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“Une forme de renoncement à l’urgence à mettre en œuvre la transition énergétique”

Par Yves Marignac, porte-parole de l’Association négaWatt

Moins de quatre ans après l’adoption de la loi de 2015 relative à la transition énergétique, le gouvernement présente un nouveau projet de loi. Bien qu’abandonnant le terme de transition, ce texte prétend renforcer l’ambition de la France dans ce domaine. La genèse du projet, et ses principales dispositions, suggèrent pourtant que cette énième agitation législative soit une fois de plus le miroir de l’inaction concrète. Cela appelle un petit retour en arrière.

La loi de 2015 soldait un processus initié par l’engagement de campagne du futur président de la République, François Hollande, de « réduire la double dépendance de la France au pétrole et au nucléaire ». Dans le contexte d’inquiétude né de la catastrophe de Fukushima, il fixait plus précisément l’objectif d’abaisser à 50 % la part du nucléaire (contre 75 %) dans la production d’électricité à l’échéance 2025. Pour mettre en œuvre cet objectif, il fallait doter le gouvernement du pouvoir de décider de la fermeture de réacteurs pour des raisons de politique énergétique.

On cherchera en vain cette disposition, qui était pourtant sa première raison d’être, dans la loi de 2015. Après des mois de résistance menée notamment par EDF, le statu quo a prévalu. La loi a toutefois introduit des instruments censés donner au gouvernement les moyens d’imposer une trajectoire nucléaire, au premier rang desquels la Programmation pluriannuelle de l’énergie à 5 et 10 ans (PPE), assortie de l’obligation faite à l’opérateur historique du parc nucléaire de présenter au gouvernement un plan stratégique conforme à cette PPE.

Cette PPE doit elle même s’inscrire dans une trajectoire à plus long terme, la Stratégie nationale bas carbone (SNBC), conforme aux orientations de la loi – mise en œuvre de la sobriété et de l’efficacité énergétique pour maîtriser la demande, développement des énergies renouvelables pour y répondre – et aux nombreux objectifs fixés aux horizons 2030, 2040 ou 2050. Ces objectifs, tirés du débat préparatoire à la loi, forment d’ailleurs une trajectoire ambitieuse et cohérente, soucieuse du bon équilibre entre les différents enjeux de transformation du système énergétique :

• un objectif de réduction de la consommation finale d’énergie de 20 % à l’horizon intermédiaire de 2030 et de 50 % à l’horizon 2050 – l’analyse des différents scénarios ayant conclu à la nécessité d’une telle évolution pour réduire au niveau alors considéré, soit une baisse de 75 % à 2050, les émissions de gaz à effet de serre ;

• un objectif spécifique d’élimination progressive des énergies fossiles, avec une réduction de 30 % de leur consommation en 2030 par rapport à 2012 ;

• des objectifs de substitution par les énergies renouvelables, pour atteindre 23 % de la consommation finale brute d’énergie en 2020 et 32 % en 2030, et de rééquilibrage du mix électrique, combinant l’objectif précité de réduction de la part du nucléaire à celui de porter celle des renouvelables à 40 % en 2030 dans la production d’électricité.

Tous les experts s’accordent en revanche à dire que le train des politiques et mesures prévues par la loi, ou des textes qui en découlent reste très en deçà des objectifs à atteindre. L’application timide ou incomplète de ces mesures finit d’écarter la France de la trajectoire qu’elle s’est fixée, qu’il s’agisse du retard dans le développement des énergies renouvelables ou du premier budget carbone prévu par la SNBC.

L’échec à engager la fermeture de réacteurs nucléaires à travers la loi de 2015, et le retard observé dans la transformation plus large de notre système énergétique ne sont peut-être que deux symptômes du même mal : l’incapacité politique à faire émerger dans notre pays une vision partagée de la transition énergétique, susceptible de devenir un projet commun.

Il faudrait pour cela réconcilier l’histoire du système énergétique français avec son avenir. La première, totalement focalisée sur le système électrique, est faite de l’assise du service public régulé sur un opérateur national, un système hyper centralisé et un outil industriel régalien par nature, le nucléaire. Le second, qui impose d’abord de retrouver une vision beaucoup plus complète de la problématique énergétique, est fait tout à la fois d’intégration européenne, de dynamiques de marché, de décentralisation au profit des collectivités et des acteurs locaux, d’innovation et de foisonnement des solutions de production et d’action sur la demande.

