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A propos du “Référendum d’Initiative Citoyenne” (RIC)

Par Raphaël Piastra, Maître de Conférences - Docteur en droit public à l’Université Clermont Auvergne

Parmi les revendications des “gilets jaunes” (GJ), il en est une qui devient récurrente : la mise en place du RIC. C’est une proposition en l’état bien incertaine et qui nous semble presque superfétatoire.

On va s’en expliquer et faire un peu de pédagogie constitutionnelle. Selon nous environ 90 % des Françaises et des Français, ne connaissent pas la Constitution de 1958. GJ compris. Or il faut rappeler que celle-ci est la norme suprême de notre ordre constitutionnel dont dépendent toutes les autres (lois, traités, décrets, …). Remarquons que ladite Constitution est aussi contestée par un certain nombre de GJ. On y reviendra également.

Demander un RIC, pourquoi pas ? Mais il faut savoir que depuis la révision de 2008, impulsée par le président Sarkozy, un référendum d’initiative minoritaire et populaire est prévu à l’art. 11 de la Constitution. En voici le texte :

« Un référendum portant sur un objet mentionné au premier alinéa peut être organisé à l’initiative d’un cinquième des membres du Parlement (ndlr : soit 185 parlementaires) soutenue par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales (ndlr : soit près de 5 millions d’électeurs). Cette initiative prend la forme d’une proposition de loi et ne peut avoir pour objet l’abrogation d’une disposition législative promulguée depuis moins d’un an. Les conditions de sa présentation et celles dans lesquelles le Conseil constitutionnel contrôle le respect des dispositions de l’alinéa précédent sont déterminées par une loi organique. Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux Assemblées dans un délai fixé par la loi organique, le Président de la République la soumet au référendum. Lorsque la proposition de loi n’est pas adoptée par le peuple français, aucune nouvelle proposition de référendum portant sur le même sujet ne peut être présentée avant l’expiration d’un délai de deux ans suivant la date du scrutin ».

En l’état actuel, le référendum ne peut pas porter sur n’importe quel sujet. Selon l’alinéa 1 de l’art. 11 ledit référendum doit concerner :

« Tout projet de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics, sur des réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale de la nation et aux services publics qui y concourent ». Notons qu’un tel référendum peut aussi avoir lieu au niveau externe sur la compatibilité d’un traité (européen) avec la Constitution. On notera au passage que ne figure nullement la révocation du Président de la République (comme demandée par les GJ…). D’abord la Constitution actuelle ne comporte aucune règle concernant celle-ci (qui permet au peuple de mettre un terme fin, par un vote, au mandat présidentiel avant son terme) comme elle est prévue aux Etats-Unis (recall) ou dans certains cantons suisses.

La procédure de l’art.11, on en convient, est quelque peu compliquée et (relation de cause à effet) n’a jamais été utilisée depuis 2008. Cependant afin d’en faciliter la mise en pratique, une loi organique (ndlr : complétant la Constitution) du 6/12/2013 prévoit notamment :

« Des points d’accès à un service de communication au public en ligne permettant aux électeurs d’apporter leur soutien à la proposition de loi présentée en application de l’article 11 de la Constitution par voie électronique sont mis à leur disposition au moins dans la commune la plus peuplée de chaque canton ou au niveau d’une circonscription administrative équivalente et dans les consulats. Pour l’application du premier alinéa, tout électeur peut, à sa demande, faire enregistrer électroniquement par un agent de la commune ou du consulat son soutien présenté sur papier ».

La constitution prévoit aussi des référendums locaux à valeur indicative (art.72-1).

Avant que de faire instaurer (via une nécessaire mais très incertaine révision constitutionnelle) leur RIC, les GJ et leurs leaders, feraient mieux de s’intéresser à la procédure prévue par l’article 11. Leur RIC peut être très populiste et entraîner des choix à tout le moins loufoques. En effet dernièrement une telle consultation a été organisée dans un canton suisse sur les dangers des bêtes à cornes dans les troupeaux….

L’exécutif actuel a envisagé une option utilisée une seule fois par le général de Gaulle en 1969, le référendum à questions multiples. Elle a été évoquée, le 2/01 dernier sur LCI, par le député LREM Sacha Houlié. Ce dernier a ajouté : « rien n’est décidé, mais l’exécutif aurait notamment étudié comment, juridiquement, il serait possible de poser plusieurs questions lors d’un référendum ». Juridiquement ce n’est pas impossible. Mais il convient bien entendu de respecter les domaines référendaires indiqués ci-dessus. Pour le moment sont évoquées les questions suivantes : « Êtes-vous pour ou contre le vote blanc ? », « pour ou contre le vote obligatoire ? » ; « pour ou contre une proportionnelle à 20 % ? » ; « pour ou contre l’abaissement du nombre de députés à 400 et de sénateurs à 300 ? ». Selon nous les deux premières n’entrent pas dans le champ défini par l’art. 11. Elles seraient même inconstitutionnelles. Il reste que ledit référendum ne se déroulerait qu’à la suite d’un bien flou et incertain « débat national ». De l’eau a le temps de passer sous les ponts de la Seine !

