressées à l’aidant d’abord sous l’angle du « fardeau » que cela représentait pour lui, puis sous l’angle de la souffrance que cela pouvait entraîner pour lui. Elles mettent en effet en avant le risque d’isolement, l’importance de la dépression, ainsi que le retentissement sur sa santé physique.

Famille et vieillissement :

Dans tous les pays développés, on s’intéresse à la place centrale et à l’action essentielle de la famille dans notre relation au vieillissement. Cette relation est aussi ancienne que l’est la notion de famille.

En effet depuis toujours vieillir signifiait continuer à vivre au sein de son milieu familial et éventuellement être pris en charge par son entourage lorsque l’on devenait dépendant. Cette situation, qui allait de soi, s’est modifiée dans les pays développés essentiellement au XXème siècle. L’éclatement de la famille, les nouvelles données économiques ont en effet bouleversé cette situation. L’institutionnalisation du vieillissement s’est alors petit à petit mise en place avec la création des maisons de retraite, puis dans un deuxième temps avec les services d’aides à domicile dans la deuxième partie du XXème siècle. Cette institutionnalisation n’a toutefois pas remplacé le rôle des familles mais elle l’a redessiné. Là ou autrefois il s’agissait de vivre avec ses parents vieillissants, il s’agit maintenant de s’organiser pour pouvoir les aider. L’explosion démographique du vieillissement associée à l’augmentation très importante des pathologies entraînant une dépendance a dans ce contexte aussi beaucoup modifié notre regard.

Il est intéressant de rappeler qu’actuellement, selon les chiffres de la fondation Médéric Alzheimer en 2006 les aidants familiaux assurent entre 70 % et 85 % du soutien à la personne à domicile, incluant l’aide et les soins. Il faut aussi noter que les études ont mis en évidence que si l’on parle d’aidants au pluriel, dans la pratique il s’agit le plus souvent d’un singulier qui, dans les deux tiers des cas, se conjugue au féminin.

La notion d’aidant désigné :

Qui est l’aidant et surtout comment est-il « désigné » au sein du système que constitue la famille ?

Il s’agit en effet d’une désignation implicite. Il est intéressant de remarquer que le vieillissement dans ce contexte n’est pas qu’un phénomène physique. Il implique en effet un remaniement global de l’ensemble du système familial où chacun redéfinit sa place en fonction de son histoire personnelle et de celle de la famille. On redécouvre, lorsque l’on étudie ces situations, combien les vieilles histoires ne sont jamais enterrées et combien on ne renonce jamais vraiment aux enjeux affectifs qui nous lient aux différents membres de notre famille. Les conflits anciens que l’on croyait dépassés, les rivalités, les jalousies, le sentiment de n’avoir pas été assez aimé ou au contraire celui d’avoir été le ou la préféré, l’ensemble de ces éléments qui sont à la base de nos relations familiales sont en effet alors revisités.

C’est dans ce contexte que l’aidant se retrouve de fait « désigné » par le système familial. On comprend mieux alors qu’il s’agit d’un « choix » qu’il est difficile de refuser et que dans la relation entre cet aidant dit « naturel » et la personne aidée les enjeux dépassent largement ceux d’une simple aide matérielle. Les enjeux vont aussi continuer à être revisités tout au long de la relation d’aide entre l’aidant désigné et le reste de la famille. Sa loyauté, sa capacité à assumer la fonction qui lui est attribué, son engagement sont en effet en permanence réinterrogés. Cette double contrainte, constituée entre la relation qui l’unit à celui ou celle qu’il doit aider et le fait d’en être le garant vis-à-vis du reste de la famille, lorsqu’elle est dysfonctionnelle est un facteur important de souffrance et d’épuisement.

L’importance de la dimension économique :

Il ne faut pas sous-estimer non plus la dimension économique. Vieillir lorsque l’on devient dépendant coûte cher, notamment si l’on doit être institutionnalisé.

Jusqu’à présent vieillir signifiait constituer progressivement un patrimoine, patrimoine destiné à devenir un « héritage ». La fonction symbolique de cet héritage est d’ailleurs très souvent au centre des préoccupations des personnes âgées. Préserver le patrimoine, est donc aussi dans ce contexte un souci et un devoir implicite de l’aidant. Il doit trouver le bon compromis entre ce qui est nécessaire pour assurer une aide et un confort à la personne aidée et la réalité économique. Pour cela il doit aussi « payer de sa personne ». À l’occasion de rencontres nationales en 2010, l’association France Alzheimer a présenté les résultats d’une étude sur le coût du maintien à domicile lorsqu’il est assuré par les aidants familiaux. L’étude indique que l’investissement personnel assuré par l’aidant familial équivaudrait à une dépense d’environ 3 000 euros par mois si ces tâches étaient mises en œuvre par un ou plusieurs professionnels. Cette contrainte économique est souvent source de tensions voire de conflits. Les études sur la maltraitance montrent aussi combien elle est un facteur de risque de maltraitance souvent sous-estimé.

Une relation qui évolue dans le temps :

La relation aidant-aidé est une relation qui évolue dans le temps. D’une période d’important investissement on passe à des périodes de désinvestissement et d’épuisement. Dans la constitution de l’épuisement on retrouve l’importance de la dimension relationnelle. C’est en effet celle-ci qui est à l’origine de l’épuisement, beaucoup plus que la dimension physique. La rupture d’une relation, ou les difficultés de celle-ci, liées notamment aux troubles du comportement quand ils apparaissent, amène l’aidant à se repositionner. La perte d’une relation verbale joue aussi un rôle important dans ce repositionnement.

Avec la prise de conscience de la vulnérabilité et l’installation de la perte d’autonomie, souvent les fonctionnements générationnels s’inversent. C’est ainsi que l’on peut se retrouver dans la position symbolique de devenir la mère de son père ou de sa mère. Le parent âgé adoptant une position de renoncement de sa place, il devient alors dépendant au sens littéral du terme.

La nécessité de formaliser une aide aux aidants :

Un ensemble de dispositifs se met en place permettant d’aider et de soulager les aidants. Ces dispositifs sont cependant actuellement pour la plupart focalisés autour de la prise en charge de la maladie d’Alzheimer et des maladies apparentées. C’est ainsi qu’il existe des accueils de jour et des structures d’hébergement offrant la possibilité de « séjours de répit », permettant de soulager les aidants. Les grandes associations organisées autour de la maladie d’Alzheimer apportent elles aussi, à travers leurs groupes d’éducation thérapeutique et leurs temps de rencontre et d’information, un soutien et une aide précieux.

Il faut toutefois noter qu’en dehors de ces aides encore trop peu nombreuses, organisées autour de la prise en charge des pathologies neurodégénératives liées au vieillissement, il n’y a actuellement pas vraiment de propositions en ce qui concerne le soutien de la grande majorité des aidants qui se confrontent au vieillissement de leurs parents. Les seules réponses, néanmoins précieuses et indispensables, sont d’ordre matériel proposées le plus souvent au niveau communal. 

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