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La crise du sucre est mondiale

Par François Thaury, Expert en matières premières chez Agritel

Depuis la sortie des quotas il y a 18 mois, la filière sucrière européenne est en crise. La chute des cours mondiaux (près de 50 % en 30 mois) met à mal la stratégie des fabricants européens qui avaient misé sur la libéralisation du marché pour augmenter leur production de 20 %. La hausse des volumes permettait d’allonger les campagnes et de saturer les usines pour faire baisser les coûts fixes tout en gagnant des parts de marché à l’export.

Certains considèrent que l’histoire se répète et que la crise actuelle ressemble à celle qui avait sévi après la suppression des quotas laitiers. Pourtant les causes sont différentes. L’augmentation de la production laitière en Europe avait fortement alourdi le bilan mondial. Le sucre issu des betteraves de l’UE, lui, ne représente lui que 10 % de l’offre mondiale. L’augmentation de la production après 2017 n’est donc que marginalement responsable des excédents des deux dernières saisons qui ont entraîné la chute des cours. Les pays qui fabriquent du sucre à partir de la canne (80 % de la production mondiale) ont bénéficié de conditions climatiques favorables qui ont généré des surplus considérables. Parmi ces pays, il faut citer l’Inde qui, pour d’autres raisons, est largement responsable des déséquilibres actuels. Dans ce pays, le gouvernement incite les planteurs à produire toujours plus en fixant le prix de la canne à des niveaux sans relation avec l’évolution des prix du sucre dans le monde. Les 50 millions de planteurs du pays représentent un enjeu électoral majeur pour le pouvoir politique. Les effets de cette politique sont désastreux : malgré des subventions, les excédents indiens, trop chers, peinent à trouver preneur sur les marchés export et les fabricants sont dans l’incapacité de payer les récoltes. Entre 2017 et 2019, la production de sucre en Inde est passée de 21.5 Mt à 33 Mt. Au même moment, la production européenne progressait de 16.7 Mt à 18 Mt avec un pic en 2018 à 21 Mt.

Les sucriers doivent donc faire face à un environnement très dégradé, les cours sont en effet nettement inférieurs aux coûts de production et ce, partout dans le monde. En Europe, mais surtout en France, les surfaces betteravières vont diminuer sensiblement. L’allemand Sudzucker et le français Cristal-Union ont annoncé la fermeture de quatre usines dans l’hexagone à partir de 2020. Notre pays, premier bassin betteravier en Europe, pourrait donc payer un lourd tribut à ces ajustements industriels et voir son potentiel amputé. Les disparitions d’usines en Normandie ou en Auvergne ne permettront plus aux agriculteurs de ces régions de cultiver la betterave faute d’une sucrerie suffisamment proche. Les efforts de la filière betteravière française, qui tente actuellement de proposer des alternatives aux fermetures doivent être encouragés. Ils ne sont pas forcément incompatibles avec une optimisation industrielle indispensable.

Au-delà de la réduction des coûts, le secteur doit se pencher d’urgence sur les faiblesses de son modèle de contractualisation. L’absence de risques économiques pendant plus de cinquante ans en raison des quotas et des prix minimums garantis a permis à la filière d’investir et de réaliser des progrès agronomiques remarquables. A contrario, cet environnement favorable n’a pas préparé les acteurs à gérer suffisamment leur risque de prix pour se prémunir d’une évolution des cours défavorable. Le manque de transparence sur les prix ou l’absence d’un marché à terme adapté sont pénalisants notamment pour les agriculteurs qui ne connaissent souvent le prix final de leur production qu’environ 15 mois après avoir semé. Il y a là un chantier urgent pour pérenniser un secteur qui contribue positivement à notre balance commerciale. Quant aux prix du sucre, car c’est bien là l’essentiel, la perspective de voir le bilan mondial repasser bientôt déficitaire devrait soutenir les cours. Malgré tout, une forte remontée reste improbable à court terme, car les stocks mondiaux sont pléthoriques. 

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