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Quelques enseignements et propositions pour faire suite à l’épisode de Rugy ?

Par Matthieu Caron, Directeur général de L’Observatoire de l’éthique publique, Maître de conférences en droit public à l’Université Polytechnique des Hauts-de-France

Il y aura très probablement, hélas, de nouvelles « affaires » de Rugy : parce que la vie politique ne sera jamais pure et parfaite, les hommes politiques demeurant des êtres humains ; parce que le droit ne saurait lui-même tout prévoir ; mais aussi et surtout, parce que le Gouvernement et le Parlement n’ont pas su tirer toutes les leçons de cet épisode.

Le temps est venu pour nos institutions politiques d’accepter que leur vie intérieure, leur « ordre intérieur » pour reprendre l’expression de Jean Rivero, soit plus transparent et soumis au contrôle d’organes externes. En effet, au nom de la séparation des pouvoirs, le Gouvernement et le Parlement disposent d’un pouvoir d’auto-organisation (1). Si ce principe ne saurait être remis en question, « l’affaire » de Rugy a mis en lumière deux de ses limites. D’une part, le principe d’autonomie organisationnelle fait obstacle à la transparence de l’ordre intérieur des institutions politiques. D’autre part, il empêche la pleine réalisation de l’État de droit au sein de celles-ci.

Tout d’abord, « l’affaire » de Rugy a montré que le Parlement comme le Gouvernement avaient tendance à conserver secrète une partie de leur vie interne. Ces institutions continuent notamment à cultiver un certain « secret dépense » à propos de leur train de vie (2). « L’affaire » des homards a avéré que les frais de représentation des présidents des chambres parlementaires constituaient une zone d’opacité persistante. Quant à « l’affaire » de l’appartement de fonction, elle a confirmé que la question du train de vie des membres du Gouvernement était réglée essentiellement (et problématiquement) par la voie interne du droit gouvernemental non public. Effectivement, il faut savoir que le SGG (secrétariat général du Gouvernement) envoie régulièrement aux membres du Gouvernement des circulaires relatives au train de vie des ministres et de leurs cabinets dont la plupart ne font l’objet d’aucune publication (3). Ce « vivons cachés » est-il encore justifié ? De même, il faut préciser que, dans les semaines qui ont précédé ces « affaires », deux députés de l’opposition, Mme Christine Pires-Beaune et M. Régis Juanico, avaient demandé un certain nombre de précisions au Premier ministre au sujet du train de vie de l’Exécutif sans obtenir entièrement satisfaction (4). Enfin, souhaitons bon courage à qui veut trouver sur Internet les rapports des enquêtes internes diligentées par le Gouvernement et l’Assemblée…

Au fond, le plus ennuyeux dans cette histoire, ce n’est peut-être pas tant le manque de transparence que les carences de l’État de droit intragouvernemental et de l’État de droit intraparlementaire. On le sait : l’ordre intérieur de l’Assemblée, comme celui du Sénat et du Gouvernement, sont principalement régis par un droit politique, c’est-à-dire par un droit créé par ces institutions elles-mêmes et qu’elles s’appliquent à elles-mêmes. Mieux : ce droit politique est un droit disciplinaire dont le non-respect est sanctionné par les organes dirigeants de ces institutions. Or, ce qu’illustre « l’affaire » de Rugy, c’est précisément la faiblesse (sinon parfois l’absence) de ces mécanismes disciplinaires d’endo-contrôle du droit parlementaire et du droit gouvernemental. Aussi sérieuse et objective soit-elle, n’est-il pas logique que l’enquête sur le logement de fonction de M. de Rugy ait été contestée dès lors qu’elle a été réalisée sous la direction du SGG lequel dépend hiérarchiquement du Premier ministre ? Similairement, l’enquête interne de l’Assemblée nationale, conduite par un haut fonctionnaire qui était subordonné autrefois à M. de Rugy, ne pouvait qu’être sujette à caution. Pareillement, le choix du nouveau président de l’Assemblée nationale de mettre en place une Commission de réflexion suite à « l’affaire », composée de très peu d’acteurs externes à l’Assemblée, en dit long sur cette culture de « l’endo ». Et que dire de la circulaire du Premier ministre du 23 juillet 2019 relative à l’exemplarité des membres du Gouvernement sinon que sa vacuité confine à la transparence passive ?

