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Les performances commerciales françaises défient les explications traditionnelles

Par Sébastien Jean, Directeur du CEPII et Directeur de recherche à l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA), Charlotte Emlinger et Vincent Vicard, Economistes au CEPII

La récente publication par les douanes des chiffres du commerce extérieur est venu le rappeler : la France a un déficit commercial structurel, de l’ordre de 30 Mds d’euros pour les biens et services en 2018, dont le creusement sur les deux dernières décennies tient largement à ses performances à l’exportation.

Malgré la relative stabilisation de ses parts de marché depuis 2012, la France continue d’afficher des exportations moins dynamiques que ses principaux partenaires de la zone euro, Allemagne et Espagne en tête. Cette persistance de performances commerciales médiocres ces dernières années défie les explications traditionnelles.

Si, sur la première décennie de l’euro, l’augmentation plus rapide des coûts salariaux en France et la très forte dégradation des résultats commerciaux du secteur automobile semblaient pouvoir expliquer au moins en partie l’écart vis-à-vis de l’Allemagne, aucune de ces deux explications ne tient pour la période récente. Depuis 2011, cette atonie des exportations françaises étonne d’autant plus que le coût du travail a augmenté moins vite qu’en Allemagne. Certes, le rééquilibrage récent reste limité, la baisse relative ne représentant qu’entre le quart et le tiers de l’augmentation observée entre 1999 et la crise. Mais aussi, que ce soit par les exonérations de cotisations sociales en France ou la mise en place du salaire minimum en Allemagne, cette baisse relative a principalement concerné les bas salaires, qui influent peu sur les exportations puisque les rémunérations dans le secteur manufacturier se situent majoritairement plus haut dans l’échelle des salaires.

L’analyse des autres facteurs traditionnels de compétitivité à l’exportation n’apporte pas plus de réponse claire à la sous performance française sur la période récente. La spécialisation française s’est rapprochée de celle de l’Italie, s’éloignant sensiblement de l’Allemagne, mais elle ne semble pas avoir joué de manière notablement défavorable : la croissance moyenne de la demande sur les marchés d’exportation de la France est restée similaire à celle de ses grands voisins. L’hypothèse d’un effet d’hystérèse, selon lequel l’atrophie de la base industrielle française serait à l’origine d’une incapacité durable à regagner des parts de marché à l’exportation, ne résiste pas non plus à l’analyse : la perte de substance industrielle est avérée, mais les effets d’agglomération ne sont pas suffisamment importants pour que cela empêche un redressement futur.

A ce stade, il est de rigueur de blâmer la dégradation de la compétitivité « hors prix ». Ce concept large, souvent associé à la qualité des produits exportés, rassemble l’ensemble des caractéristiques de la production nationale, autres que le prix, valorisées par les consommateurs, soit aussi bien la qualité intrinsèque des produits, que leur image de marque, les services accompagnant la vente de certains biens, la qualité des circuits logistiques, etc. Il est donc par nature difficile à relier à des causes clairement identifiées. Dans cette logique, les entreprises allemandes, en ne répercutant pas entièrement leurs gains de compétitivité coût dans leur prix auraient augmenté leurs marges, dégageant ainsi des ressources pour investir et améliorer leur compétitivité hors prix, ce que les entreprises françaises n’auraient pas pu faire. Les données agrégées d’investissement ne vont cependant pas dans ce sens : le taux français d’investissement hors construction est certes un peu inférieur en moyenne au taux allemand, mais la différence est modérée et ce taux reste supérieur à celui de l’Italie et de l’Espagne sur l’ensemble de la période.

Si ce n’est par le niveau, c’est par la composition de son investissement que la France se caractérise par rapport à ses grands voisins européens. L’importance relative des investissements immatériels, bien que difficile à interpréter étant donné certains problèmes de mesure et de comparaison entre pays, suggère que la France ne souffre pas d’un défaut de dépenses de R&D en comparaison de ses principaux voisins ; au contraire, le maintien de ces dépenses contraste avec l’affaissement relatif de la production manufacturière. Ce constat pose la question de la capacité d’entraînement des activités de R&D sur la production en France. Cette question apparaît d’autant plus importante pour une économie française marquée par le poids de ses entreprises multinationales, dont les implantations à l’étranger ont crû plus rapidement que leur production sur le territoire, une tendance nettement plus marquée que dans les autres grands pays de la zone euro. Les multinationales françaises employaient ainsi près de 6 millions de salariés en 2014, contre 5 millions pour les multinationales allemandes, 1,8 en Italie et moins de 1 million en Espagne. Les activités de R&D et de conception maintenues sur le territoire français auraient ainsi plus facilement trouvé leur application dans la production à l’étranger. Ces caractéristiques, fort investissement immatériel et importance des entreprises multinationales, sont parties intégrantes de cette dimension hors prix de la compétitivité de l’économie française. Les importants revenus d’investissement qui en découlent – 43 milliards d’euros, soit 1,9 % du PIB en 2017 -, expliquent d’ailleurs en bonne partie le fait que la France affiche un solde courant proche de l’équilibre.

En somme, la situation de la France reflète à la fois sa participation à une zone euro dont le rééquilibrage macroéconomique (des coûts unitaires du travail, des prix et des comptes courants) se fait toujours attendre faute de coordination et l’importance de l’investissement à l’étranger de ses grandes entreprises. L’économie française souffre plus d’une perte de sites de production industrielle que d’un défaut de compétitivité. 

* Auteurs de la note du CEPII : « L’étonnante atonie des exportations françaises : retour sur la compétitivité et ses déterminants » - n°24, février 2019

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