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Légaliser pour assumer la révolution économique du cannabis

Par François-Michel Lambert, Député des Bouches-du-Rhône

Après avoir bien observé ce qu’il se passait dans le monde et en avoir tiré les conclusions que notre pays risquait de passer à côté d’une véritable « révolution » du cannabis, j’ai décidé de relancer le débat en déposant une proposition de loi relative à la légalisation du cannabis par la mise en place d’un monopole public de production et de distribution.

De nombreux arguments sont soutenables à l’appui de cette proposition, qui n’est pas la première, mais cette fois ci l’argument économique a pris du poids. Il répond à un phénomène mondial, celui de la banalisation du cannabis, de ses usages, de ses vertus comme de ses risques. Le joint a envahi toutes les couches de la société, même illicite, le produit ne fait pas peur. Il circule, s’échange et se trouve très facilement. Surtout il répond à une demande qui va bien au-delà de celles d’une jeunesse en proie aux expériences interdites.

Les Américains et les Canadiens qui ont légalisé ont vite compris que le cannabis est devenu le business rentable des 30 prochaines années. Un marché s’est installé, des véritables filières ont été créées, au prix du rendement à l’hectare, le cannabis est une culture bien plus intéressante que le blé. En Europe entre tolérance et dépénalisation de nombreux pays ont évolué et même le Luxembourg, jusque-là si conservateur, se prépare à légaliser le cannabis récréatif.

Si nous ne sommes pas réactifs, dans quelques années, les lobbies et les multinationales étrangères nous imposeront leurs règles du jeu, après avoir décroché la timbale. Nous avons déjà pris beaucoup de retard sur le marché du cannabis thérapeutique, demain nous serons décrochés sur le marché du cannabis récréatif, le plus important pour notre économie. Les grands groupes spiritueux investissent déjà des milliards dans la recherche de produits dérivés et font des entrées remarquées au capital des sociétés de production et de distribution. Le phénomène ne va pas s’arrêter et les arguments de nature morale et idéologique ne résisteront pas longtemps aux lois du marché. Un grand vent de libéralisation souffle sur la consommation de cannabis dans le monde.

En France le marché illicite est estimé entre un et deux milliards d’euros, en fonction du prix de vente et il y aurait 200 000 personnes qui vivraient aujourd’hui illégalement, directement ou non, du commerce du cannabis. Le coût de la prohibition pour les forces de police et de justice qui s’épuisent à traquer les trafics est estimé à plus de 700 millions d’euros par an. Le coût social approcherait le milliard d’euros… Un marché organisé, structuré juridiquement, encadré par l’Etat sous la forme d’une société d’exploitation permettrait de contrôler la prévalence du cannabis, de réduire les trafics et l’insécurité, de créer des milliers d’emplois, y compris auprès des populations auparavant impactées par le commerce du cannabis. La nouvelle économie et ses recettes fiscales, estimées selon Terra Nova à 1.8 milliard d’euros par an pourraient être en partie réinvesties dans des politiques de prévention et de reconversion au bénéfice des zones de deal, dans des stratégies globales de sorties des économies de subsistance. La régulation de ce secteur permettra en outre d’améliorer la qualité des produits et de diminuer les risques pour la santé des utilisateurs.

La filière française qui serait créée est estimée à environ 40 000 emplois, principalement dans l’agriculture et nos agriculteurs, les nouveaux cannabiculteurs, vont devenir producteurs et distributeurs, sous le contrôle d’un monopole d’Etat, seul capable de porter une politique globale, de fournir un encadrement responsable et de retirer tous les bénéfices de l’opération.

Les politiques doivent tenir compte de ces évolutions et assumer la révolution du cannabis par une approche différente, moins hypocrite, plus pragmatique. Au pays du bon vin, la guerre du cannabis est perdue depuis longtemps et tous les arguments pour la prohibition tombent les uns après les autres. Les enjeux de sécurité, sanitaires, sociaux, sociétaux, économiques nous obligent à avancer. 

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