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“Le phénomène de la précarité énergétique ne se limite pas à la précarité”

Par Jean Gaubert, médiateur national de l’énergie

Il n’est désormais plus possible d’ignorer que de nombreux concitoyens souffrent de précarité énergétique. En tant qu’observateur privilégié du marché de l’énergie, je ne peux que constater que le confort énergétique est hélas devenu un luxe — ce qui explique sans doute pourquoi la fiscalité de l’énergie est aujourd’hui un sujet si sensible.

Un état des lieux s’impose avant tout. La précarité énergétique est, sans surprise, l’une des manifestations de la précarité tout court. Ainsi, les bénéficiaires des minima sociaux représentent un part importante des foyers concernés. Mais le phénomène de la précarité énergétique ne se limite pas à la précarité, car sont également concernés des foyers disposant de revenus que l’on qualifierait plus volontiers de « modestes » : que l’on songe aux retraités dont le niveau des pensions ne leur permet plus de s’acquitter de leurs factures de fioul.

Pour mieux cerner le phénomène, on peut aujourd’hui se référer aux travaux de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), dont le médiateur national de l’énergie est membre depuis sa création. Il ressort de ses travaux que 6,7 millions de personnes sont concernées par le phénomène en France métropolitaine.

Au-delà du chiffre brut, d’autres indicateurs permettent d’approfondir. Ainsi, selon la dernière édition du baromètre « Energie-info » réalisé par mes services fin 2018, 15 % des foyers français ont souffert du froid l’hiver dernier, et ce pendant au moins 24 heures. De plus, 30 % des répondants ont indiqué avoir restreint leur consommation pour éviter des factures trop élevées : il s’agit de ceux que l’on nomme parfois les « invisibles », qui peuvent vivre dans un grand inconfort énergétique tout en étant très difficiles à détecter.

Les chiffres, on le voit, sont éloquents. Soulignons également que les précaires énergétiques cumulent souvent plusieurs handicaps. Avec des revenus limités, ils sont souvent contraints de se loger dans des endroits peu ou mal isolés, situation qui engendre mécaniquement des factures élevées.

Pour répondre à cette urgence sociale, de nombreux dispositifs ont été créés ces dernières années, tant préventifs que curatifs. Si ce foisonnement témoigne d’une bonne volonté que je salue, force est de constater que la multiplicité de ces initiatives engendre un manque de lisibilité. J’estime donc que les aides existantes — et c’est là mon premier vœu — devraient être mieux connues et coordonnées. D’autres mesures me semblent cependant souhaitables.

Prendre les mesures nécessaires pour atténuer la hausse des prix de l’énergie

L’effort doit tout d’abord porter sur le court terme. Le chèque énergie, que j’avais soutenu, constitue une aide indispensable au paiement des factures d’énergie des foyers les plus modestes. Son montant doit à mon sens être revalorisé. Je note à cet égard que le Gouvernement a pérennisé le dispositif en 2019, et qu’il a tenu son engagement de revalorisation de 50 euros du montant moyen du chèque. Il a également augmenté le nombre de foyers éligibles. Je me réjouis de ces gestes forts, et appelle donc à ce que cette dynamique soit maintenue à l’avenir.

Dans la lignée des revendications exprimées par les Français au cours des derniers mois, une modération dans les prix de l’énergie me semble indispensable. S’agissant de dépenses que l’on qualifie à juste titre de « contraintes », les pouvoirs publics doivent intervenir pour que les tarifs réglementés de l’électricité soient mieux conçus, afin que le poids de cette dépense ne pèse pas de manière disproportionnée sur les plus modestes.

Plus généralement, nous sommes nombreux à considérer que l’énergie est un produit de première nécessité, ce qui explique que je soutienne l’idée d’un service minimum pour l’électricité.

