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Cannabis : de l’expérimentation à la légalisation

En février dernier, le Parlement européen adoptait une résolution sur l’utilisation du cannabis thérapeutique visant à lui donner un cadre légal et à favoriser la recherche. Au-delà de l’espoir de soulager certains malades atteints de lourdes pathologies, se profile aussi toute une économie en devenir. La France est encore en quête de son modèle et dans l’attente d’une future expérimentation de la culture de chanvre.

Alors que l’OMS a officiellement recommandé que le composé de cannabis cannabidiol (CBD) ne soit pas classé parmi les substances contrôlées, et même si plusieurs Etats membres (21) ont déjà légalisé l’utilisation de certaines formes de cannabis ou de cannabis cannabidiol ou réfléchissent à changer leur législation, il n’existe encore aujourd’hui aucune harmonisation des règles au niveau européen concernant l’usage du cannabis à des fins médicales ou récréatives. Fort de ce constat et d’une évolution de la réflexion sur le cannabis thérapeutique (en attendant celle sur le cannabis récréatif), les députés européens se sont emparés du sujet. Dans la résolution sur l’utilisation du cannabis thérapeutique adoptée par le Parlement européen le 13 février dernier, les eurodéputés demandent une définition légale du cannabis thérapeutique qui établirait une distinction claire entre les utilisations médicales et les autres utilisations. Ils veulent également que la recherche et l’innovation soient « stimulées et correctement financées ». Ils souhaitent enfin que les médicaments « efficaces » à base de cannabis soient couverts par les régimes d’assurance maladie.

En France, le débat en faveur de la légalisation du cannabis thérapeutique se fait pressant. En décembre dernier, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM) se rangeait à l’avis favorable du Comité scientifique spécialisé temporaire (CSST) sur l’évaluation et la pertinence de la faisabilité de la mise à disposition du cannabis thérapeutique. L’ANSM a ensuite validé la proposition du CSST de lancer une expérimentation « en conditions réelles » d’un ou deux ans avant la fin 2019. Le Gouvernement ne semble pas non plus hostile à l’idée de légalisation. Au cours d’un déplacement dans la Creuse en avril dernier, le Premier ministre estimait qu’il serait « absurde » de s’interdire d’étudier les possibilités du cannabis thérapeutique. « Il y a beaucoup de pays qui travaillent là-dessus, beaucoup de pays qui le permettent. Il serait absurde de ne pas se poser la question et c’est dans cet esprit que nous voulons travailler avec les porteurs du projet » indiquait-il à la presse avant de relativiser un peu plus tard ses propos, ne parlant plus tard que de l’idée d’étudier les vertus thérapeutiques « des molécules contenues par cette plante ». Et de préciser bien évidemment que tout le processus devrait être parfaitement « encadré ». « Il ne s’agit pas du tout de mettre en péril la santé publique (...) vous pensez bien que l’avis des plus hautes autorités qui encadrent l’utilisation des médicaments est indispensable ». Ligne directrice confirmée le même jour par la Ministre de la Santé Agnès Buzyn : « Nous avons commencé à travailler au sein de l’Agence de sécurité du médicament à un développement du cannabis thérapeutique, qui semble pouvoir répondre à quelques douleurs chroniques chez des patients, des douleurs très difficiles à traiter. Il y a un besoin pour quelques pathologies, pour quelques maladies » qui s’est par ailleurs réjoui du débat « dépassionné » qui s’est engagé sur le sujet.

Faire de la Creuse, un département pilote

Le choix de la Creuse par le Premier ministre pour ce déplacement n’était évidemment pas anodin. Ce département rural est celui du député LREM Jean-Baptiste Moreau qui est tête de pont sur cette question à l’Assemblée – il n’est pas le seul, le député écologiste François-Michel Lambert du groupe Liberté et Territoires a déposé une proposition de loi visant à légaliser le cannabis thérapeutique et récréatif. D’autres parlementaires s’intéressent aussi de très près au sujet. Jean-Baptiste Moreau voit dans la légalisation du cannabis thérapeutique un double enjeu : « un enjeu de santé publique pour des centaines de milliers de patients et un enjeu économique pour nos territoires ruraux ». Il milite d’ailleurs activement pour faire de la Creuse le département pilote d’une expérimentation de la production de cannabis thérapeutique. Si la culture du chanvre existe déjà en matière industrielle (textile, isolation, cosmétique…) elle pourrait trouver ici, juge-t-il, une voie de diversification prometteuse. « Nos agriculteurs sont déjà prêts à investir pour développer cette nouvelle filière de production de chanvre à usage thérapeutique » assure le député. « Nous avons les moyens humains et techniques pour avancer : des agriculteurs qui souhaitent se diversifier, des laboratoires d’excellence pour créer une nouvelle industrie de transformation, des médecins et des pharmaciens pour conseiller nos malades nous expliquait Jean-Baptiste Moreau dans une précédente tribune. Aujourd’hui, la nécessité est de produire sain, sûr, durable et accessible à tous. Le développement d’une nouvelle filière de production de chanvre à usage thérapeutique répondrait donc à nos attentes sociétales et environnementales. En effet, sa production ne nécessite pas de produits phytopharmaceutiques, ni d’OGM. Résistante à la sécheresse, cette plante valorise notre écosystème. Alors qu’un hectare de blé représente un rendement de 200 e pour les paysans, un hectare de chanvre leur rapporterait environ 2500 e, améliorant ainsi considérablement le revenu de nos agriculteurs, qui pour 1/3 d’entre eux peinent à vivre avec moins de 350 e par mois ».

Au-delà de la Creuse, d’autres territoires, sans doute de façon plus discrète, sont aussi sur les rangs. Mais pour mener à bien l’expérimentation voulue par le CSST d’ici à la fin de l’année, il faut de la matière première, donc des producteurs. Des producteurs qui ne sont pas (encore) Français mais qui pourraient être étrangers emmenés par les leaders du secteur, Américains, Canadiens et Israéliens. 

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