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L’université face au risque de radicalisation

Par Franck Bulinge, Professeur des universités, Chercheur au laboratoire IMSIC, Référent pour la prévention de la radicalisation et membre du comité de sûreté de l’université de Toulon

Alors que le plan de prévention et de lutte de la radicalisation a été mis en œuvre à partir de 2015 dans les écoles, collèges et lycées, les universités accusent un retard certain dans ce domaine. La raison principale de ce retard est que ces établissements publics autonomes ont été à l’abri du phénomène, même si l’attentat du parvis de Notre Dame a été commis par un étudiant en thèse et sans qu’il ait été possible de déceler le moindre indice d’une radicalisation et d’un passage à l’acte.

De fait, la communauté universitaire paraît moins vulnérable au risque de radicalisation, d’une part parce qu’elle est empreinte d’une culture cartésienne rétive à toute forme de dogmatisme, et d’autre part parce qu’elle est un lieu ouvert libre et laïc de débat, de rencontre et d’expression de personnes adultes, où toutes les tendances philosophiques et politiques s’expriment librement et s’autorégulent démocratiquement. A l’université, le développement de la pensée critique permet en outre d’enrayer le conspirationnisme si propice au développement d’une radicalité politique ou religieuse.

Peut-on pour autant affirmer que les universités sont exemptes du moindre risque ? Ce serait faire un pari stupide, ne serait-ce que parce que le nombre de ressortissants universitaires plaide statistiquement pour une probabilité non nulle du risque de radicalisation.

A l’heure où la priorité stratégique des universités était d’assurer leur survie, ce dispositif se devait d’être adapté, que ce soit en termes de budget et d’organisation, mais également de culture et de mentalités. Avec l’autonomie des universités et sur une question aussi sensible, il était en effet impossible d’imposer une politique qui ne serait pas approuvée par la gouvernance de ces établissements. Il faut rappeler, au passage, qu’une université comme Toulon représente 9000 ressortissants, tandis que Marseille en compte près de 80000, soit l’équivalent d’une ville comme Annemasse. De fait, les modèles utilisés pour la prévention de la radicalisation dans les collèges et lycées n’étaient pas adaptés et il fallait en inventer de nouveaux.

À Toulon, le modèle mis en œuvre en 2016, s’appuie sur le concept de vigilance, à l’image du « Attentifs ensemble » du métro parisien, où chaque ressortissant est acteur de la sécurité collective. Le dispositif est piloté par un comité de sûreté qui s’inscrit dans une politique globale de protection des personnes et des biens. Réuni régulièrement par le président de l’université, il est composé d’une dizaine de membres dont le fonctionnaire de sécurité de défense, le responsable de la sûreté, la responsable du système de sécurité informatique, ainsi que le “référent radicalisation”. Le référent radicalisation, en lien avec le responsable sûreté, est en charge des relations avec les services de la préfecture et les fonctionnaires du renseignement territorial. Son rôle est de prévenir et rassurer les ressortissants de l’université, et d’entretenir la posture collective de vigilance, dans le respect des droits et libertés de chacun, tout en faisant remonter les éventuels alertes et signaux faibles aux services concernés.

Si l’université de Toulon n’a pas connu jusqu’à présent de cas de radicalisation, le dispositif en place a permis de constater un certain nombre de vulnérabilités et de failles auxquelles il a été remédié. Nous sommes ainsi passé d’une forme d’angélisme intellectuel à une culture de la sûreté collectivement assumée.

Ce modèle est simple, peu coûteux et permet au président de l’université de disposer d’un outil de pilotage et d’aide à la décision dans un contexte où sa responsabilité et celle de l’État peuvent être directement engagées. C’est pourquoi la mission de sécurisation de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation a décidé de s’appuyer sur ce modèle et propose aujourd’hui qu’il soit déployé dans l’ensemble des établissements du supérieur. 

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