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Le défi américain à l’Europe

Par Philippe Bonnecarrère, Sénateur du Tarn (Union Centriste), Vice-Président de la Commission des Affaires européennes du Sénat

“America First” signifie plutôt « America only », aboutissement progressif d’un « exceptionnalisme américain ». Le lien transatlantique privilégié n’est plus une réalité pour les américains comme pour les européens.

La politique étrangère des États-Unis s’impose-t-elle aux européens ? C’est la question posée aux européens par l’extraterritorialité des lois américaines.

La souveraineté européenne est mise en cause

Les USA ont développé un ensemble de règles dont l’impact sur notre pays, sur nos entreprises est majeur. Elles concernent la lutte contre la corruption (FCPA (1)), la fiscalité (le FATCA(2) avec la question des « américains dits accidentels »), le contrôle des investissements (CFIUS (3)), les exportations d’armes (ITAR (4) et ITAR free) ou le numérique (Cloud act (5)).

A ces dispositifs généraux, sont venues s’ajouter les sanctions. Le 8 mai 2018, le Président des États-Unis a décidé de mettre un terme à la participation des États-Unis à l’accord sur le nucléaire Iranien. L’administration américaine a réimposé toutes les sanctions secondaires qui avaient été levées en janvier 2016.

Ces sanctions sont dites primaires à l’égard des entreprises américaines, secondaires lorsqu’elles s’appliquent aux opérateurs non américains opérant hors du territoire des Etats-Unis. Le rétablissement d’interdictions concerne les transports, l’énergie, les services financiers et d’assurances, l’automobile (au 4 novembre) mais aussi des mesures individuelles contre des entités et nationaux Iraniens et l’abrogation de licences délivrées antérieurement par l’administration américaine à l’exemple de l’aéronautique civil.

Soit par décision propre, soit par impossibilité de trouver une banque acceptant d’exécuter leurs opérations, toutes les entreprises européennes se retirent du marché Iranien, y compris les entreprises dont les marchandises ne sont pas sous sanctions !

C’est bien là l’effet extraterritorial des sanctions économiques et commerciales américaines, mais aussi le défi diplomatique lancé à l’indépendance de l’Union Européenne et de ses États membres. Etendre la politique étrangère des États-Unis à d’autres pays oblige des pays souverains à mettre en œuvre la politique américaine.

L’accord nucléaire a été conclu entre, d’une part, le Royaume-Uni, l’Allemagne, la France, la Russie, la Chine et les États-Unis, et l’Iran d’autre part. Son objectif était et est le gel du programme nucléaire militaire Iranien. Sa mise en œuvre suppose que chaque partie s’acquitte loyalement de ses engagements. Le retrait unilatéral des États-Unis relève de leur responsabilité mais ne peut pas valoir pour les autres pays.

L’Europe est-elle en mesure de répondre ?

Plusieurs initiatives ont été lancées. Certaines sont mort-nées à l’exemple des demandes de dérogations refusées par les États-Unis, de l’idée d’un recours à l’OMC qui risquerait d’être le dernier clou enfoncé sur son cercueil. Le contentieux devant la Cour Internationale de Justice initié par l’Iran dans le cadre du traité bilatéral de 1955 avec les États-Unis restera sans effet prévisible. La Banque Européenne d’Investissement et la BPI ont publiquement refusé de participer au financement des échanges avec l’Iran.

Présente un intérêt politique la réactivation du règlement de 96 dit de blocage. Il a le mérite d’avoir été une réponse rapide de l’Union Européenne. Il neutralise les conséquences des sanctions américaines qui seraient infligées à des opérateurs de l’Union Européenne pour avoir continué leurs opérations avec l’Iran.

Le règlement protège les opérateurs européens, sauf pour ceux détenant des actifs aux États-Unis. Le règlement ouvre aux personnes ayant subi un dommage un droit à réparation devant les tribunaux des États membres mais l’État fédéral Américain bénéficie d’une immunité de juridiction. L’efficacité du règlement doit être améliorée sur ce point.

La seconde voie toujours politique concerne l’établissement d’un canal humanitaire. Les produits pharmaceutiques, agricoles ou agroalimentaires ne font pas l’objet des sanctions secondaires américaines. Il suffirait qu’une seule banque iranienne puisse rester connectée via SWIFT à partir du 4 novembre 2018 afin de poursuivre l’exportation de biens hors sanctions sous la réserve que les banques européennes ne pratiquent pas une « sur conformité » en refusant d’exécuter des opérations qui ne sont pourtant pas l’objet de sanction. Une crise alimentaire ou sanitaire en Iran serait désastreuse pour l’image des États-Unis, sans même insister sur le raidissement collectif de la population Iranienne laquelle à une longue culture historique et religieuse du « martyr ».

La troisième solution serait l’instauration d’une plateforme comptable autonome permettant d’inscrire au crédit de l’Iran le produit de ses exportations pétrolières et gazières, de débiter son crédit théorique des achats qui seraient alors fait par des entreprises chinoises ou indiennes (lesquelles représentent les 2/3 des exportations énergétiques de l’Iran) dans les pays européens avec livraisons correspondantes en Iran.

Les États en seraient les actionnaires et non leurs banques centrales, il serait nécessaire que au minimum 5 ou 6 pays européens acceptent de participer et au premier rang les 3 pays européens signataires du JCPOA (la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni) et qui veulent maintenir l’Iran dans cet accord de gel des activités nucléaires. Cette plateforme intéresse les pays asiatiques mais aussi la Russie. Le SPV n’est pas en effet limité à l’Iran.

Un autre sujet, que le caractère limité de cet article n’autorise pas à traiter, est la question de la « sur conformité » ou de l’ « overcompliance », c’est à dire du niveau supplémentaire de règles que s’imposent les entreprises européennes pour « être sûres de ne pas faire d’erreur ». A travers les cabinets d’avocats, les experts comptables, les auditeurs tous anglo-saxons, les codes de bonnes pratiques et autres comités d’éthique, l’activisme d’actionnaires US..., le Droit américain devient une norme générale, une soft law qui oriente les décisions. Ce phénomène durable est complémentaire et peut-être encore plus important que celui de l’extraterritorialité des lois américaines. Il pourrait être analysé comme une extraterritorialité consentie.

En conclusion la réponse politique à l’extraterritorialité des lois américaines ne peut être vue au seul niveau national. La souveraineté d’un pays comme le nôtre est partagée : elle est nationale et européenne. L’Union Européenne n’a pas d’autre solution que de poursuivre sa construction et de se renforcer. 


1. Foreign Corupt Practices Act


2. Foreign Account Tax Compliance Act


3. Committee on Foreign Investment in the United States


4. International Trafic Arms Regulation


5. Clarifying Lawful Owerseas Use of Data act


6. Rapport Berger-Lellouche Assemblée Nationale 2016


7. Traité de l’Union Européenne


8. Special Purpose Vehicule