Bâtir un service public de l’accompagnement aux travaux de rénovation énergétique

Ces premiers efforts doivent être accompagnés d’un soutien massif à l’amélioration de la qualité du bâti. Il existe déjà une pléthore de dispositifs disponibles, à tous les échelons (national, départemental et local) : mesures fiscales (le crédit d’impôt pour la transition énergétique, ou CITE…), accompagnement financier direct (citons par exemple les certificats d’économie d’énergie, ou CEE, …), ou encore crédits dédiés (que l’on songe à l’éco-prêt à taux zéro, ou Eco-PTZ,…).

On le voit, les dispositifs et les acronymes ne manquent pas. De plus, les guichets sont trop nombreux, ce qui complexifie encore davantage la tâche. Dans ce contexte, j’estime que doit être mis en place un service public, unique et bien identifié, d’accompagnement aux travaux de rénovation.

La plateforme « FAIRE », récemment mise en place par les pouvoirs publics, est un pas dans la bonne direction. Il ne s’agit toutefois que d’un jalon. Des lieux d’accueil physique devraient également être développés, faute de quoi la population la moins connectée risque de ne pas être atteinte. Les agences locales de l’énergie pourraient à mon sens jouer ce rôle de guichet unique dans les territoires.

Le service public de la performance énergétique de l’habitat doit apporter aux citoyens une ingénierie technique et financière leur permettant de mobiliser l’ensemble des dispositifs auxquels ils ont droit, avec une approche « clef en mains » et non un simple catalogue d’aides disponibles. On pourrait ainsi atteindre un reste à charge faible, voire nul.

Cette rationalisation doit s’accompagner d’une réelle formation des agents chargés d’accompagner les foyers dans leurs projets. Les compétences techniques sont indispensables, mais elles doivent être accompagnées de compétences financières. On le sait, les taux d’économie d’énergie sont souvent surévalués. Or, des prévisions trop optimistes peuvent mettre des foyers en difficulté financière, car c’est la rentabilité de l’ensemble du projet qui est affectée. Les agents doivent ainsi être à même d’évaluer la rentabilité d’un projet.

Pénaliser les propriétaires bailleurs peu scrupuleux

De telles mesures apparaissent indispensables, mais elles resteront inefficaces pour les locataires victimes de bailleurs peu scrupuleux qui refusent d’engager les travaux nécessaires. Il est vrai que des mesures ont été mises en place récemment par les pouvoirs publics pour renforcer la répression des cas les plus graves (les « marchands de sommeil »), et je m’en réjouis. Mais il existe aussi des situations qui, si elles ne relèvent pas du pénal, n’en sont pas moins préoccupantes.

Des mesures fortes doivent donc être prises en direction des propriétaires bailleurs. Ces derniers doivent être informés qu’ils peuvent bénéficier des dispositifs fiscaux mentionnés, et que de tels travaux, s’ils n’ont pas toujours un effet patrimonial positif, évitent en tout état de cause une dépréciation de leur bien. En effet, les bailleurs ne sont le plus souvent pas hostiles à ce type de travaux, mais plutôt démunis sur la marche à suivre — comme par exemple les personnes âgées. En revanche, pour les bailleurs récalcitrants, des mesures plus dissuasives pourraient être mises en place, allant jusqu’à la prise en charge d’une partie de la facture d’énergie ou des charges locatives de chauffage. De telles mesures me semblent bénéfiques à tous points de vue.

Ces quelques réflexions ne prétendent bien évidemment pas épuiser un sujet particulièrement complexe. La précarité énergétique est également liée aux problèmes de mobilité, que je n’ai pas évoqués ; certains territoires ont par ailleurs des problématiques propres, comme par exemple en Outre-mer. Mais les mesures ici proposées me semblent indispensables pour résorber un phénomène qui, par son ampleur et sa gravité, nous concerne tous. 


1. Source : Tableau de bord de l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE), mars 2019.


2. Source : édition 2018 du baromètre Energie-info sur la perception des marchés de l’électricité et du gaz naturel, publié chaque année par le médiateur national de l’énergie.


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