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“L’autorité environnementale ou le refus de l’Etat de sortir du conflit d’intérêts”

Par Michel Dubromel, Président de France Nature Environnement

Le 30 avril a été présenté en Conseil des ministres un projet de loi relatif à l’énergie et au climat. Ce texte modifie les objectifs de la France en matière de transition énergétique. Il contient également une disposition moins remarquée mais pourtant lourde de conséquence : son article 4 retire à l’Autorité Environnementale (l’AE) la compétence de déterminer si une évaluation environnementale est nécessaire pour les projets qui y sont soumis au « cas par cas ». Il renvoie à un décret le soin de définir à qui revient cette compétence. Pour France Nature Environnement, il s’agit d’une régression grave.

Des enjeux clés et un périmètre large

Les évaluations environnementales sont un outil clé. Ce sont elles qui permettent de connaitre les incidences d’un projet aussi bien sur la population et la santé humaine, que sur la biodiversité, le sol, l’eau, l’air et le climat, ou encore le patrimoine culturel et les paysages.

Aujourd’hui, c’est une autorité autonome, l’Autorité Environnementale, qui devrait, aux termes de la loi, déterminer si les conséquences environnementales présumées d’un projet soumis « au cas par cas » à évaluation environnementale justifient ou non qu’il y soit soumis. Avec l’article 4, cette décision reviendra très vraisemblablement aux préfets ou à des services qui lui sont rattachés. Et pas uniquement pour les projets d’énergies renouvelables : c’est l’ensemble des projets soumis au cas par cas qui est concerné par cet article. Les installations d’élevages, les barrages, les défrichements ou les rejets en mer seront, entre autres, également concernés. Cette disposition est donc lourde de conséquences potentielles.

Une insécurité juridique et un droit complexifié pour les porteurs de projets

Par quatre fois, le Conseil d’Etat a affirmé que le préfet ne pouvait être l’autorité qui juge de la qualité des évaluations environnementales car il n’avait pas l’autonomie nécessaire. Il ne le sera donc logiquement pas plus pour être l’autorité déterminant si un projet doit ou non être soumis à évaluation environnementale. Des autorisations accordées sans évaluation environnementale après une décision prise par une autorité dépourvue d’autonomie seront donc probablement censurées par les tribunaux : tous les projets concernés par le dispositif du « cas par cas » seront fragilisés.

De plus, cette disposition loin de simplifier la procédure pour le maitre d’ouvrage, au contraire, la complexifie pour les porteurs de projets comme pour l’administration qui devront, chacun, identifier, dans chaque situation et pour chaque type de projet, l’autorité compétente en matière d’environnement à chaque stade de la procédure.

Pourquoi alors cette disposition qui rend le droit plus fragile et complexe ?

Une énième péripétie dans un combat de plusieurs années

Depuis des années, France Nature Environnement dénonce le fait que les préfets n’ont pas l’autonomie requise pour être Autorité Environnementale et qu’un risque de conflit d’intérêt existe. Le Conseil d’Etat l’a confirmé et a demandé à l’Etat de rendre les autorités environnementales réellement autonomes. A rebours, l’Etat fait le choix ici d’affaiblir les autorités environnementales déjà désignées en les privant de leurs prérogatives en matière de « cas par cas ».

L’Etat, sourd aux demandes des citoyens d’une démocratie plus participative, aux demandes des collectivités de plus de décentralisation, s’entête avec cette disposition à préserver la chasse gardée de ses préfets, au risque que de nombreux projets, et notamment des projets d’énergie renouvelable importants pour la transition, se retrouvent fragilisés.

L’Autorité Environnementale nationale et ses missions régionales sont pourtant composées de personnes disposant des compétences techniques et de l’autonomie requises pour décider en toute objectivité si une évaluation environnementale est nécessaire.

Nous comptons donc sur les parlementaires pour supprimer cet article 4 et mettre enfin un terme à ces rebondissements. L’Etat doit enfin produire un décret qui préservera l’environnement en évitant tout risque de conflit d’intérêt et donnera aux projets concernés une base juridique solide. 

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