Faute d’assumer ce travail politique de construction d’un nouveau modèle, dans lequel les acquis sociaux et économiques doivent être refondés pour être préservés, le gouvernement reste prisonnier de l’ancien. Il cherche à repousser l’échéance de choix pourtant inéluctables. Son réflexe politique n’est pas d’accélérer la transformation pour rattraper le retard constaté vis-à-vis de ses propres objectifs, mais de construire la justification politique de son conservatisme.

Le dossier nucléaire est au cœur du problème. La fin du cycle industriel lancé dans les années soixante-dix devait coïncider avec l’impulsion d’un changement. Mais depuis 2015, le gouvernement a renoncé à fermer Fessenheim dans le délai prévu (repoussant l’échéance de 2016 à 2020), puis a surjoué l’impact potentiel de fermetures de réacteurs sur les émissions de CO2 ou sur la sécurité du système électrique. Il a notamment ignoré les scénarios officiels montrant que l’objectif de 50 % pouvait être atteint dès 2030 en fermant plus de 20 réacteurs, retenant plutôt un scénario de 14 fermetures seulement pour n’atteindre 50 % qu’en 2035.

La prolongation de réacteurs est présentée comme l’option la plus naturelle et la moins chère, au prix d’un raisonnement économique plus que court-termiste, et d’un déni des difficultés techniques, de la charge industrielle et du risque financier associés à cette option. Il reste à l’issue de la trajectoire PPE, en 2035, 44 réacteurs en service qui atteignent 50 ans de durée de vie en moyenne. Ce choix, combiné au développement des énergies renouvelables, conduit à plus d’un quart de surproduction que le gouvernement parie de déverser à l’exportation, avec un risque de surcoût massif pour le système électrique français.

La SNBC, sans statuer sur la nature du mix électrique décarboné à l’horizon 2050, ne peut que composer avec cette surélectrification, en jouant plus que de raison sur le levier de l’électricité bas carbone. Le tout conduisant, étape ultime, à devoir ajuster les objectifs… Pour aboutir à cette situation absurde, contraire à l’équilibre des pouvoirs exécutif et législatif : c’est à la loi qu’on demande de s’adapter aux instruments réglementaires qu’elle a créés !

Pour masquer ce renoncement à court-moyen terme, il est de bonne guerre de renforcer l’ambition à long terme. Le principal apport du projet de loi est d’introduire, en ligne avec l’Accord de Paris, un objectif bienvenu de neutralité carbone à 2050 – qui reste toutefois à définir précisément et à assortir d’un facteur de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui, pour être cohérent avec cet objectif, doit être au moins de huit. Dans un autre registre, la création du Haut conseil pour le climat constitue sur le papier un progrès important pour la gouvernance des politiques publiques dans ce domaine.

Mais l’essentiel n’est pas là. L’échec à légiférer sur un mécanisme politique de fermeture des réacteurs, qui était l’enjeu en 2015, conduit mécaniquement aujourd’hui à l’obligation de légiférer pour acter ce renoncement, et rendre le glissement de trajectoire proposé par la PPE légal. De la révision des objectifs prévue par l’article 1er aux aménagements prévus par l’article 8 du mécanisme d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique (ARENH), clé pour protéger des effets de marché la mise en œuvre de la trajectoire prévue par la PPE, la raison d’être du projet est claire.

Le signal est désastreux. Aucune impulsion n’est donnée pour une véritable politique de maîtrise de la consommation d’énergie, pourtant premier levier d’action de la transition, et encore moins de celle d’électricité, seule à même de desserrer les contraintes qui pèsent sur le système électrique. Celui-ci, saturé par les capacités existantes, n’offre pas tout l’espace nécessaire pour un développement au niveau affiché des énergies renouvelables électriques. Et la priorité à l’électricité freine les efforts dans les autres domaines, à commencer par la mobilisation nécessaire de la biomasse.

C’est, en creux, une forme de renoncement à l’urgence à mettre en œuvre la transition énergétique. Mais notre système vieillissant, sclérosé et de plus en plus coûteux pour les entreprises et les ménages, ne résistera guère plus au temps, et à la pression du nécessaire changement. Aucune loi ne permettra de repousser indéfiniment le temps politique des véritables décisions. 

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