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“Les gens vivent dans l’illusion d’un bonheur qu’ils ont perdu en venant en ville”

Entretien avec Jacques Pédehontaà, Maire de Laàs, Conseiller départemental des Pyrénées-Atlantiques

Jacques Pédehontaà est un maire de l’hyper ruralité : Laàs-en-Béarn, compte moins de 200 habitants. Pour lutter contre la désertification de son village, le maire se démène et multiplie les initiatives, avec succès – festival de musique, 24 heures de la brouette, fête du maïs… Mais il y a quatre ans, il a choisi d’aller plus loin en faisant de Laàs une « principauté ». Une initiative qui ne relève pas seulement du folklore. Sous couvert d’humour, le jeu est sérieux : Trouver les moyens de faire vivre son village*. Jacques Pédehontaà réagit au sondage de Familles Rurales.

Etes-vous surpris par ce sondage qui dit que 4 Français sur 5 rêvent de campagne… ?

Je ne suis absolument pas surpris. Il y a soixante ans, notre société était rurale : 70 % de la population vivait en milieu rural et 30 % en ville. Mais en près de trois générations, la tendance s’est renversée. Aujourd’hui, 70 % de la population vit dans huit grandes métropoles et 30 % en milieu rural. Il n’y a là aucune surprise. Cela correspond à un état d’esprit et au mal-être d’une société urbaine qui perd de plus en plus ses racines. Combien sont-ils encore à avoir un parent agriculteur ou qui vit à la campagne ? Mais il faut rester prudent. Les gens vivent dans l’illusion d’un bonheur qu’ils ont perdu en venant en ville.

… et 59 % estiment que le monde rural est « en déclin »

Je ne suis pas surpris que l’on puisse dire que c’est mieux à la campagne. Je ne suis pas non plus surpris que les mêmes jugent la campagne en déclin. C’est la triste vérité. On est de moins en moins nombreux à vivre à la campagne. En conséquence de quoi, on a de moins en moins de poids sur le cours institutionnel, législatif ou sur les réformes en vigueur. Le poids de nos députés et sénateurs est très relatif par rapport à la représentativité nationale qui est largement dominée par les urbains. D’où des lois et des textes qui ne nous ressemblent pas et qui sont très souvent incongrus ou inapplicables chez nous. Le déclin de la campagne se manifeste notament par le départ massif des jeunes espérant trouver un avenir meilleur en ville parce que c’est là qu’est le travail. La richesse financière, j’insiste sur cette seule notion, est urbaine et plus rurale. Ce déclin est aussi très largement le fait d’une agriculture qui pèse de moins en moins et qui traverse une crise économique sans précédent.

Les ruraux se sentent « abandonnés », « délaissés ».

Ce n’est pas un sentiment, c’est une réalité. Une réalité parce qu’encore une fois la représentativité politique ne nous est pas favorable. Les élus ruraux ont du mal à être entendus. La loi NOTRe et la réforme des collectivités territoriales avec les grandes intercommunalités et les grandes régions ont largement favorisé la distanciation entre le pouvoir local et les citoyens. Ce sentiment d’abandon est largement accrédité par la baisse des dotations de l’Etat et le transfert de compétences des communes aux intercommunalités. Ces réformes ont fait des maires des ombres qui n’ont à la fois plus les moyens d’agir et qui sont les premiers récepteurs du mal-être et de l’impatience qui animent leurs concitoyens.

Il faut se rendre à l’évidence, le développement du milieu rural, l’aménagement du territoire sont des mots dont on a perdu le sens, qui n’existent plus. Il n’y a plus d’aménagement du territoire en France.

Comment sortir de cette situation ?

Ne soyons pas trop pessimistes mais réalistes. Or, ce sondage est en trompe l’œil. A la question, souhaitez-vous vous installer à la campagne, la réponse est oui mais à condition qu’il y ait les mêmes services qu’en ville. Si le rêve urbain est de venir s’installer en milieu rural mais qu’en même temps il faut tout le confort à proximité, le rêve se brise vite. Attention à l’illusion urbaine. A un moment, il faut aussi être réaliste et ne pas idéaliser la campagne : on ne peut pas tout vouloir et tout avoir. Vivre à la campagne, c’est aussi accepter un mode de vie un peu différent.

Maintenant, des solutions existent mais il faudrait pour cela un élan national qui serait un nouveau projet d’aménagement du territoire, projet qui n’existe pas aujourd’hui.

On est encore et toujours victimes d’un cliché qui fait du milieu urbain, un milieu plus rassurant, plus protecteur. Le milieu urbain a quelque chose de très à la mode mais de très artificiel. Ne l’oublions pas. La campagne elle, était autrefois réellement protectrice avec notamment un jardin qui vous nourrissait et des voisins qui s’entraidaient.

Mais surtout, la première des choses à faire serait d’arrêter de pointer le milieu rural avec condescendance et arrêter ce regard accusateur en traitant nos agriculteurs de profiteurs d’argent public, de pollueurs.

Nous devons porter un message d’espoir. Le président de la République doit avoir une vision de l’aménagement du territoire que n’ont pas eu ses prédécesseurs ou qui n’existe pas aujourd’hui au sein des politiques portées par l’Etat. 

Propos recueillis par A. de Font-Réaulx

* Voir revue parlementaire n°966

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