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Le non-cumul n’est pas une assignation à résidence à Paris

Par Charles Dennery, Normalien, Docteur en économie, Chercheur à l’EPFL

Le cumul des mandats n’aurait rien changé. La plupart des députés étaient novices en politique en 2017, sans mandat local. Même avec le cumul des mandats, ils n’auraient pas brigué de mandat local avant 2020 ou 2021. Ça n’aurait rien changé.

Le vrai problème, c’est que certains ont un peu délaissé leur circonscription. Faire les marchés, la permanence électorale, solliciter l’administration pour tel électeur, etc. Cela faisait trop ancien monde.

Ils ont probablement aussi voulu adopter un mode de travail normal, comparable au public ou au privé. Travailler beaucoup du lundi matin au vendredi soir, préparer énormément leurs dossiers, mais se reposer le week-end. Les anciens députés étaient davantage dans la représentation, mais 7 jours sur 7.

Le manque de diversité dans le recrutement des députés “En Marche” a aussi pesé, mais c’est le même problème qu’avec les énarques, qui eux non plus n’ont pas vu la grogne venir. Alors que sous de Gaulle ou Mitterrand, les élites même parisiennes avaient souvent une attache campagnarde. Famille, maison de campagne, c’était un milieu qu’ils connaissaient encore bien : on sortait à peine de l’exode rural.

Changer le fonctionnement du Parlement

Il n’y a pas besoin d’être élu local pour suivre la vie politique et économique de sa circonscription. Les députés britanniques y arrivent parfaitement. Même la première ministre Theresa May met un point d’honneur à aller assister à la messe dominicale dans le Berkshire. Aux Etats-Unis, les membres du Congrès, malgré les distances et la taille des circonscriptions, organisent des Town Halls réguliers.

Mais en France on croit que le seul vrai travail des députés doit se faire à l’Assemblée. Il faut se souvenir que jusqu’en 1995, le Parlement ne se réunissait normalement que d’Octobre à Décembre et d’Avril à Juillet. Cela laissait 6 mois pour être à l’écoute de leurs électeurs. Evidemment, ce n’est pas en ayant plus de temps pour voter les lois qu’elles sont de meilleure qualité. Il y a juste plus de lois mal écrites.

Contrairement à ailleurs, le Parlement français n’est pas vraiment maître de son ordre du jour. C’est l’exécutif qui décide, et force les Parlementaires à voter toujours plus de lois, jusqu’au milieu de la nuit. Alors que les Britanniques voteront peut-être une grande loi sur le logement tous les 10 ans, en France on en vote en moyenne 3 par quinquennat, aussi mal écrites les unes que les autres. On a beaucoup glosé sur le “Président normal” sous Hollande, mais c’est un Parlement normal qu’il faudrait.

Enterrer la réforme constitutionnelle

S’il ne faut pas revenir au cumul des mandats, ce serait par contre une très bonne chose d’enterrer définitivement les projets de lois constitutionnelles et organiques que l’exécutif veut mettre en œuvre. Dose de proportionnelle, moins de parlementaires, nombre limité de mandats dans le temps…

Quand on demande aux Français s’il y a trop de parlementaires, ils répondent oui. Mais quand on leur demande s’ils sont prêts à voir leur propre député moins souvent s’il y a moins de parlementaires, ils ont un avis très différent. La permanence du député, comme le bureau de poste ou la caserne de gendarmerie, est un service public local : la fermer amplifierait le sentiment d’abandon du territoire.

Les Romains avaient compris que le pouvoir finit par corrompre moralement son détenteur, entraînant irrégularités et clientélisme. Les consuls ne pouvaient enchaîner des mandats successifs. Le pouvoir absolu corrompt absolument, dira plus tard Montesquieu, en théorisant la limitation des pouvoirs.

C’est un principe sain, mais qui n’a de sens que pour les mandats exécutifs (président de région, maire). Les Parlementaires ont des mandats représentatifs dont ils ne peuvent pas vraiment abuser. Autant il est légitime de vouloir limiter le pouvoir exécutif, autant il est dangereux d’affaiblir le pouvoir législatif.