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Pourquoi nous plaidons pour un retour a l’intercommunalité de projet

Par Caroline Cayeux, sénateur-maire de Beauvais et présidente de Villes de France

 

Le 7 avril dernier, la Fédération que je préside a publié un Manifeste a l’adresse de l’Etat, pour faire part de ses observations de terrain en matiere d’évolution de l’intercommunalité. Pour rédiger ce document, mes collegues et moimeme avons mis en commun notre expérience, partagé nos doutes et nos réussites. Face aux évolutions que nous sentons poindre a un horizon qui semble se rapprocher a grand pas, nous voulions ensemble dresser un bilan de l’intercommunalité et dire « stop », tant qu’il est encore temps, a une orientation qui s’écarte de son ambition originelle.

Le texte voté par l’Assemblée nationale en premiere lecture accélere en effet le processus de transformation de l’intercommunalité en collectivité territoriale a part entiere. En élisant les représentants de l’EPCI au suffrage universel direct sur une circonscription unique, en forçant au regroupement des EPCI pour que ceuxci atteignent un seuil minimal de 20 000 habitants, en complétant leurs compétences, on tend a en faire les échelons de proximité de droit commun... en lieu et place de la commune.

Or, est-ce bien ce que nous voulons ? Certes, les Français demandent plus de lisibilité dans les dispositifs et comptent sur un usage efficient des deniers publics. De ce point de vue, nous sommes d’accord pour nous réorganiser, mutualiser, nous regrouper pour « faire mieux avec moins ». Nous avons d’ailleurs approuvé la suppression de la clause de compétence générale dont disposaient les régions et les départements et aujourd’hui, nous savons mieux « qui fait quoi ». Mais je pense que cette rationalisation des couts ne doit pas se faire au détriment de la commune. Je suis convaincue que ce n’est pas non plus ce que veulent les Français. Le maire et le Président de la République sont les seuls personnages politiques qu’ils continuent de connaître et de respecter. Ces élections sont les seules qui les mobilisent vraiment. Il serait donc pour le moins hasardeux de détruire cette confiance historique des Français dans cette institution. Supprimer la commune, est-ce la la réponse qu’offre notre République aux citoyens qui crient leur sentiment d’abandon a chaque nouvelle élection ?

Certes, des aménagements peuvent etre trouvés pour mieux organiser l’action locale. Nous pouvons sans doute repenser la gouvernance des communes les plus petites, celles qui ne comptent que quelques centaines d’habitants - encore que ce ne sont surement pas les plus couteuses. Mais certaines d’entre elles ont déja initié un tel mouvement en s’engageant dans la démarche des « communes nouvelles ». Ce dispositif est intéressant, car il permet de réaliser des économies d’échelle, de faire a plusieurs ce que chacune ne peut faire seule, tout en maintenant une présence dans chaque village, par le moyen d’un représentant élu de l’EPCI. Et c’est bien le sens que nous voulons donner aux EPCI : en faire des structures légeres qui permettent de mutualiser les moyens pour mener les projets que des communes seules ne pourraient entreprendre. Cette logique de l’intercommunalité, nous l’avons acceptée depuis ses débuts. Nos villes se sont impliquées dans la construction de ce que l’on a conçu comme des intercommunalités « de projet », nous avons soutenu son développement et la faisons vivre au quotidien.

Mais aujourd’hui, on s’achemine plutôt vers le développement de la « supracommunalité ». Un développement contestable et d’autant plus inquiétant qu’avec l’extension des périmetres, les futurs EPCI regrouperont bien souvent des communes qui n’ont ni histoire commune, ni habitude de coopération. Or, une fusion de collectivités ne se décrete pas. Si les périmetres des EPCI ne sont pas cohérents, s’ils n’épousent pas le « territoire vécu » et s’il n’y a pas une volonté de mise en commun, ils ne pourront pas fonctionner correctement. C’est en tout cas le constat que nous pouvons dresser a ce jour, a partir de nos expériences de maires et de présidents d’EPCI. C’est aussi ce qu’expliquent l’IGA et l’IGF dans le rapport sur les mutualisations qu’ils ont remis en décembre 2014 : « le succes d’une démarche de mutualisation résulte donc avant tout d’une volonté politique locale déterminée, le plus souvent assise sur une démarche de construction d’un projet de territoire cohérent et partagé ».