En s’inscrivant dans une philosophie de transparence active et constructive, L’Observatoire de l’éthique publique a justement esquissé plusieurs propositions destinées à perfectionner la transparence et le contrôle du train de vie des ordres intérieurs du Parlement (5) et du Gouvernement (6).

Le premier chantier est celui de l’extériorisation des contrôles exercés sur ces institutions. Il s’agit en l’occurrence de passer d’une logique d’autolimitation à une logique d’hétérolomitation, c’est-à-dire de faire observer la vie interne de nos institutions politiques par des institutions qui leur sont extérieures. Entendons-nous bien : il ne saurait être question de supprimer les mécanismes de contrôle interne des institutions politiques, lesquels sont précieux car réalisés à la source. Du reste, il ne saurait être davantage question de remettre en cause la séparation des pouvoirs en autorisant une immixtion sans limite d’institutions juridictionnelles dans l’ordre interne de nos institutions politiques. Non, il s’agit plutôt d’imaginer des mécanismes de vérification externes, pas exclusivement juridictionnels, qui pourraient participer à relégitimer ces institutions et revitaliser la démocratie représentative. Ainsi, L’Observatoire de l’éthique publique a-t-il par exemple préconisé la création d’un poste de déontologue du Gouvernement (7) ainsi que la rédaction d’un code de déontologie gouvernementale. De même, a-t-il recommandé de faire contrôler par la Cour des comptes le train de vie du Premier ministre et des chambres parlementaires, comme c’est le cas pour l’Élysée depuis 2008 tout en indiquant que le Parlement devait prendre davantage sa part dans le contrôle de l’Exécutif.

Second chantier : celui de la publicité des décisions sur le train de vie du Parlement et du Gouvernement. Au niveau gouvernemental, un décret portant statut des membres du Gouvernement est indispensable. Celui-ci aurait notamment vocation à réglementer en détail le régime des frais de représentation des ministres et secrétaires d’État. Des décrets portant statut des anciens Premiers ministres comme des membres des cabinets ministériels seraient également les bienvenus. Au niveau parlementaire, il apparaît essentiel que les chambres se décident enfin à débattre, en séance publique, de leur dotation budgétaire, de même que leurs commissions d’apurement des comptes voient leurs prérogatives accrues. En outre, des arrêtés portant organisation du régime des frais de représentation de la présidence des Assemblées devraient être pris par les bureaux des chambres. Mais c’est immanquablement dans la simplification du millefeuille des indemnités parlementaires que réside la mère des réformes. Finissons-en avec le système des frais de mandats parlementaires qui ont très mauvaise presse en les intégrant dans le traitement des parlementaires (8).

En tout cas, à quelque chose, malheur est bon. « L’affaire » de Rugy aura eu, à tout le moins, un mérite : continuer à faire progresser la réflexion sur la transparence et la déontologie de la vie publique. Or, si le temps de la réflexion n’est jamais futile, seul compte réellement le temps de l’action. Res non verba. 


1. Cf. : M. Caron, L’autonomie organisationnelle du Gouvernement. Recherche sur le droit gouvernemental de la Vème République, LGDJ, 2015.


2. Cf. : « Matignon : secret dépenses ! », Libération du 19 juin 2019.


3. Le secrétariat général du Gouvernement a justifié cette pratique de la publication « discrétionnaire » des circulaires relatives au travail gouvernemental dans une réponse à une question posée par Mme Christine Pires-Beaune (Cf. Question n°16053 du 22 janvier 2019, réponse au J.O.A.N du 19 février 2019, p. 1577).


4. Cf. : « Matignon : secret dépenses ! », loc. cit.


5. Cf. : « Rendre plus transparent le train de vie du Parlement », note n°5 de L’Observatoire de l’éthique publique, 17 juillet 2019.


6. Cf. : « Rendre plus transparent le train de vie de l’Exécutif », note n°6 de L’Observatoire de l’éthique publique, 17 juillet 2019.


7. Cf. note n°6 et « Pour un déontologue du Gouvernement », Le Journal du dimanche, 5 août 2019.


8. Cf. : « Cinq propositions pour rendre plus transparent la rémunération de nos élus », Huffington Post, 18 février 2019.