Puisque l’on évoque des démarches citoyennes, on doit aussi rappeler que le Conseil Economique, Social et Environnemental peut être saisi, sur la base de l’art. 69 al 3 de la Constitution, par voie de pétition. Il faut rassembler 500000 signatures. Cela s’est produit en 2013 lorsque 700000 signatures se sont exprimées contre le projet de loi sur le mariage et l’adoption homosexuels. Le CESE a estimé cette pétition irrecevable car un tel projet relevait de la saisine du Premier ministre. Cette décision a cependant été annulée par le Tribunal Administratif de Paris. La procédure est en stand-by pour l’instant.

Un certain nombre de GJ et autres contestataires du système, demandent aussi de passer à une VIème République. Comme si les problèmes actuels, que l’on ne peut nier, venaient de la Constitution de 1958. Le général de Gaulle (dont certains se revendiquent actuellement…) disait qu’ « une constitution, c’est un texte, un esprit, une pratique ». Le texte a été révisé pas moins de 24 fois depuis 1958. La majeure partie des révisions visait soit à adapter le texte à son temps, soit à protéger mieux (trop ?) les libertés et droits de l’Homme. Certaines d’entre elles, il faut l’avouer, ont été assez inutiles. D’autres seraient bienvenues. Par exemple « une (bonne) dose de proportionnelle », le retour au septennat (que certains GJ appellent de leurs vœux) ou encore le découplage du timing entre l’élection présidentielle d’abord et les législatives ensuite.

L’esprit du texte est celui de ceux qui gouvernent. Le texte lui-même n’y peut rien. Quant à la pratique, elle est la donnée la plus importante à nos yeux. Elle dépend en grande partie de celui qui est l’élément clef de notre système politique, le Président de la République. Le général de Gaulle a impulsé ce que l’on appelle le régime présidentialiste. C’est-à-dire la primauté du Président de la République du fait de son élection par le peuple, appuyé sur une majorité au Parlement (notamment à l’Assemblée nationale). Tous les successeurs du général se sont plus ou moins calqués sur cette pratique. Emmanuel Macron, y compris, qui revendiquait pourtant un nouveau monde et une présidence « jupitérienne » … Dès lors, si l’on est mécontent d’un président, il suffit lors des élections, soit de l’éliminer (ex : Valéry Giscard d’Estaing en 1974, Nicolas Sarkozy en 2012) au profit d’un autre (Mitterrand en 1974, François Hollande en 2012), soit de ne pas lui accorder une majorité à l’Assemblée (ex : les cohabitations de 1986,1993 et 1997). Certains songent à revenir sur cette élection présidentielle. Par un collège électoral ? Ce serait le retour au désordre de la IVème République et à un pays ingouvernable. Par la suppression de la fonction présidentielle ? Soit. Mais par qui ou quoi la remplacer ? Pourquoi ne pas revenir aussi au suffrage censitaire (c’est-à-dire que seuls voteraient celles et ceux qui payent l’impôt sur le revenu) aboli par la Révolution ?

Les démarches « citoyennes » entreprises par les GJ commencent à tourner au populisme. D’autant plus parce qu’elles sont assez largement récupérées par les partis d’extrême droite (RN) ou d’extrême gauche (LFI). Et puis le désordre desdites démarches ainsi que les revendications, souvent légitimes mais trop souvent farfelues, risquent de se retourner contre leurs initiateurs. Au surplus lorsque les actions sont ponctuées par des violences inacceptables (venant de plus en plus des GJ…) dans une démocratie. Car, n’en déplaise aux GJ et populistes de tout bord, la France reste une démocratie. Les urnes en sont les meilleurs, et selon nous exclusifs, arbitres. Rappelons que l’art. 3 de la Constitution stipule : « la souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ». Et puis comme opinait notre collègue B. Badie, « il faut savoir arrêter une grève ». D’autant, comme c’est le cas, quand un certain nombre de revendications ont été satisfaites. Moyennant environ 15 milliards d’euros qui seront, une fois n’est pas coutume, honorés par les contribuables (dans les rangs desquels doivent figurer des GJ …).

Quelques mots de conclusion à présent. Face à la chienlit, qui règne en France depuis plus d’un mois et à l’incurie (devenue au surplus dépensière) du pouvoir notamment exécutif, une solution existe à nos yeux. Celle de la dissolution. D’ailleurs évoquée par Mme Christine Clerc, MM Kalfon, Dupont-Aignan et Alliot. Elle serait plus efficace qu’un référendum durant lequel, la plupart du temps (et ce serait à coup sûr le cas actuellement) les électeurs répondent à celui qui pose la question et non à celle qui est posée. Et dans le cadre d’un éventuel référendum à questions multiples, notamment dans le contexte actuel d’un fort désamour présidentiel, ce serait d’autant plus le cas. Lorsque le peuple gronde, le meilleur remède est de lui rendre la parole. La dissolution s’impose d’après nous. Certes dans le contexte actuel, on ne sait quelle en serait l’issue. En tout état de cause, elle serait l’expression du choix souverain du peuple. Et les GJ pourraient même se présenter aux législatives qui suivraient. Ce serait logique. Quid du résultat ? A n’en point douter une cohabitation. D’un nouveau type ? Certainement. Et alors ? On a connu à trois reprises cette situation. La dernière, de 1997 à 2002, fut l’ultime période d’économie prospère en France. Suite à cette souhaitable dissolution, les électeurs ayant pris leurs responsabilités, il reviendrait alors au pouvoir en place, notamment élyséen, d’en tirer toutes les conséquences…. Rappelons ce dialogue, lourd de conséquences, entre Louis XVI et le duc de La Rochefoucauld en 1789 : « Mais c’est une révolte ? Non. Sire c’est une révolution »