Face a ces constats, Villes de France défend deux principes pour l’avenir. D’abord, n’allons pas trop vite. Ensuite, ne reglementons pas tout « d’en haut ». Laissons les territoires s’organiser, si besoin par des mesures incitatives. Les réformes récentes et les dernieres élections ont fait apparaître des modalités d’organisation assez variables d’un EPCI a l’autre. Il est donc nécessaire d’adapter le rythme d’évolution et les formes d’organisation aux configurations locales.

Pour améliorer les dispositifs existants, Villes de France propose 16 pistes allant dans le sens d’une intercommunalité de projet raisonnée et efficiente, que nous avons regroupées dans un manifeste intitulé « intercommunalités : réformons la réforme ». Dans ce manifeste, nous traitons aussi bien de la question du périmetre des EPCI que de leur gouvernance, du rôle de la ville centre ou encore de la répartition des charges et des ressources, qui sont autant de motifs potentiels de crispation locale et de difficultés dans le bon fonctionnement des intercommunalités.

Revenons par exemple sur la gouvernance des EPCI. Le pilotage de ces structures est complexe et nécessite un apprentissage - et donc du temps, en particulier lorsqu’ils sont de grande taille (plus de 50 communes). La gestion des grands EPCI fait intervenir de nombreux acteurs et oblige a concilier des logiques parfois contradictoires, notamment entre les communes les plus rurales et les communes urbaines. En général, pour faciliter le dialogue et pour que tous participent a l’élaboration de la décision, nous choisissons - en tant que présidents - la logique du consensus. Dans de nombreux EPCI, nous avons permis aux communes les plus petites de bénéficier d’une meilleure représentation dans le conseil communautaire, en leur octroyant une part des sieges qui revenaient a la ville centre. En outre, beaucoup d’entre nous recueillent l’avis des maires de toutes les communes au sein d’une « conférence des maires », avant de délibérer en conseil communautaire. Bien que lourd et chronophage, ce systeme de gouvernance fonctionne bien car il assure a tous les maires le respect de leur légitimité. Cependant, il ne garantit pas que les intérets de chacun soient parfaitement représentés, en particulier ceux de la ville centre. Dans plusieurs cas en France, par ce jeu de modulation de la représentation dans les conseils, les maires des villes centres ont été évincés du bureau communautaire et ne participent pas aux décisions finales, et ce alors meme qu’elles pesent pour plus de la moitié du poids démographique et financier de l’EPCI. Villes de France demande donc que la loi NOTRe instaure un mécanisme qui assure a la ville centre de siéger de droit au bureau communautaire. De meme, nous souhaiterions que le rôle de la ville centre dans le financement des services publics du territoire soit mieux reconnu. En effet, les villes centre financent une offre de service utilisée par l’ensemble des communes du territoire, et non par les seuls habitants de la ville. Villes de France demande donc que la péréquation soit renforcée et qu’elle prenne mieux en compte les ressources et les charges, y compris fiscales, des collectivités.

Nous le voyons chaque jour dans nos collectivités : la construction d’un juste équilibre entre les forces constitutives de l’EPCI est la clé de réussite des intercommunalités. Or, cet équilibre se définit localement, en fonction des forces en présence et des conciliations de chacun. Aussi, assurons-nous que cet équilibre soit bien établi avant de modifier a nouveau les périmetres, et évitons de dessiner a l’aveugle des criteres qui risqueraient d’etre en décalage par rapport aux réalités vécues dans nos territoires.