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Un maire sur deux ne souhaite pas se représenter en 2020

Dans le cadre du nouvel Observatoire de la démocratie de proximité, à l’initiative et en partenariat avec l’AMF, le CEVIPOF a mené une enquête inédite* auprès de l’ensemble des maires de France pour dresser leurs portraits, pour connaître les trajectoires de celles et ceux qui occupent cette fonction, pour mieux appréhender leurs difficultés, et pour comprendre l’évolution de la représentation politique au niveau local. Sans parler de « malaise », l’enquête révèle pourtant une certaine « lassitude » des élus toujours plus sous pression.

Parue à seulement quelques jours du Salon des Maires, l’étude AMF/CEVIPOF pointe un sentiment de lassitude d’élus sous pression ; des maires qui déclarent avoir de plus en plus de mal à exercer leur mandat, au-delà des seules considérations matérielles et juridiques liées à leur fonction.

Si en 2014, 60 % des maires sortants avaient été réélus, quatre ans plus tard et un an et demi avant les prochaines échéances municipales, ils sont 49 % à déclarer vouloir « abandonner tout mandat électif ». Selon que l’on voit le verre à moitié plein ou à moitié vide, on peut soit se féliciter d’un renouvellement d’une certaine vitalité de la démocratie locale mais aussi d’une crise des vocations. A entendre les plaintes et murmures des élus relayés par leurs associations, il semble que l’on penche plutôt vers le verre à moitié vide. Même si les chiffres montrent des situations très contrastées en fonction de la taille de la commune - les maires des communes de moins de 500 habitants sont 55 % à envisager l’abandon de leur mandat contre 9 % pour celles de plus de 30 000 habitants – et de l’âge de l’élu – les maires de plus de 70 ans sont 70 % à vouloir passer la main en 2020 contre 37 % des maires de moins de 57 ans dans les mêmes petites communes (moins de 500 habitants).

Les raisons de cette « fatigue psychologique » sont multiples. Quand il a été demandé aux élus les raisons de leur volonté d’abandon, deux raisons principales ont été fréquemment avancées. La première concerne leur volonté de privilégier leur vie personnelle et familiale et quels que soient leur âge et leur situation soit leur âge et leur situation matrimoniale. Hyper sollicités, hyper investis et très (trop) dévoués, les élus ne veulent plus sacrifier leur vie familiale à leur devoir. L’enquête montre que le mandat de maire est souvent une activité exercée à temps plein ou occupant au moins « un gros mi-temps ». Ils sont 51 % à dire que leur mandat les occupe entre 20 et 40 heures par semaine, 25 % plus de 40 % (dont 5 % plus de 60 heures essentiellement dans les grandes municipalités). Ils sont ensuite 52 % à estimer avoir rempli leur devoir civique en assumant la fonction de maire. Ils sont 73 % à se déclarer plutôt satisfaits ou très satisfaits de « la vie qu’ils mènent » et 90 % estiment que cette vie « a du sens et de la valeur ». Un sentiment très fort exprimé par les maires de communes de 1 500 à 10 000 habitants. Près d’un tiers des maires invoquent également des raisons « plus fonctionnelles » telles que le manque de moyens financiers (33,9 %) ou le manque de personnels (14,8 %). Par contre, plus inquiétante est la raison invoquée de leurs difficultés à satisfaire les demandes de leurs administrés (36 %). Les élus se sentent un peu démunis face aux nouvelles exigences de leurs administrés qui ont une attitude de plus en plus « consumériste ». Les élus déplorent la distension du lien social fait de proximité démocratique et de solidarité. Le maire est aujourd’hui souvent perçu comme « fournisseur de services » par le concitoyen « contribuable ».

Autre « révélation » de cette enquête, la perception des maires vis-à-vis des relations avec les intercommunalités. Le regroupement intercommunal, réalisé souvent sous la contrainte, inquiète un grand nombre d’édiles qui se montrent méfiants face à la réduction de leur marge de manœuvre et à leur capacité d’action. L’étude livre les propos de plusieurs d’entre eux qui ont fait part d’un sentiment de « dépossession » politique et administrative. C’est le cas, par exemple, de ce maire d’une commune de moins de 1500 habitants qui déclare, à l’instar d’autres élus, que « les communes perdent de plus en plus de compétences au profit des intercommunalités, ce qui va nous laisser dans un rôle de figurant sans pouvoir ». Pour ces petits maires, une relation de méfiance s’installe souvent vis-à-vis des intercommunalités auxquelles leur commune est rattachée. Près de 80 % d’entre eux considèrent que l’intercommunalité a beaucoup d’influence sur leur commune ; ils ne sont que 25 % à penser que leur commune exerce une influence sur l’intercommunalité. Aujourd’hui beaucoup de ces petits maires se sentent relégués à un simple rôle d’officier d’état-civil.

Dernier point et pas des moindres, le sentiment des maires d’être face à une République de moins en moins décentralisée. Ils dénoncent notamment la recentralisation financière et les effets d’annonces autour de la suppression de la taxe d’habitation. Les réformes institutionnelles avec la réorganisation des services déconcentrés de l’Etat sont mal perçues par les maires de petites communes (68 %), « ce chiffre étant plus faible pour les communes de plus de 10 000 habitants ». Quant à la Loi NOTRe, elle cristallise le mécontentement des élus municipaux sans distinction de taille de communes qui jugent qu’elle a eu « des effets négatifs sur leur mandat » (75 %).

Enfin, en matière de finances locales, la diminution des transferts financiers de l’Etat vers les communes a contraint les maires à reporter les investissements (46 %), à réduire les services publics rendus (17 %) ou à augmenter les impôts (13 %).

« La République décentralisée des territoires est en panne alors que les maires restent les représentants politiques bénéficiant du niveau de confiance le plus élevé de la part des Français. L’enjeu est de taille car il met en péril le bon fonctionnement d’une démocratie locale » conclut Martial Foucault, professeur à Sciences Po et directeur du CEVIPOF. 

* Enquête de 63 questions administrée en ligne par le CEVIPOF entre le 12 octobre et le 3 novembre 2018 à partir du fichier des maires de l’AMF. Envoyée auprès de 35 357 maires, le taux de réponses s’établit à 13 % (soit 4 657 réponses complètes de maires) et 20 % si l’on tient compte des réponses incomplètes (soit 7 141 maires). La représentativité de l’enquête est assurée par une proportion équivalente de maires répondants dans chacune des strates de population des communes françaises.

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